Nourrir le brasier. [SOLO ❀ Adoption(s)]

Adoption de Ponyta.

Couchée à plat ventre sur mon lit, console entre les mains, je m'affairais à entraîner rigoureusement les personnages de mon jeu vidéo. J'étais à un cheveu d'affronter un boss ─ une espèce de dragon inspiré de Bruyverne ─ et tenais à prendre le moins de coups possibles. Certes, on pouvait guérir nos guerriers avec des objets de soin ou dans des endroits précis, mais j'avais décidé de ne pas le faire. Quand mes personnages mourraient, j'en recrutais d'autres et les amenais au niveau des survivants. Plutôt chiant, mais c'était plus amusant de jouer sous la contrainte. J'adorais ce genre de défis.

Fidèle à son habitude, Alpha somnolait contre mon Pyroli en peluche. Zphen, pour sa part, se baladait tranquillement par terre. Il s'arrêtait de temps en temps au-dessus des vêtements qui traînaient et s'enfouissait dedans comme un Sabelette dans les dunes. Tant qu'il ne leur mettait pas le feu, ça ne me dérangeait pas. C'était même un poil atendrissant.

Guh… Affronter sans cesse les mêmes ennemis commençait à m'ennuyer. Mes personnages progressaient lentement et il n'existait aucun moyen de leur faire gagner de l'expérience plus vite. La musique répétitive des combats me tombait aussi sur les nerfs, à force. Pareil pour les cris et complaintes des guerriers. Ah, tant pis ! Je terrassai les squelettes démoniaques qui me faisaient face, sauvegardai et éteignis ma console.

La laissant de coté, je me redressai et regardai dehors. Il pleuvait. Les nuages d'un gris sombre relâchaient des trombes d'eau qui rugissaient contre ma fenêtre. Pourtant, j'avais envie de sortir. Je me sentais un peu déprimée, aujourd'hui. Mes parents me manquaient. Ma meilleure amie aussi. Je m'ennuyais même de notre Théffroi et de ses mimiques spectrales.

Pour me remonter le moral, j'enfilai un t-shirt décoré des protagonistes d'un visual novel en noir et blanc que j'avais adoré. Il commençait doucement, sur une enquête de meurtre, et basculait petit à petit dans le paranormal. Une vraie merveille. Je me passai ensuite un jean noir et chaussai des bottes de caoutchouc pataudes. Je n'aimais pas en porter, mais c'était ça ou ruiner une jolie paire de chaussures. Et mes souliers, j'y tenais.

Mes affaires bouclées, je rappelai mes deux Pokémon. Alpha me bouderait inévitablement plus tard, mais pour l'heure, c'était la seule option viable. Pas question de le laisser moisir dans ma chambre ni de risquer de lui faire prendre la pluie dehors. Zphen, heureusement, ne m'en tiendrait pas rigueur. L'amour de mon insecte pour sa Filet Ball dépassait l'entendement.

Pokémon à la ceinture, affaires rassemblées, je m'emparai d'un parapluie bleu foncé décoré de petits Larméléon et descendis au rez-de-chaussée. Juste avant de sortir, j'inspirai profondément et déployai mon bouclier. À l'intérieur, oui. Tant pis pour les superstitieux.

Dehors s'étendaient de grandes flaques d'eau sale et de boue. Certaines étaient assez profondes pour engloutir mes chevilles. Des paquets de pluie martelaient mon bouclier, que je peinais à tenir correctement. Un grondement continu me polluait les oreilles. Pire : à cause de l'humidité ambiante, il faisait excessivement chaud. Seul le parfum de la terre mouillée rachetait ces conditions dégueulasses.

Une aventure digne d'un héros de fantasy plus tard, je pénétrai au centre d'adoption. J'avais d'abord songé à attendre le bus pour Edenia, puis m'étais ravisée. Mieux valait attendre que dame nature se calme avant d'aller faire les boutiques. Je refermai mon parapluie et avançai en chuintant vers le comptoir, derrière lequel s'affairait une employée. À ma demande, elle me guida dans une pièce attenante où se trouvaient plein d'adorables petites créatures. Si toutes pouvaient remporter le titre de la bestiole la plus attendrissante du monde, certaines se détachaient du lot par leur couleur, leur forme ou leur énergie.

Au fond, un Sonistrelle cherchait des noises à un Cerfrousse, reproduisant à petite échelle les gestes agressifs des dragons adultes. Sur ma gauche, des Pokémon Plante sommeillaient, affectés par le manque de lumière. Plus près, un Pichu et un Teddiursa se disputaient un drôle de jouet en peluche. Enfin, j'aperçus un Ponyta.

Pour une fois, ce ne fut pas son appartenance au type Feu que je remarquai en premier, mais une espèce de… prothèse ? Attèle ? Orthèse ? Une espèce de machin qui entourait le genou de sa patte avant droite. Avait-il été blessé ? Il ne semblait pas avoir mal et à première vue, cette chose ne perturbait pas ses mouvements.

Je m'approchai de lui avec prudence, peu amène de l'effrayer. Ses petites oreilles remuèrent et il posa sur moi un regard plein de curiosité. Encouragée par son attention, je tendis une main vers lui. Il se secoua nerveusement et poussa un faible hennissement. Les flammes qui formaient sa crinière et sa queue relâchèrent de minuscules braises orangées. Je m'immobilisai et retins mon souffle, espérant que ça l'apaiserait.

Ce fut le cas. Ses flammes s'atténuèrent progressivement. Il avança vers moi ─ je notai alors que je m'étais trompée. Cette chose l'aidait sans doute, mais elle avait un impact subtil sur ses déplacements. La patte qu'elle enserrait ne se mouvait pas comme les autres. Elle ne suivait pas le même rythme, ne prenait pas le même appui au sol. Bien que ce fut subtil, le cheval boitait.

— J'espère que ça ne te fait pas mal, murmurai-je sans trop m'en rendre compte.

Pour toute réponse, le Ponyta s'approcha un peu plus et pencha la tête, comme pour flairer ma main. J'ouvris ma paume, au creux de laquelle il pressa ses naseaux. Un habitué des baies et friandises offertes par les humains, peut-être. En tout cas, cela eut le mérite de me faire sourire.

— Tu es vraiment magnifique, tu le sais ça ? le complimentai-je en levant mon autre bras.

Lentement, doucement, je posai la main contre son encolure. Il se laissa caresser un instant, fermant les yeux à mon contact. Aww. Sa robe était douce et chaude, comme le pelage de mon Goupix. J'adorais la chaleur réconfortante des Pokémon Feu. Ils étaient vraiment comme des petits soleils !

Las de toute cette attention, le poulain s'éloigna. Je m'attendais à ce qu'il retourne auprès de ses camarades, mais non. Au dernier moment, il fit volte-face et me regarda droit dans les yeux, ses prunelles noires fouillant les miennes.

Soudain, il se cabra, poussant un cri déterminé. Suite de quoi il bondit en avant. Pendant quelques secondes, une minute tout au plus, il ressembla à n'importe quel Ponyta. Il galopa fièrement, majestueusement, dans un tonnerre de sabots. Les autres Pokémon s'écartèrent sur son passage et suivirent sa course des yeux, ébahis. Puis il s'essouffla. Il redoubla d'efforts, maintint la cadence un court instant et s'effondra.

Je mis une dizaine de secondes à m'en remettre, choquée par ce qui venait de se passer. Je fis mine d'accourir vers lui lorsque je réalisai, mais le destrier s'était déjà relevé. Il me décocha un nouveau regard débordant de détermination et recommença.

— Non ! Arrête ! m'écriai-je, affolée.

Il refusa de m'écouter. Lancé au galop, le pauvre parcourut quelques mètres supplémentaires avant de retomber. Une fois de plus, il poussa sur ses pattes flageolantes. Doté d'une persévérance hallucinante, il se secoua, expédiant quelques flammèches autour de lui, et s'élança derechef.

— Mais arrête !

Impossible de le raisonner. Cette fois, il ne se donna même pas la peine de se redresser après avoir chuté. Anxieuse, je me précipitai vers lui. Il était exténué. Ses membres tremblaient, son souffle était désordonné. Or l'acharnement brûlait toujours au fond de ses yeux. En soutenant son regard, je compris que ce Ponyta était de ceux qui n'abandonnaient jamais. Il lutterait jusqu'à ce qu'il guérisse ─ pour peu qu'une guérison soit possible. Je m'assis à ses cotés, un tantinet gênée par mes grosses bottes, et réfléchis. Je souhaitais l'apaiser, le mettre en confiance. Hmm… Ah ! Mais oui !

Inspirée, je m'emparai de la sphère d'Alpha et l'invoquai. Comme je le soupçonnais, il me tourna le dos, furieux que je l'aie laissé dans sa Pokéball si longtemps. Je dus m'excuser pour calmer le jeu, mais il fit la sourde oreille. Guh. Mon renard chromatique se montrait bien tenace, aujourd'hui ! D'abord sérieuse, je me mis à le couvrir de promesses et de compliments de plus en plus ridicules pour le faire craquer. Mon petit manège eut finalement raison de lui. Il s'adoucit, amusé, et approcha du cheval pour le renifler. Il s'assit ensuite, approbateur, et engagea une conversation avec l'autre Pokémon Feu.

— Reste avec lui, d'accord ? Je reviens.
— Pix !

Je partis à la recherche d'une infirmière. Je trouvai plutôt un infirmier occupé à ajuster les paramètres des couveuses. Quelques minutes s'écoulèrent avant qu'il me remarque. Je n'avais pas osé le déranger, consciente que la moindre erreur de sa part risquait de coûter cher à ces bébés.

— Besoin d'aide ?
— En quelque sorte ? Bah. Non, pas vraiment. En fait, je me demandais… Qu'est-ce qui cloche avec votre Ponyta ?
— Ponyta ? Il a une malformation à la patte. Au genou avant droit, plus précisément. C'est un ranger qui nous l'a confié. Vois-tu, Ponyta a été séparé de sa horde. Impossible de savoir si son troupeau l'a laissé derrière sans le faire exprès ou s'il l'a abandonné volontairement. Dans la nature, les proies comme Ponyta et Galopa ne peuvent pas se permettre de garder les maillons faibles auprès d'eux. Ils attirent toutes sortes de prédateurs et compromettent la survie de la horde toute entière. Alors ils les écartent. Ils font passer la troupe avant l'individu.
— Par Zacian, mais c'est cruel ! Pauvre petit…
— C'est la nature, corrigea l'homme, pédagogue. Il a de la chance d'avoir survécu jusqu'à ce que le ranger le trouve. Aimerais-tu l'adopter ?
— Vraiment ? Je peux ?
— Bien sûr. Tu n'as qu'à lui demander de te suivre. S'il se laisse capturer, tu devras signer un formulaire d'adoption à l'accueil. Ensuite, tu pourras repartir avec lui.

Je le remerciai chaleureusement et retournai auprès des deux Pokémon. Alpha et Ponyta échangeaient tranquillement. Un sourire attendri aux lèvres, je me rassis derrière mon renard et déposai mon sac à dos entre mes jambes. Avant de l'ouvrir, je confiai mes intentions au cheval.

— Ponyta… Je ne sais pas ce qu'Alpha a bien pu te raconter, mais… Je m'appelle Kalian et je suis apprentie dresseuse. Je t'ai bien observé tout à l'heure et j'admire ton courage et ta persévérance. Tu vois, je me demandais… Aimerais-tu rejoindre mon équipe ? Moi, en tout cas, j'aimerais beaucoup t'accompagner et t'aider à t'épanouir. Je t'entraînerai comme mes autres Pokémon, avec mes autres Pokémon. On trouvera des solutions ensemble. Haha, on surmontera tous les obstacles ensemble ! Comme une famille !

Avant d'enchaîner, je soutirai mes Copain Ball et Luxe Ball de mon sac. Ne sachant pas laquelle il préférerait habiter ─ pour peu qu'il accepte ma proposition ─ je décidai de le laisser choisir et les posai au sol devant lui.

— Alors, qu'en dis-tu ? Acceptes-tu de devenir mon Pokémon ?

Je retins mon souffle et jaugeai Ponyta, qui me regarda d'abord, puis Alpha, puis les boules bicolores. Enfin, après ce qui me parut être une éternité, il asséna un coup de tête au bouton de la Copain Ball. Une lumière rouge l'entoura et il fut aspiré à l'intérieur. La ball verte remua trois fois avant de se verrouiller, validant la capture.

— YES ! m'exclamai-je, heureuse, en ramassant les deux sphères.

Je laissai tomber la Luxe Ball toujours vide dans mon sac et serrai l'autre contre mon cœur. Wow ! J'avais réussi ! Je l'avais convaincu ! Il m'avait accordé sa confiance ! Et dire que j'avais dû mener tout un combat contre Zphen… Certains Pokémon étaient moins chiants que d'autre à capturer, visiblement.

— Bienvenue dans la famille, Messala, dis-je avec bonheur.
— Goupix, pix ! ajouta mon starter, content lui aussi.

Il ne me restait plus qu'à lui présenter mon Grillepattes. Mais ça pouvait attendre. Ravie, je passai remplir ledit formulaire, Alpha sur les talons. Plus je noircissais de champs, plus je songeais aux retombées de cette adoption. M'occuper d'un tel Pokémon était une grande responsabilité. J'allais devoir trouver un équilibre entre son bien-être et ses objectifs. Adapter mes méthodes d'entraînement pour l'inclure sans le surmener. Garder un œil sur les Pokémon sauvages qui pourraient le prendre pour cible. Garder un œil sur nos adversaires qui prendraient inévitablement sa patte handicapée pour cible. J'allais devoir consulter régulièrement, m'assurer que son machin tenait toujours le coup, que son état demeurait stable.

Ouf… C'était un sacré contrat. Mais je pouvais gérer. Je l'avais choisi, à moi d'assumer maintenant. Je m'en sentais capable. Je n'abandonnais jamais, moi non plus. Les défis me motivaient. Je ne m'épanouissais que dans l'adversité, comme les fleurs qui perçaient la neige au printemps. Ouais ! Je pouvais endosser cette responsabilité. Sans problème.

Je confinai mon Goupix pour une seconde fois, consciente que j'allais devoir l'ensevelir d'éloges pour le reconquérir plus tard. Mais ça ne faisait rien. Je ne me sentais plus du tout déprimée. Plus rien ne pourrait me démoraliser aujourd'hui ! J'ouvris à nouveau mon parapluie avant de sortir et bravai l'averse en sens inverse pour regagner l'académie, un nouveau camarade à la ceinture.

Adoption de l'œuf Insecte.

Sept heures trente-huit, un dimanche matin. À ma gauche, Alpha somnolait contre mon vieux Pyroli en peluche. À ma droite, Zphen dormait à pattes fermées, étendu sur le dos le long de ma jambe. Il avait pris l'habitude d'émerger de sa sphère et de nous rejoindre pour dormir, dernièrement. Pour ma part, je paressais devant un documentaire trouvé sur Pokétube. Posé en équilibre sur mes cuisses, mon ordinateur portable diffusait une chaleur qui m'incendiait la peau à petit feu malgré ma couverture. Ça ne me dérangeait pas le moins du monde. J'avais l'habitude des brûlures bénignes. Comparé à elles, ce n'était rien.

Le documentaire en question retraçait les péripéties d'un chercheur ayant suivi un clan de Pyrax et de Pyronille pendant toute une année. Pendant la saison froide, ces flamboyants insectes se retiraient dans des grottes où il s'assoupissaient jusqu'au printemps. Certains Pyrax demeuraient actifs afin de protéger leur espace et défendre les leurs d'une éventuelle menace. Ils alternaient régulièrement, effectuant des tours de garde pour économiser leur énergie. Adorable. Ils étaient adorables. Adorables et rusés, en plus de ça.

Selon les études menées par le spécialiste, tous les papillons et chenilles solaires ne reproduisaient pas ce comportement. Leurs habitudes de vie dépendaient de la région dans laquelle ils étaient nés et avaient grandi. Il était donc possible de dénicher de ces spécimens dans la nature tout au long de l'année, en particulier près des sources de chaleur, dans certains recoins du monde.

Mon cerveau fit instantanément le lien entre lesdites sources de chaleur et le volcan au pied duquel je m'étais rendue quelques jours plus tôt, pour rejoindre Monsieur Gontrand. Je ne comptais pas remplacer mon Grillepattes au sein de l'équipe, mais je ne voulais pas renoncer à mon rêve de posséder un Pyrax non plus. Je fus tentée de partir en randonnée dans les terres pour trouver une larve incandescente, comme je l'avais fait une semaine et des poussières après mon arrivée, mais… Non. Pas aujourd'hui. Braver le froid, même pour réaliser l'un de mes fantasmes, ne me faisait pas envie.

Un poil découragée, je laissai mon regard se perdre et part et d'autre de ma chambre. J'allais devoir déplacer certaines peluches et figurines afin d'accorder un moment de gloire à leurs consœurs. Ramasser la montagne de vêtements qui traînait par terre ne me ferait pas de tort non plus. Même chose pour le rangement de mes bottes et chaussures. Meh… Je commençais à penser comme ma mère.

Mes yeux se posèrent sur la Luxe Ball de Naheera, puis sur la Copain Ball de Messala. Le déclic se fit brusquement : pourquoi ne pas passer au centre d'adoption ? Dans le pire des cas, si je ne trouvais pas de Pyronille sur place, j'aurais tout de même la chance de repartir avec un nouveau Pokémon Feu. Ouais. Ouais ! Allons-y !

Forte de ma décision, je repoussai mon ordinateur et sautai sur mes pieds. Je fis de mon mieux pour ne pas réveiller mes Pokémon, mais échouai lamentablement. Alarmés par le vacarme que je produisais en fouillant dans mon armoire, ils échangèrent un regard lourd de sens. Non mais, de quel droit osais-je les tirer du sommeil comme ça ?

Une fois vêtue, je rassemblai mes affaires et m'équipai contre le froid. Je reconfinai ensuite mon Grillepattes, glissai Alpha sous mon manteau et m'emparai des balls de mes autres Pokémon. Et voilà, il ne me restait plus qu'à cheminer jusqu'à la pension.

Dehors, des nuages couleur acier cachaient le soleil. Il ne neigeait pas, mais des bourrasques glaciales malmenaient les branches nues des arbres. Au sol roulaient des feuilles mortes, vestiges de l'automne presque entièrement décomposés. La terre était dure sous mes pieds. Le vent mordait mes joues, griffait mes doigts, cherchait à s'infiltrer sous mes fringues. J'accélérai un peu, reconnaissante envers mon Goupix pour la chaleur bienfaitrice qui émanait de sa fourrure.

Parvenue au centre d'adoption, je me dirigeai vers le comptoir, emportant avec moi un soupçon de vent et le parfum de l'hiver. Une dame d'une quarantaine d'années s'affairait à l'accueil. J'avançai ; elle leva la tête et posa un regard d'une grande bienveillance sur moi. Derrière ses lunettes œil de chat, ses prunelles marron étincelaient de bonté.

Après m'avoir gentiment saluée, elle me demanda ce qu'elle pouvait faire pour moi aujourd'hui. Je lui renvoyai le bonjour, puis cherchai à savoir s'ils offraient présentement des Pyronille à l'adoption. Mon interlocutrice repoussa ses lunettes vers le haut et pianota sur son ordinateur un moment.

Non. Il n'y avait aucune larve incandescente parmi les Pokémon à adopter. C'était plutôt dommage, mais ça ne m'étonnait pas tant que ça ─ je ne m'attendais pas à trouver un Pyronille aussi facilement que l'on déniche un Minisange à Galar ou un Étourmi à Edenia.

— Cependant, je peux voir qu'on nous a confié un œuf issu de deux Pyrax quelques jours plus tôt, révéla soudain la dame, m'arrachant à mes pensées. Si tu te sens capable d'endosser cette responsabilité, je peux aller te le chercher.
— Vraiment ? m'exclamai-je, agréablement surprise. Bien sûr, j'adorerais prendre cet œuf avec moi ! Merci beaucoup !
— Ah, mais je ne fais que mon travail. Attends-moi ici, je reviens.

La quadragénaire s'enfonça dans les entrailles de la pension. En attendant son retour, je caressai distraitement les oreilles dorées d'Alpha. Mes pensées erraient du coté de mes études et de mon équipe : avec les cours, les devoirs et mes autres Pokémon, trouverais-je le temps de prendre bien soin de cet œuf ? Probablement. Les œufs ne nécessitaient pas énormément d'attention : de la chaleur, quelques mots doux, une étroite surveillance quand approchait l'éclosion et le tour était joué. De plus, Zphen pourrait le tenir au chaud grâce au talent corps ardent. Aww… Mon tout petit Grillepattes enroulé autour de l'œuf. Cette image fit fleurir un sourire sur mes lèvres.

— Le voilà, le petit ! dit la dame en déposant la couveuse sur le comptoir. Plutôt lourd cet œuf, mine de rien. J'espère que tu as les épaules solides, surtout si tu comptes le trimballer dans ton sac.
— Ça devrait aller. Awh par Zacian, j'ai déjà hâte qu'il éclose, haha ! Je retrouvai mon sérieux et ajoutai : Est-ce qu'il faut remplir un formulaire d'adoption pour les œufs, comme pour les Pokémon ?

La paperasse était effectivement nécessaire. Je fis de mon mieux pour contenir mon excitation et indiquer clairement toutes les informations demandées. Cette étape réglée, je pus constater que la dame avait raison : ce Pyronille en devenir était bel et bien lourd. Bon. Tant pis, il fallait assumer maintenant.

Plutôt que de le caler dans mon sac ─ qui n'était absolument pas aménagé pour un œuf ─ je décidai de le transporter dans mes bras. Mon Goupix s'enfouit dans mon capuchon afin de me faciliter la tâche, le tout sans rechigner.

Je saluai la charmante dame de l'accueil avant de refaire le chemin à contresens, non sans accélérer pour échapper au froid mordant. De retour dans ma chambre, je m'appliquai à créer tout un espace conçu spécialement pour ma future chenille. Ceci fait, je la déposai sur son nid de couvertures, attrapai un shojo et m'assis à ses cotés pour lire.

Impossible de me concentrer. Je ne pensais qu'au petit insecte qui se développait sous sa coquille. J'avais si hâte de le rencontrer ! Je délaissai mon manga et plongeai dans mes rêveries. Mâle ou femelle ? Chromatique ou pas ? Quelle nature ? Quelles préférences au niveau du goût ? Quel talent ? Quelles capacités ? Gah, j'avais tellement hâte ! Alpha vint se rouler en boule sur mes genoux, me ramenant sur terre. Il profita de sa proximité pour renifler l'œuf, intrigué. Je souris avec tendresse.

— Un jour, il ou elle va briser sa coquille, comme toi. Et du coup, ça nous fera un ou une nouvel-le ami-e ! Plutôt cool, hein ?
— Pix, Goupix ! approuva Alpha, des étoiles dans les yeux.

Je ris doucement et lui fis quelques gratouilles. Nous étions deux à être impatient, désormais.

Adoption de Salamèche.

Les cours venaient tout juste de prendre fin. Je me faufilai dans la masse d'élèves qui remontait les couloirs, soulagée de pouvoir me concentrer sur autre chose que la matière. Alpha sur les talons, je me rendis à ma chambre afin d'y déposer mon sweatshirt et mes fournitures scolaires. Je m'emparai d'un tote bag dans lequel je glissai soigneusement mon œuf et quelques effets personnels ─ mes clefs, mes sphères, mon porte-monnaie. Le strict nécessaire. Mes affaires rassemblées, je sortis.

Il restait encore quelques jours de printemps, mais la nature ne semblait pas en avoir conscience. Tous les éléments étaient rassemblés pour former une belle journée d'été : ciel d'un bleu profond, nuages inoffensifs, soleil radieux et vent brûlant.

Je me dirigeai vers le centre d'adoption. Mon Goupix marchait à mes cotés, savourant la caresse de la brise chaude dans son pelage. De bonne humeur, je m'arrêtai à quelques reprises pour cueillir des fleurs sauvages en bordure du chemin. Ce fut avec un bouquet de pissenlits, de marguerites et de minuscules fleurs bleues dont j'ignorais le nom que je pénétrai dans l'établissement. Je soupirai d'aise : la température était plus fraîche à l'intérieur. Une radio que je ne pouvais voir diffusait une pièce classique. À la réception se trouvait la quadragénaire qui m'avait confié mon œuf, reconnaissable à son air avenant et ses lunettes œil de chat. Je me rendis au comptoir et la saluai gaiement.

— Bonjour ! répondit-elle, souriante. Bienvenue au centre d'adoption. Laisse-moi deviner : tu viens rendre visite à notre Salamèche.
— Oui, c'est ça, admis-je. Je peux ?
— Oui, vas-y. Oh, mais avant ! Veux-tu un verre d'eau pour y déposer ton bouquet ? Ce serait dommage que tes fleurs fanent.
— Ah… oui, je veux bien ! Merci !
— Pas de quoi. Laisse-les moi, je vais m'en occuper. Tu n'auras qu'à les reprendre quand tu auras terminé. Bonne visite !

Cette femme était une perle. Je la remerciai à nouveau, lui confiai mon bouquet de fleurs et allai à la rencontre de la salamandre de feu.

Je passais la voir chaque jour depuis maintenant deux semaines. Notre premier contact m'avait brisé le cœur. Fascinée par sa flamme, qui dansait gracieusement et traçait des ombres discrètes sur ses écailles orangées, ainsi que par un caillou qu'elle manipulait aussi soigneusement que je maniais mon œuf, je l'avais abordée sans trop réfléchir.

Sa réaction m'avait complètement décontenancée. Le Salamèche avait plongé ses prunelles turquoises dans les miennes, poussé un cri de terreur et pris la fuite.

Confuse et un peu agacée, j'avais choisi de recommencer avec douceur, mais la même chose s'était produite. Déterminée, j'avais tenté de nombreuses approches ce jour-là, redoublant de patience et de délicatesse. Hélas, toutes mes tentatives avaient été infructueuses. Ce n'était rien, vraiment. Un peu déstabilisant, peut-être. Loin d'être découragée, j'étais de retour le lendemain, le surlendemain et le jour suivant.

J'avais naturellement intégré ces visites à ma routine. Au cours des deux dernières semaines, plutôt que de m'occuper de ma chaîne Pokétube et faire mes devoirs à la sortie des classes, je me rendais à la pension. Notant mon intérêt pour le Salamèche, avec lequel je faisais de minuscules progrès jour après jour, une infirmière du centre m'avait finalement raconté son histoire.

Les autorités l'avaient confisqué ─ ainsi que d'autres Pokémon ─ à un chercheur passionné de l'évolution. Or plutôt que de limiter ses recherches aux méthodes évolutives connues, il avait forcé ses cobayes à muter trop tôt, dans des conditions peu propices aux transformations sécuritaires. Ses pratiques immorales avaient débouché sur des horreurs pour certains et des traumatismes pour tous. Les monstres récupérés dans son laboratoire avaient été soignés puis relocalisés. Ceux qui n'avaient pas encore été soumis à ce processus immonde avaient reçu une pierre stase, destinée à les apaiser.

Entendre cette histoire avait approfondi mon envie de l'adopter, de devenir son amie, de lui offrir une vie paisible dans laquelle il pourrait s'épanouir sans tracas. Je ne comprenais pas qu'on puisse faire autant de mal à des Pokémon sur une base volontaire. Et tout ça pour quoi ? Le chercheur impliqué pourrissait désormais dans une cellule et une enquête était en cours.

Passons.

Retour au moment présent. Les rayons du soleil pénétraient par les fenêtres entrouvertes, dessinant des motifs dorés sur le sol. Le Salamèche était assis dans un carré de lumière aux contours incertains, sa pierre stase entre les pattes. J'avançai lentement, le saluai d'une voix douce et m'assis en tailleur à deux mètres de distance.

Mon renard doré fonça le rejoindre. Contrairement à moi, Alpha n'avait aucun mal à aborder son confrère de type Feu. Ce dernier semblait à l'aise avec les autres Pokémon. J'avais eu le bonheur de lui présenter un à un les autres membres de mon équipe. Pour des raisons nébuleuses, il avait semblé fort intrigué envers Lyrei et Messala.

Fidèle à mon habitude, j'entrepris de lui raconter ma journée. Je mentionnai les fleurs sauvages que j'avais cueilli et lui donnai des nouvelles de mon Passerouge chromatique. Les plumes qu'elle avait perdues lors de sa capture repoussaient à bon rythme. Lyrei serait bientôt en mesure de combattre à nouveau ─ mais pas avant de se sentir prête, insistai-je.

Au bout d'un moment, le Salamèche recentra son attention sur mon Goupix. S'ensuivit une conversation entre Pokémon dont je ne comprenais absolument rien. J'eus le sentiment qu'il était question de moi ─ une impression que corroborait leur manière de me regarder avant de reprendre leur discussion, au calme. Un sourire fleurit sur mes lèvres. Je n'étais clairement pas dans le secret d'Arceus, mais ça ne changeait rien. Tant qu'ils s'entendaient bien, ça me suffisait.

Leur échange cessa lorsque la salamandre de feu sauta sur ses pattes. Je clignai des yeux, surprise par sa vivacité. Il ne m'avait pas habituée à tant d'énergie, se montrant plutôt effacé d'ordinaire. Alpha l'accompagna tandis qu'il faisait un premier pas dans ma direction. Puis un autre, et encore un autre, et ainsi de suite. Au bout d'un moment, mon renard vint s'asseoir près de moi et encouragea vocalement le Salamèche à le rejoindre.

Je me figeai. Il continua d'avancer, réduisant progressivement la distance qui nous séparait. Il fut bientôt tout près de moi ; si près que j'aurais pu le toucher. Ma vision s'embrouilla d'un coup, floutée par des larmes de joie. Je me sentais déjà choyée qu'il accepte de recevoir ma visite chaque jour, d'écouter mes anecdotes et de socialiser avec mes Pokémon, alors ça ? Par Zacian… Ça, c'était énorme.

Lente comme un Ramoloss, je levai une main pour essuyer mes yeux.

— Hey… soufflai-je avec peine, la boule au fond de ma gorge affectant mes inflexions. Salut, petit cœur. Tu vas bien ? Haha. Hm… Écoute, euh… Je ne sais pas… Peut-être qu'il est encore trop tôt pour te le proposer mais… Allez, j'essaie.

Toujours avec des gestes calculés, je plongeai la main dans mon tote bag et en soutirai une Pokéball classique. Je la déposai devant le Salamèche, qui se raidit. Lorsqu'il fut certain que je ne comptais pas le toucher, il se détendit. Sa confiance en moi était plus solide qu'au début, mais elle n'en demeurait pas moins fragile, aussi délicate que mon bouquet de fleurs sauvages.

— Comme je le disais… il est peut-être encore trop tôt pour ça, mais… Si tu veux… et seulement si tu veux, hein, si tu te sens vraiment prêt à le faire… Je te propose de rejoindre mon équipe. Tu verras mes autres Pokémon tous les jours. Tu pourras te balader dans la nature avec nous et… et pourquoi pas combattre, si c'est ton truc ! Je prendrai bien soin de toi, je te le promets.
— …mèche.

Un long moment s'écoula. J'eus l'impression qu'il me jaugeait, comme s'il cherchait la faille dans mon discours. Un double-sens, un mensonge. Ses prunelles turquoises luisaient de méfiance, puis de curiosité, puis de méfiance à nouveau. Indécis, il consulta Alpha du regard. Pour toute réponse, mon Goupix hocha tendrement la tête. Son camarade poussa un autre « …mèche. » et appuya enfin sur la Pokéball.

Je retins mon souffle, redoutant qu'il change d'avis et lutte pour ressortir. Mais non. La sphère remua trois fois et se verrouilla, validant la capture. Une nuée de Papillusion s'affola dans mon ventre. J'avais réussi. Après deux semaines d'idées foireuses, de vaines tentatives, d'avancées au compte-goutte, j'avais enfin réussi. J'avais réussi ! J'avais réussi ! Aaah par Zacian, j'avais réussi !

Décidément, le débordement de joie qui suivait l'obtention d'un nouveau Pokémon ne me quitterait jamais… et c'était tant mieux. J'étais sincèrement heureuse de ce dénouement. Excitée comme un Statitik, je ramassai la sphère, me redressai et me ruai vers la réception.

— J'ai réussi ! m'exclamai-je, radieuse.
— Mais bien sûr que tu as réussi, répondit la quadragénaire en riant. Je n'en doutais pas une seconde. Alors, comment vas-tu le nommer ?
— Tian. J'ignore si son ancien… maître… lui avait donné un surnom et je ne veux pas le savoir. À partir de maintenant, c'est Tian.
— Tian ? C'est mignon. Tiens, voici le formulaire d'adoption. Je vais chercher tes fleurs en attendant que tu le remplisses.
— Super, merci !
— Ah, mais je ne fais que mon travail, répondit-elle en me gratifiant d'un clin d'œil.

Elle s'éloigna en chantonnant. Tout sourire, je me penchai sur la paperasse.