Psychiatrie - Théorie - La Kleptomanie [Mégami-Niamh-Klaus] / Fini

Flûte alors. Elle en avait trop dit.
Comme elle s'y attendait, la question de Megami n'avait pas réellement de rapport avec le sujet du cours, aussi fut-elle agréablement surprise quand le professeur Kaiten lui demanda de préparer ce sujet pour la partie pratique du cours.
Agréablement surprise, jusqu'à ce qu'il commence à expliquer en quoi consisterait ce devoir.
Les consignes furent longues, très longues, et Megami, qui sentait un poids de plus en plus lourd se mettre sur ses épaules à chaque phrase prononcée par le psychiatre, s'empressa de prendre en note les modalités du devoir, en ne laissant rien paraître même si elle sentait clairement perler la petite goutte de sueur le long de son front. Toutefois, cette requête lui posait un bon nombre de problèmes de conscience, entrant en contradiction avec des valeurs qui lui étaient inculquées depuis toute petite. Elle connaissait bien les caractéristiques de Larcin pour avoir un peu étudié cette attaque, mais toute cette étude était restée dans le cadre du match Pokémon, jamais la pensée de dérober le bien d'une autre personne par ce biais ne lui avait effleuré l'esprit auparavant. Pas de son fait, en tout cas. Elle n'avait jamais rien volé de toute sa vie, et l'idée de le faire même pour un exercice la rendait mal à l'aise.
Eprouvant un respect et une obéissance peut-être encore un peu trop grands pour défier cette autorité que représentait un professeur, elle commença à essayer de se convaincre que c'était pour son bien, sa progression en tant que dresseuse.
Mais elle n'eut de toute façon pas le temps d'y réfléchir très longtemps puisqu'une autre parole de M. Kaiten la dérangea assez, si bien qu'elle arrêta d'écrire pendant quelques instants, avant de reprendre la course effrénée de la mine de son stylo sur le papier. Elle n'avait absolument pas envie non plus d'être dispensée de la partie écrite sous prétexte qu'elle avait réussi un exercice pratique, et encore moins d'obtenir des points bonus pour avoir volé des objets de valeur. Elle ne savait déjà pas si elle pourrait se pardonner de dérober des choses importantes et personnelles...

Elle ne pouvait décemment pas accepter toutes les conditions de cette tâche. Et maintenant que le professeur avait bientôt fini ses explications et ses consignes à toute la classe, elle allait pouvoir le lui dire et négocier un peu les termes de ce...

-Oui.

Ah bah non alors ! Pas comme ça Megami, pas après tout ce à quoi tu as réfléchi !
Bon. De toute évidence, la dresseuse n'avait pas encore acquis l'insolence nécessaire pour refuser un devoir donné par un enseignant en plein cours, devant tout le monde, ce qui aurait gêné la progression de la leçon selon elle. Elle se contenta de penser que ce n'était pas bien grave et qu'elle irait voir le prof' Kaiten à la fin du cours pour lui parler un peu de ça.
Ce « Oui », bien qu'ayant été lancé d'une voix paraissant assurée afin de masquer ses réelles pensées, elle l'avait tout de même émis sans regarder l'orateur dans les yeux, action qu'elle faisait pourtant de manière systématique lorsqu'elle avait une conversation très sincère avec un autre individu. Pour celui qui avait un œil avisé, cela témoignait très bien de son combat intérieur.
Sans ajouter un mot, la blonde aux yeux bleus posa son stylo et se redressa correctement au fond de son siège, en croisant les bras, pour écouter les réponses données aux deux autres questions mais en restant assez perturbée par le devoir qu'on venait de lui confier.

Ces réponses, venant des élèves nommés Niamh pour la fille en robe rouge, et Klaus pour le garçon à la question indispensable de début de cours, se transformèrent bientôt en conseils, qui semblèrent véritablement se diriger tout droit vers la première citée, bien que les mots employés visaient clairement l'entièreté des élèves présents dans cette classe. Il en faisait peut-être un peu trop, pensait alors Megami. S'il insistait aussi lourdement ainsi, tous les autres risquaient de finir par penser que Niamh était réellement une voleuse intentionnelle, alors qu'elle n'avait fait que poser une question.

Heureusement pour celle-ci, le professeur âgé cessa ce comportement rapidement et reprit son cours de plus belle, en parlant des traitements possibles pour la kleptomanie, qui n'étaient... visiblement pas nombreux. Mais avec toutes ces explications, la Hells comprenait de mieux en mieux cette maladie et réalisait à quel point elle devait être handicapante pour les personnes qui en étaient touchées. Cela lui fit d'ailleurs penser à des concepts qu'elle avait appris il y a peu en lisant la revue Mentaligue, magazine consacré à l'état d'esprit nécessaire pour faire partie des meilleurs. Et en l'occurrence, il s'agissait des principes de motivations intrinsèques et extrinsèques.
Etant donné que penser à cela lui permettait d'oublier temporairement le conflit interne qu'elle vivait, elle en profita pour lever la main et poser une question quand Kaiten eut fini son discours.

-Excusez-moi... en fait, le vol simple est lié à une motivation extrinsèque, on vole parce qu'il y a quelque chose à tirer de ce vol ; alors que la kleptomanie est liée à une motivation intrinsèque, on vole pour la satisfaction que nous procure cette activité en elle-même ; c'est ça ? Donc traiter la kleptomanie, c'est un peu comme tenter de faire arrêter une passion à quelqu'un ?

Comme prévu, cette question lui permit de faire abstraction des quelques regards intrigués qui lui étaient parfois accordés par certains élèves, sachant qu'à partir de maintenant ils pourraient à tout moment se faire voler leurs biens par cette fille qu'ils n'avaient jamais vue avant. Ce n'était pas forcément la question la plus utile du cours non plus, et elle n'aimait pas beaucoup prendre la parole devant tout le monde en cours... mais cette situation lui était largement plus supportable que celle qui était en place dix minutes plus tôt.

L’ambiance s’était tendue à la suite de ce devoir, offert à Megami par son nouveau professeur. Les yeux et les oreilles de chacun se sont ouverts et le visage de la jeune dresseuse était désormais enregistré dans la mémoire de la plupart des étudiants. Dans la classe, on pouvait sentir la formation progressive de cette tension. Son élève avait tout intérêt à se faire discrète et à rester fair-play avec ses camarades. Mais de toute façon, peu lui importait. L’essentiel était de voir ce que Megami retirerait de tout ceci. Le reste n’était qu’accessoire. En attendant de voir le résultat de son travail, l’intéressée posa une dernière question :

-Excusez-moi... en fait, le vol simple est lié à une motivation extrinsèque, on vole parce qu'il y a quelque chose à tirer de ce vol ; alors que la kleptomanie est liée à une motivation intrinsèque, on vole pour la satisfaction que nous procure cette activité en elle-même ; c'est ça ? Donc traiter la kleptomanie, c'est un peu comme tenter de faire arrêter une passion à quelqu'un ?

Encore un raccourci fait de façon presque aléatoire. Il fallait donc souligner le point important.

« Je comprends votre parallèle, mais celui-ci est erroné. Lorsque vous pratiquez une activité qui soit votre passion, quelle soit sportive ou créative, vous en tirez effectivement une satisfaction particulière. De la même façon, se droguer ou avoir besoin de sa dose quotidienne de sport ou de sexe peuvent vous apporter une satisfaction particulière. Pourtant, aucun de ces deux mécanismes : la pratique d’une passion ou la satisfaction d’une dépendance, ne peuvent être comparés à la kleptomanie. Si certains mécanismes neurologiques, notamment au niveau de la récompense et du plaisir peuvent être les mêmes, c’est le mécanisme déclencheur qui est totalement différent. Dans la kleptomanie, nous parlons là d’une impulsion, irrémédiable, irréversible, quelque chose qui n’a ni logique ni volonté. Quand vous pratiquez votre passion, vous le faites par envie, par intérêt personnel dans cette activité. Quand vous satisfaites une addiction, vous le faites par souffrance dû au manque. Ces besoins sont donc logiques et ils se construisent au fil du temps. Le besoin de voler d’un kleptomane est aléatoire et immédiat. Ses déclencheurs peuvent varier en fonction de chaque individu et surtout, s’il y a en effet une notion de satisfaction, celle-ci n’est pas recherchée par le voleur contrairement au cas des addictions. Un kleptomane ne sait par nature pas pourquoi il a volé un objet. L’objet ne lui sert à rien, le vol en lui-même ne lui a servi à rien. La satisfaction n’a fait que répondre à l’impulsion et n’est pas le but recherché. Gardez bien en tête cette notion. »

La sonnerie se mit à retentir à peine quelques secondes après que le professeur eut terminé son explication. Un timing bien singulier s’il en est. Autorisant les élèves à partir, il s’installa à son bureau et commença à écrire rapidement un mot sur un morceau de papier qu’il plia avant de le donner à Seriha. Celle-ci compris d’instinct à qui ce petit mot était destiné et le délivra discrètement dans le sac de la destinataire par télékinésie. Un petit mot simple, mais lourd de sens :

Citation :

« La prochaine fois que vous vous adresserez à un professionnel de santé, évitez les phrases du style ‘Mon ami a des problèmes d’érection’. »

Une fois le mot délivré, Drew commença à ranger ses affaires et à nettoyer le tableau, restant ainsi disponible en cas de questions de dernière minute.

D'accord, donc en fait la kleptomanie c'était vraiment une pulsion complètement incontrôlable, et c'est ce point qui la différenciait majoritairement d'une passion. La volonté, l'engagement en quelque sorte. La pratique d'une passion était un choix conscient contrairement à ce genre de comportement. Bon, cette fois, c'était bien compris ! Elle se doutait qu'il existait d'autres différences encore, mais celle-ci semblait être la plus grande.
Les explications de M. Kaiten étaient précises, détaillées et ponctuées d'exemples, ce qui aidait vraiment à l'assimilation de la leçon. Encore une fois, Megami fut satisfaite d'avoir participé à un cours enrichissant, alors qu'il n'était pas spécialement parti pour l'être, avec un professeur compétent. Cela semblait être le cas de nombreux professeurs ici, et pourtant ils possédaient tous des méthodes d'enseignement très différentes.

D'ailleurs, presque comme si cela avait été calculé du début à la fin, la sonnerie retentit juste après la fin de le réponse à sa question. Ce cours était passé très vite ! Avant d'y participer, elle aurait plutôt pensé qu'un cours de psychologie passerait plutôt lentement, mais il n'en fut rien. Peut-être était-ce parce qu'elle avait pris la parole, alors qu'elle n'en avait pas l'habitude ?

Quoiqu'il en soit, les élèves déguerpirent dès qu'ils purent, et Megami en profita pour les observer chacun passer la porte, en essayant de mémoriser le maximum de visages qu'elle pouvait. Si eux, leur partie du travail était assez simple car ils devaient simplement se méfier d'elle, de son point de vue, c'était une autre paire de manches... elle n'avait pas pour habitude de retenir les têtes des élèves de sa classe parce qu'elle trouvait ça plutôt inutile, alors devoir se rappeler d'autant de garçons et filles d'un seul coup pour un devoir important, c'était très compliqué pour elle.

Une fois que le dernier élève, sans la compter bien sûr, quitta la salle de classe alors que Megami achevait de ranger ses affaires, elle se leva quand rien ne resta sur son bureau et se dirigea vers le bureau du professeur, d'un pas qui se désirait assuré, mais qui semblait beaucoup hésiter à s'en aller vers la porte de sortie en réalité.
Le fait de ne plus être assise à sa table lui donna l'audace qui lui avait manqué pendant le cours, pour interpeller le professeur finissant de ranger son matériel.

-Excusez-moi...

Après s'être assurée d'avoir obtenu l'attention du psychiatre, elle balaya les derniers doutes qui lui restaient et laissa ses paroles exprimer l'honneur qui se trouvait au fond de son âme, en la faisant parvenir à établir un contact direct droit dans les yeux de son interlocuteur et parler sans doute, d'une voix très claire.

-Je vous avoue que j'ai un problème de conscience avec le devoir que vous m'avez donné. Je comprends qu'apprendre à utiliser Larcin est un bon entraînement et c'est pour ça que même si j'aurai du mal à m'y résoudre, je ferai ce devoir...

Et encore. Elle avait déjà réfléchi instinctivement à une astuce pour éviter que les personnes volées pensent avoir perdu leur objet ou qu'il leur a vraiment été volé, par exemple en trouvant un moyen de leur transmettre que ce vol venait bien d'elle et qu'ils pourraient retrouver leurs biens au prochain cours. Elle ne pouvait pas se permettre de laisser des individus dans le doute, surtout s'il s'agissait d'un objet qui leur était précieux.

-...mais si je réussis, j'aimerais quand même passer l'épreuve écrite et la théorie comme tout le monde. Je pense que l'apprentissage de Larcin sera une récompense suffisante pour cet exercice, et puis, je ne pense pas que ce soit sain de me récompenser pour avoir volé des innocents.

Ouf, elle y était parvenu. Elle avait su dire ce qui la tracassait de bout en bout, sans hésiter une seule fois.
Mais à présent qu'elle avait fini cette explication, comme si elle avait accompli sa mission et qu'elle pouvait se reposer, elle sentit cette audace la quitter petit à petit, l'amenant ainsi à conclure sur une phrase qu'elle n'avait pas prévue de sortir au départ, pour ne pas atténuer l'impact de son petit discours.

-Enfin, en tout cas, c'est ce que je crois.

Une phrase courte et simple, énoncée simplement pour ne pas paraître insolente envers un professeur.

Une fois de plus, la réponse du professeur fut complète, mais également complexe. Il soulevait encore plus de questions qu'il ne donnait de réponse, mais peut-être était-ce justement là une façon de procéder des psychologues ? Megami n'en avait jamais consulté un alors elle ne pouvait pas savoir.
Elle était parfaitement au courant que l'usage des Pokémon ne se limitait pas au cadre compétitif, toutefois, il était vrai qu'elle avait toujours eu l'idée en tête de devenir dresseuse et d'essayer d'en vivre, restant donc dans le cadre strictement stratégique. Tout comme les Pokémon en eux-mêmes : elle savait bien qu'ils étaient des êtres vivants, pensaient et ressentaient des émotions comme les humains, et les aimait en tant que tels, mais cette discussion commençait peut-être à lui faire réaliser qu'elle se considérait comme « en dehors de tout ça », comme si la vie quotidienne et le combat Pokémon étaient distincts. Comme si, sous prétexte de faire partie d'un monde d'optimisation bien réglé et contrôlé, elle devenait imperméable à tout ce qu'il se passait à l'extérieur, lorsqu'elle entrait dans une arène. La réalité était-elle plus compliquée que ce qu'elle voyait à travers les écrans qui retransmettaient les matchs de haut niveau qui la fascinaient tant ? Serait-il possible qu'elle commette un jour un acte immoral en match officiel, sans s'en rendre compte, pour son adversaire comme pour son partenaire ?
Si le but du prof' Kaiten était que la dresseuse réfléchisse et se remette en question, eh bien il y était parvenu rien qu'avec ses premières phrases, et Megami n'avait même pas tenu rigueur de la franchise de ses propos tellement son esprit était occupé par ses pensées.

Bien qu'un bon nombre de questions apparurent en elle, cette discussion lui donna la certitude d'une chose : ce problème de conscience était exactement la raison pour laquelle elle devait effectuer ce devoir. L'occasion de voler quelqu'un sans conséquence pour les deux partis n'était pas une occasion qui se manifesterait tous les jours ; elle, avait la chance de pouvoir réaliser cette action dans le cadre d'un cours et sous la direction d'une personne qualifiée, lui permettant ainsi d'explorer une facette encore inconnue de sa personnalité. On lui avait inculqué comme valeur que le vol, c'était mal, en gros, et effectivement objectivement parlant, elle avait toutes les bonnes raisons du monde à considérer cet acte comme malveillant la plupart du temps. Mais que ressentait-elle au fond d'elle, vraiment ? Cet exercice lui permettra sans aucun doute de le découvrir, ou au moins de lui donner une piste.
En fait, plus généralement, ce devoir lui autorisait une confrontation directe avec le vol afin d'être en mesure de bien l'étudier, plutôt que l'esquiver sur fond de simple morale. Et c'est grâce à cette réflexion que l'apprentie dresseuse prit conscience de l'habileté avec laquelle ce professeur avait conçu ce cours et ce devoir ; peut-être même avait-il préparé ce dernier au préalable en se doutant qu'un dresseur participant à son cours poserait à un moment ou un autre, une réflexion sur l'aspect stratégique et l'attaque Larcin ? En tout cas, la dresseuse trouvait cette façon de lier théorie et pratique très intelligente.

Honnêtement, au moment d'engager cette conversation, Megami s'attendait vraiment à avoir une réponse un peu passe-partout du style « ne vous en faites pas c'est juste un exercice », et sortir de la salle de classe après un « D'accord merci monsieur » froid et sans conviction. Cependant, on pouvait très clairement observer que cet échange l'avait faite réfléchir et avait été au delà de ses attentes.

-D'accord... je vois. Je pense vraiment que j'ai mieux compris. Merci beaucoup pour ces explications.

Son regard en disait long, un regard qui montrait qu'elle avait parfaitement compris ce qu'elle avait à faire alors qu'elle ne s'était jamais posée autant de questions sur elle-même en même temps.
Se dirigeant vers la sortie de la salle de classe, elle adressa une dernière salutation à M. Kaiten en ouvrant la porte, d'une voix un peu plus forte pour combler la distance.

-Au revoir !

Elle lança également rapidement un regard et un bref sourire à Mélodia, puis s'en alla. Cette conversation ne dura que quelques minutes, mais les autres élèves étaient bien entendu déjà partis. Elle aperçut de loin toutefois assez vite les deux élèves qui avaient pris la parole avec elle, et qui s'appelaient... Niamh et Klaus, si elle se souvenait bien. Ils avaient l'air de passer du bon temps ensemble. La formation d'un nouveau duo, peut-être ?
Etant les élèves qu'elle avait le mieux retenus, au moins un des deux y passerait certainement...

Bon, inutile de penser à tout ça maintenant, elle allait reposer ses méninges pour le reste de la journée et se mettrait à y réfléchir le lendemain, avec un cerveau frais. La nuit porte conseil !

Après les avoir observés fugacement pour ne pas paraître trop suspecte, Megami poursuivit donc ses occupations habituelles.