Juste à l'heure pour le thé [Lavande] [Fini]

     Je m'étais levé avec enthousiasme aujourd'hui. Je la sentais bien, cette journée. La météo était parfaite pour travailler dans des conditions parfaites. La pièce où je travaillais était ensoleillée, baignée dans une lumière chaleureuse très agréable. Et je n'avais toujours personne qui venait. Je préfèrerais avoir du monde mais... Profiter d'un peu de tranquillité et de calme n'était pas de refus.

     J'avais quand même l'espoir de recevoir un élève perdu, curieux d'avoir désormais à sa disposition un nouveau psy scolaire. Des élèves mal en point ou désorientés, c'était plutôt commun, non ?

     Peut-être n'osaient-ils tout simplement pas franchir la porte. Je devrais probablement demander à Althéa de monter la garde pour attirer des patients ? Les évolutions d'Evoli étaient populaires, après tout.

     Ou alors, mon nom de famille évoquait tout simplement plus le nom d'une serre sans intérêt pour le commun des mortels plutôt qu'un thérapeute amateur de "tea party", dans l'attente d'avoir enfin du travail. Travail autre que d'éplucher les articles scientifiques sur les toutes nouvelles découvertes en vogue.

     Je soupirai, puis me massai les tempes, restant confortablement installé à mon bureau. La Mentali bougea les oreilles. Quelqu'un semblait approcher. Était-ce seulement quelqu'un qui se baladait ? Non, les pas s'approchaient. Mon visage s'illumina. On frappait à la porte. Je répondis avec un douceur un petit : "Entrez.", sans vraiment me rendre compte si la personne se trouvant derrière la porte avait pu entendre. Encore un point à travailler.

     L'élève franchit le pas de la porte timidement. Hm, un élève probablement en dernière année ? Pas loin, du moins. Il allait probablement me parler de son avenir. Il semblait très hésitant. Peu de chance qu'il soit ici pour des raisons médicales. Probablement quelques tracas dont il voulait discuter.

     Bien.

     Commencer mon travail de praticien sur des sujets relativement légers m'allait.

     "Bon...Bonjour."

     "Bienvenue. Tu peux t'asseoir, je vais préparer quelque chose à boire."

     Je me levai et fit bouillir de l'eau. Pour cette séance, ce sera du thé noir chaï. Un mélange de thé noir et de quatre épices bien particulières. Cardamome, muscade, gingembre et cannelle. L'odeur était prononcée, mais cela avait des vertus apaisantes. En plus de revigorer, lorsqu'on a un coup de mou.

     Je servis deux tasses fumantes et les déposai sur le bureau, reprenant ainsi ma place et ouvrant mon carnet de notes, un stylo-plume coincé entre mon majeur et mon index.

     "Je vais dans un premier temps prendre ton nom, et nous pourrons commencer."

     Je ne passais pas par quatre chemins. J'étais plutôt franc et direct. Sans brusquer mon patient, naturellement. J'essayais de faire faire en sorte qu'il soit à l'aise, c'était la moindre des choses. D'autant plus que je ressentais une certaine appréhension chez lui. Mon Mentali vint s'allonger sous sa chaise, ayant ressenti cela également. C'était sa manière à elle de réconforter les gens.

      "Morgan Miller, dixième année, filière dresseur."

     Je pris quelques notes dans mon carnet. Notamment pour me rappeler de son nom en cas de trou de mémoire. Althéa se montrait très sociable avec lui. C'est qu'il devait être très proche des Pokémon. Elle avait le don de sentir les personnes gentilles et attentionnées.

     Le jeune homme semblait hésitant. Mais il avait l'air de se détendre, c'était déjà ça. De mon côté, j'étais serein, comme à mon habitude. L'être était important. Il fallait toujours avoir de bonnes ondes en tant que thérapeute. Sinon, le transfert psy-patient ne pourrait pas se faire. Et la thérapie, risquerait d'être contre-productive. Un mauvais transfert risquait de détruire un patient dans la plupart des cas. Et ce n'était pas souhaité. J'avais conscience de cela. Alors je faisais en sorte d'apporter un maximum de positivité.

     "Je… sais pas trop par où commencer, en fait."

     "C'est normal, je te rassure. Je serais dans le même cas, à ta place."

     Je ris doucement, sans une seule pointe de moquerie. Tous les patients ou presque disaient ça en premier lieu. C'était mon rôle de débloquer la situation, dans un premier temps. Ensuite, le reste du travail sera de son ressors. Je n'aurai plus qu'à répondre à ses questions et à tenter de lui donner des conseils.

     "Tu pourrais commencer par me raconter ton parcours. Ton enfance, par exemple ? Le milieu dans lequel tu as grandis, également. Ou tout simplement me parler de toi. De tes passions, de tes amis, de tes rêves d'avenir ou de tes craintes... C'est très libre. Et si tu veux aborder un sujet en particulier, je serai à ton écoute. Il n'y a pas de règle précise. C'est toi qui décides."

     Je lui avais tendu une perche, si j'ose dire. Plusieurs, même. Il n'avait plus qu'à en saisir quelques unes, au choix. J'évitai par ailleurs de trop le regarder dans les yeux, de peur de l'intimider. Je faisais parfois quelques allers-retours, entre son visage, mon écran d'ordinateur présentant mon agenda (vierge) et ma tasse en porcelaine de Romant-Sous-Bois.

      Avant qu'il commence à s'exprimer, je pris déjà quelques notes. La parole était importante en psychothérapie, mais les gestes et regards avaient eux aussi une explication. Je notai dans un premier temps "manque de confiance en lui ?", dès que je vis qu'il baissât les yeux sur son breuvage. Enfin, la couleur de celui-ci était agréable à la vue, il ne fallait pas surinterpréter. Mais j'étais sûr que ce jeune homme avait besoin de prendre confiance en lui et de s'affirmer. Même avant qu'il ne prenne la parole, cela coulait de source.

     Je le laissai parler, sans un mot. Je ferai un compte rendu plus tard, si j'ai quelque chose à lui apporter. Reste-t-il que je ne pouvais que compatir et comprendre le rôle d'"héritier" qu'il portait sur ses épaules. J'étais aussi fils unique et j'aurais dû avoir de grosses responsabilités. J'aurais dû forcément me marier et avoir des enfants. Alors que le mariage n'était pas quelque chose que je portais dans mon cœur... Et que je préférais avoir des Pokémon plutôt que des enfants pas forcément désirés.

     Il souffrait également de l'absence de ses parents. Compréhensible. Un enfant a besoin de ses parents comme figures rassurantes. C'était primordial au bon développement. Cependant, les enfants de familles aisées n'avait ironiquement pas le luxe d'avoir autant d'affection parentale que les familles plus modestes.

     Le problème étant que cela aboutit à une incompréhension mutuelle. Les parents n'ayant pas appris à connaître leurs enfants, se retrouvent souvent confrontés à ce que leur progéniture veuille un parcours de vie diamétralement opposé au leur.

     Les parents ne savent également pas ce qui est le mieux pour leur enfant. Même s'il pense le savoir, ils se trompent souvent. Ils vont par ailleurs confondre le bonheur de leur enfant avec leur propre bonheur. Simplement car ils n'ont pas appris à faire preuve d'empathie pour leur "descendant".

     Le jeune Morgan Miller, par ailleurs, ne savait pas vraiment ce qu'il voulait faire. Il était en dernière année, et je savais qu'il était courant d'être perdu. Notamment en fin de parcours. Il avait encore le temps avant de devoir se décider, dans tous les cas.

     Oh. Comme je m'en doutais, il était comme moi sur un autre point. Il était homosexuel. Encore un autre point compliqué pour lui. Je vois. Encore quelque chose de difficile à accepter pour une famille disons, "conservatrice". Quoique de nos jours, cela passait mieux. Mais dix ans en arrière, c'était tout de même différent.

     "Cela fait beaucoup de choses, en effet."

     Je sortis une boîte métallique contenant des gâteaux faits maison. Il était parfois épuisant d'extérioriser. Il lui fallait un peu de sucre pour le requinquer ! Puis Althéa, dans toute sa splendeur, grimpa sur les cuisses de mon patient pour s'allonger dessus en boule. Elle avait marqué son territoire.

     "Pour commencer, je te dirai que tu es très courageux d'être venu ici pour en parler. Je pense que tu portes beaucoup trop de responsabilités sur tes épaules. Des responsabilités qui ne sont pas les tiennes, qui plus est. Tu n'as pas choisi de naître dans une famille aisée avec beaucoup de responsabilités, c'est indéniable."

     Je terminai ma tasse qui commençai à être tiède avant de reprendre :

     "N'oublie jamais que ton avenir, c'est à toi d'en décider. Le plus important, c'est ce que toi, tu veux. Et tu ne seras jamais forcé de faire quoi que ce soit. Tu es un jeune adulte. Tu as le droit de décider de ce qui est le mieux pour toi. Et quant à ton petit ami, ne te sens pas obligé de leur en parler. Prends ton temps et lance-toi quand tu seras prêt. Rien ne presse vraiment."

     Finalement, je n'avais pas pris beaucoup de notes, étant donné que tout ce qu'il m'avait raconté me parlait.

     "Si un jour tes parents ont la possibilité de venir ici, je pourrai toujours les recevoir pour leur expliquer la situation. Parfois, il suffit d'un tiers neutre pour aider les gens à comprendre. A toi de me dire si cela te conviendrait. Avant cela, je ne peux que te proposer des rendez-vous individuels quand tu en auras besoin. Ma porte sera toujours ouverte."

     Je conclus avec un petit sourire avant de reprendre :

     "Des questions ?"

      "Je… dois m’imposer un peu plus, oui, je suppose. Plus que je ne le fais déjà. Pour leur faire comprendre."

     C'est triste à dire, mais oui. Même si en théorie, c'est à ses parents de faire de gros efforts de compréhension, c'est tout de même Morgan qui devra les faire, ces efforts. Une réalité que je trouvais bien injuste.

     "Et euh… Pour votre offre eh bien… Pourquoi pas, mais je ne pense pas que l’occasion se présentera de sitôt."

     "Ce n'est qu'une proposition de ma part, je n'oblige personne à venir. Et nous avons encore plusieurs mois devant nous."

     Oui, parce qu'après, il allait être normalement diplômé. Et normalement, je ne le reverrai plus en tant que patient. A moins qu'il soit employé ici. Enfin, un patient qui ne revient pas est un patient guéri, j'imagine.

     "Merci, en tout cas. Je sais que c’est votre travail, mais… voilà."

     Un travail ? Oui, en effet. Je ne voyais pas entièrement ça comme un travail, à y réfléchir un peu plus. Je voyais surtout ça comme une vocation. J'avais toujours aimé aider les autres. Et cela me rappelait la première personne que j'aidais... Hya.

     Même après neuf ans, je pensais toujours à lui. Il avait été plus aisé d'oublier le reste de ma famille. Mais j'en étais si proche. Il était mon cousin, bien qu'aucun lien de sang ne nous lie. Plus qu'un cousin, même. Presque un frère. J'étais fils unique, donc Hya permettait de combler ma solitude. Et je l'aimais beaucoup. On était très différent, mais il y avait comme une alchimie entre nous. Un peu comme des jumeaux. On avait presque un an d'écart, mais c'était ainsi que je le voyais.

     J'aimerais tellement le revoir, mais il ne m'accepterait probablement jamais. Et même s'il m'acceptait, comprendrait-il que je l'ai laissé tomber égoïstement ?

     En tout cas, il devait avoir beaucoup grandi et changé.

     Enfin. Je sortis de mon silence afin d'éviter que cela soit extrêmement gênant :

     "Je t'en prie. Tes remerciements sont tout de même appréciés. Je n'accepte que ça comme payement."

     J'étais payé par l'établissement, en même temps, en terme d'argent.

     "Je te propose qu'on s'arrête ici pour cette fois. Reviens dès que tu as une question ou un doute. Je n'ai pas beaucoup de monde pour l'instant."

     Et surtout, qu'il n'hésite pas à me faire un peu de pub. Qu'on évite de croire qu'ici, c'est une serre. Peu de gens s'intéressaient à la botanique, malheureusement. Donc je passais parfois des demi-journées entières sur mon sofa à lire et boire du thé. Peu constructif, n'est-ce pas ? Je n'aimais pas être payé à rien faire.

     Je serrai la main à Morgan en signe d'aurevoir, ravi de cette toute première séance. En plus d'être sa première séance, c'était aussi la mienne. Althéa le laissa partir avec difficulté, mais retourna tout de même dans son panier.