Le voyage depuis Frimapic avait été plutôt agréable. J’avais beaucoup apprécié le vent froid contre mes joues, et en profitait un maximum en restant sur le pont du bateau, car le climat se réchauffait progressivement au fur et à mesure que nous nous rapprochions du port d’Edenia. Kleis, mon Trousselin, plus frileux que moi, dormait confortablement dans mon écharpe, blotti contre mon cou.

     J’étais arrivé sur l’île d’Edenia en début d’après-midi. Le soleil faisait rougir légèrement la peau de mon visage. J’étais confortablement installé dans le train menant à l’académie, ayant par la même occasion retiré mon manteau polaire et opté pour une veste à capuche plus fine, bien qu’hivernale tout de même. Je ressentais une certaine euphorie à l’idée d’entrer dans cette académie prestigieuse, mais également une angoisse profonde. Je n’avais jamais vraiment eu d’amis de mon âge, et je ne savais même pas comment sociabiliser sans avoir l’air extrêmement awkward. Mes parents originaires de Galar utilisaient souvent des mots dans la langue de cette région, dont ce mot pour me définir dans les situations sociales. Si je devais le traduire, ça serait dans un premier temps maladroit, gauche, mais également embarrassant et gênant. Sûrement car je pouvais vite mettre mal à l’aise certaines personnes lorsque que je commençais à parler de mes passions… disons assez particulières. J’ai donc ainsi passé la totalité de mon trajet en train à me triturer le cerveau et à me concentrer sur des pensées positives dans le but de faire bonne impression à l’académie, et de ne pas passer pour un anxieux social aux hobbies farfelus. Ma lecture du moment posée sur mes genoux durant tout le voyage n'aura guère été rentabilisée.

     Kleis, me regardait d’un air désapprobateur et laissa échapper plusieurs fois un son sourd et aigu, ayant très certainement ressenti mon anxiété et me grondant pour cela. A croire que mes parents lui avaient appris à me sermonner du regard lorsque je commençais à paniquer.

     « Je sais très bien que je m’en fais pour rien. Mais tout va bien se passer, j’ai juste à me lancer… »

     Je poussai un dernier soupir et descendit du train avec mes quelques affaires de premières nécessités.

     Je suivais le chemin indiqué par le GPS de ma Pokémontre, tandis que mon Pokémon gravitait en tournoyant un peu partout, visiblement très intrigué par les paysages très différents de Frimapic pour le coup. Je le perdis à peine deux secondes de vue que je le revis avec un nouvel arsenal de clefs rouillées et autres porte-clefs perdus et abîmés autour de son… cou ? On va dire ça comme ça. Au moins, il n’avait volé personne pour le moment, et sa trouvaille lui suffisait à afficher un air satisfait, fier de ses petites conquêtes du jour.

     Me voilà donc enfin arrivé devant l’entrée de l’académie qui me fait tant rêver depuis mon enfance. J’affichais probablement à ce moment précis un petit air fier de moi, car j’avais enfin réussi à sauter le cap et à m’inscrire pour devenir chercheur. Kleis utilisa l’une de ses clefs (une propre, du moins j’espère) pour appuyer contre ma joue, comme une personne le ferait avec son doigt pour taquiner un ami. Certes, je faisais ma rentrée avec deux mois de retard, mais… c’est mieux que rien, Kleis ! – pensai-je dans ma tête.

     Je m’approchai du hall de l’académie quand soudain, quelque chose de grand, vert et lourd de deux fois mon poids – certainement un Pokémon de type plante ? - me fonça dessus sans que je puisse voir ni comprendre ce qu’il m’arrivait. J’étais presque tombé dans les pommes, le jour de mon arrivée, qui plus est ! Quel calvaire… J’aurais dû regarder devant moi au lieu de prêter attention aux pitreries de mon Trousselin. Lorsque je m’efforçai à reprendre mes esprits, je sombrai aussitôt, et tout devint noir autour de moi.

     Le Farfadet maladroit venait de perdre face à un Géant Vert.

 

     Tout était noir autour de moi. Je ne voyais rien mais j'entendais mes parents me répéter :

     "What a clumsy boy. Si tu ne regardes pas devant toi, tu vas finir par avoir un accident. La réalité te fait peur, mais tu dois y faire face."

     « Argh... Qu'est-ce que... »

     J'ouvris les yeux après une dizaine de secondes d'inconscience. Je mis un peu de temps avant de réaliser qu'un homme me parlait. Je me relevai mais restai assis, le temps de reprendre un minimum mes esprits.

     « T-tout va bien... J'aurais dû regarder devant moi, je suis... vraiment désolé de vous faire perdre votre temps...! »

     Je balbutiais quelques mots, le visage écarlate. Je peinais à regarder cet inconnu dans les yeux car je me détestais intérieurement d'avoir fait une première rencontre et impression aussi stupides. Pour quoi vais-je encore passer ? Sans doute pour un excentrique maladroit qui passe sa vie plongé dans ses pensées et dans ses livres, et incapable de s'adapter au monde extérieur sans se retrouver dans des situations fortement embarrassantes.

     Kleis grondait sur le Pokémon - un Boskara femelle qui venait d'évoluer récemment, si j'en crois sa difficulté à se rendre compte de sa taille et son poids -, celui qui m'avait foncé dedans, mais le Trousselin avait l'air plus inquiet qu'en colère. Il vola quelques feuilles au Pokémon Plante discrètement pour les ajouter à sa collection de portes-clefs en dédommagement.

     Je levai enfin la tête vers mon interlocuteur. Bien qu'intimidant, il avait l'air plutôt doux à l'intérieur. Je me demandais s'il était un professeur ou un élève ou alors le jardinier de l'académie, peut-être ? Car la confusion avait lieu d'être. Je n'arrivais pas à lui donner d'âge précis, je savais seulement qu'il avait au moins quatre ans de plus que moi, à vue d'œil.

     Je jetai un œil au Boscara qui s'appelait Salade, visiblement, et lui souris tendrement pour lui faire comprendre que je ne lui en voulait pas. Je n'avais jamais vraiment été de nature rancunière, pour dire vrai. Je rappelai ensuite Kleis vers moi afin qu'il arrête d'arracher les pauvres petites feuilles du Pokémon plante. Quel malpoli, ma parole...

     "Ce n'est rien, elle n'a pas conscience de sa taille, elle a l'air d'avoir évolué assez récemment, je suppose ?"

     Je ris nerveusement, mais je sentais que j'allais probablement bien m'entendre avec ce Morgan. Il avait l'air attentionné et soigneux avec ses Pokémon, qualités que je ne pouvais que respecter. De plus, mes yeux ne pouvait s'empêcher d'être attirés par l'adorable petit Pokémon posé sur sa tête. Je le connaissais bien entendu (étant à moitié de type fée), même s'il n'était pas de ma région natale, et j'espérais depuis longtemps en rencontrer un en vrai. Et pourquoi ne pas en attraper un, pour tenir compagnie à Kleis ? Il avait l'air si doux... Je parie qu'en ce moment-même, j'avais des étoiles dans les yeux tant ce Pokémon était mignon.

     "Euh, oui je viens d'arriver à l'instant... Je m'appelle Niko, enchanté."

     Je fis une courte pause, puis pensai à lui demander quelques renseignements :

     "Est-ce que par hasard... vous travaillez ici ? Je ne sais pas où sont les dortoirs... et je dois trouver la bibliothèque assez rapidement, j'ai entendu dire qu'il y avait des livres plutôt rares et difficilement trouvables ailleurs !"

     Au début de ma phrase, je pouvais sembler hésitant, mais au fur et à mesure, je fus capable de parler de manière plus fluide et naturelle, probablement car j'étais excité à l'idée de découvrir de nouvelles choses. Dans tous les cas, parler de sujets qui m'intéressaient avait tendance à me rendre un peu plus sociable.

     "Enfin... j'espère que cela ne vous dérangerait pas de me montrer le chemin... Vous devez sans doute avoir du travail."

     Quant à sa fonction, je commençais de plus en plus à pencher pour jardinier voire professeur... de botanique Pokémon ? Je ne suis pas sûr que ça existe, mais pourquoi pas, après tout !

     Je me sentis extrêmement confus lorsque Morgan m'annonça qu'il était un élève. Quel imbécile. En plus je suis certain qu'il me l'avait dit, mais comme toujours, je suis complètement tête en l'air... Au moins, il n'avait pas l'air trop contrarié, du moins, je l'espérais...

     "Ah ? Je n'ai pas l'habitude de tutoyer mes aînés mais... je vais essayer, je suppose ? Je suis désolé, je ne sais pas évaluer l'âge des gens, c'est plus compliqué que pour les Pokémon, je trouve..."

     Lorsqu'il accepta ma requête, je ne pus m'empêcher d'esquisser un petit sourire joyeux mais discret. J'appréhendais tellement d'être tombé sur une personne pressée qui aurait pu refuser ma demande par simple égoïsme... Enfin, j'imagine que je suis plutôt chanceux aujourd'hui, malgré ma petite bosse sur la tête. Kleis tournoyait autour du Doudouvet de Morgan, à croire que les Pokémon de types fées s'attiraient mutuellement. Je sermonnai Kleis d'un ton ferme :

     "Kleis, arrête de harceler des Pokémon que tu ne connais pas ! Lui, c'est un Trousselin, il vient de Kalos. Il est gentil mais un peu trop taquin, il a même volé des feuilles à... Salade. J'en suis désolé, il est un peu... kleptomane ? Mais il finit toujours par rendre ce qu'il a volé, il n'est pas méchant. Il est sûrement intrigué par ce Doudouvet car ils ont le type fée en commun. Kleis n'en a pas vu depuis un long moment."

     Je pris une courte pause avant de déclarer, bien plus détendu qu'au début de la conversation :

     "On y va ? Je ne voudrais pas te prendre tout ton après-midi, déjà que je t'ai causé du souci, à m'évanouir comme ça."

     Je suivais attentivement Morgan en faisant bien attention à retenir tous les endroit utiles qu'il me faisait visiter. Malgré son apparence, Morgan était une personne extrêmement douce. Je savais déjà que je pourrais compter sur lui, en cas de pépin. Et puis, je lui poserai sûrement quelques questions sur son Doudouvet. J'aimais bien ce Pokémon, et j'avais maintenant très envie d'en avoir un dans mon équipe pour tenir compagnie à Kleis pendant mes absences, par exemple.

     En bref, j'avais vraiment envie de développer une relation fraternelle avec Morgan. Ma grande sœur était plus âgée que moi, mais elle n'était pas vraiment à la maison. Je me retrouvais souvent seul à la maison. J'apprenais aussi beaucoup tout seul, il faut dire. Il semblait avoir une certaine expérience, notamment en combat. je le sentais. J'avais vraiment très envie de recevoir de ses conseils, un jour. Mais il fallait... que je sorte de ma timidité et de mon asociabilité maladives. Et... que je lui demande. Bon... je me lance, je suppose.

     "Euh... Morgan ? J'aimerais te demander quelque chose... Je... Je ne connais personne ici, et comme tu as pu le constater, je suis un peu tête en l'air et... peu habitué aux rapports sociaux. Je n'ai pas vraiment de connaissances ici... Ni même d'amis en fait... Est-ce que... tu voudrais bien... M'aider à m'entraîner en combat ?"

     Je me sentais ridicule de demander une chose aussi simple en étant aussi gêné qu'une personne confiant son plus gros secret. Argh. Je devais avoir l'air super awkward. Faites qu'il ne se barre pas en courant.