Adoptions de Niamh

La journée était radieuse. Allongée dans l'herbe, Niamh pesta tandis que l'encre refusait de sortir de son tout nouveau stylo à plume : elle détestait utiliser ces derniers, mais devait admettre qu'ils avaient une certaine classe. Entre ses mains, un carnet neuf, mais à l'apparence pourtant ancienne, relié et doté d'une lanière de tissu rouge attachée au milieu du livre, qui faisait office de marque-page. D'une écriture plutôt tremblante, puis de plus en plus assurée, l'adolescente noircit pages après pages, racontant ses récentes aventures-- et mésaventures.

Cher journal,

Je sais que je ne suis pas du genre à écrire ni à lire. Mais un bon magicien se doit d'avoir plusieurs cordes à son arc : en plus, depuis peu, mon quotidien est si mouvementé qu'il faut bien que je le raconte quelque part.
C'est vrai : en quelques semaines à peine, ma vie s'est retrouvée sans dessus dessous. Et au moment où j'écris ces mots, tous mes nouveaux compagnons s'épanouissent dans le parc... Nous sommes beaucoup, à présent.

Ah bon sang... C'est fastidieux d'écrire. Non attend, je peux pas écrire ça, si quelqu'un retrouve ce journal après ma mort, ils faut qu'ils aient une bonne image de leur idole, pour la postérité...
Arrête d'écrire tout ce que tu penses.
Arrête.
aaaaAAAAAH.

Je vais dessiner une ligne.
En dessous de cette ligne j'arrête d'écrire n'importe quoi et je raconte une histoire valorisante et intéressante.
C'est comme... Un bouclier anti-pensées ordinaires.

Après j'imagine bien que tout le monde voudrait avoir un petit aperçu de ma psyché mais...

Bref.

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Ce jour-là, j'étais tranquillement assise sur un sofa du QG d'AUB-- Adopte un Bulbizarre : on avait parlé de la grande magnanimité de notre mission, ainsi que de notre clémence à nous aussi, pour diffuser la bonne parole et les bienfaits de nos amis Bulbizarre : quand une discussion entre deux autres membres avait attiré mon attention. À pas feutrés, je m'étais approchée, d'une grâce m'étant toute particulière, avant de les écouter.

Le centre d'adoption d'Edenia aurait reçu des Bulbizarre.
Ah ! Les poings serrés, on pouvait sûrement lire dans mon regard l'étendue de ma détermination : j'étais déjà décidée à offrir une meilleure vie à l'une de ces bêtes divines.

« Bulbizarre, avais-je pensé bravement, je te témoigne toute ma compassion, ma commisération, ma pitié : et je ne te laisserais pas seul un instant de plus. » Et sur ces mots, je m'en étais allée à pas sûrs vers le Centre d'adoption, mes cheveux flottant au vent (il y avait une petite brise dans la salle, les fenêtres étaient ouvertes).

« Ma bonne dame ! » scandais-je devant le bureau des adoptions, afin d'interpeller la secrétaire. Elle m'avait répondu par un regard surpris-- une surprise qui ne tarda pas, néanmoins, à se muer en gratitude, lorsqu'elle me reconnut. Voilà Niamh Mafoxy ! Quelle bonne action accomplira-t-elle, aujourd'hui ?!, devait-elle penser avec affection.

« J'ai entendu dire que des pauvres Bulbizarre étaient arrivés ici au centre... Pourrais-je en savoir plus sur leur histoire ? »
« Mais bien sûr, Niamh Mafoxy ! » avait-elle répondu, des larmes de joie perlant à ses doux yeux noisettes ! « À vrai dire, l'un d'entre eux a une histoire particulièrement terrible ! Il appartenait jadis à un riche bijoutier et vivait la plus heureuse des vies : jusqu'au jour où le susnommé bijoutier se fit cambrioler. Toutes ses richesses, disparues ! Et le pauvre homme, qui avait été blessé dans l'affaire, se retrouva à l'hospice, laissant derrière lui son pauvre Bulbizarre, qui n'avait plus aucun foyer où aller... Car il n'avait ni proches ni familles, mais seulement son pauvre compagnon d'infortune. »
« Ah ! » m'étais exclamée, mon regard exprimant une douleur infinie, « c'est terrible... Mais continuez. »
La jeune femme essuya une larme de sa joue, et poursuivit son récit.
« Alors, le Bulbizarre erra de quartiers en quartiers, apprenant, au fil des mois, la vie de la rue-- contraint à combattre et à se cacher pour sa survie. Son ancien maître périt dans son lit d'hôpital de vieillesse et de maladie, sans avoir pu revoir une dernière fois son cher ami. Nous l'avons trouvé étendu au sol, épuisé et esseulé : heureusement, il avait toujours au cou son collier, grâce à l'aide duquel nous avons pu retracer son histoire... »

Je restais là en silence, atterrée par la tournure qu'avait prise la vie de ce pauvre Bulbizarre. À cause de l'égoïsme de stupides voleurs, sa vie était devenue un enfer... Qui a l'esprit assez dément pour accomplir de tels actes ?!

« J'aimerais voir ce Bulbizarre. Mais avante toute chose... Quel est son nom ? »
« Oh ! Niamh Mafoxy... Votre bonté n'a aucune limite. Il se nomme Péridot. »
« Péridot ?... » Quel nom étrange. Mais, dans un éclat de lucidité, je comprenais immédiatement l'origine du nom : le péridot, une pierre précieuse d'un vert profond-- pierre extrême, trouvée au sein de météorites, volcans ou au fin fond de la croûte terrestre. Un nom, bien sûr, qui convenait parfaitement à la bravoure de la menue créature.

On me mena au malheureux Bulbizarre. Il se tenait seul dans un coin, silencieux. Le regard qu'il leva vers moi me donna froid dans le dos : voilà un Pokémon qui avait vu bien des choses. Il me serait ardu de gagner sa confiance... Et pourtant, c'était un défi que j'étais prête à relever. Aucun Bulbizarre ne méritait de vivre dans de telles conditions, loin d'une maison chaleureuse et de soins attentionnés.
Je m'approchais de lui, mes yeux voilés par la peine que je ressentais pour la créature. Péridot me laissa faire, acceptant même la main que je lui tendais : tandis que je le caressais, je sentais ses muscles se relâcher. Me faisait-il confiance ?...

Cet instant de bonheur béat me sembla durer une éternité. Nous étions comme baignés dans la lumière...
La lumière d'une nouvelle amitié.

Il ne me fallut que quelques instants de plus pour remplir les papiers nécessaires à l'adoption, fournissant l'une de mes propres copain-balls afin de pouvoir emmener Péridot avec moi. Lorsque que je repartais, je m'aperçus que tout le monde avait le sourire aux lèvres... Encore un peu, et ils m'auraient probablement applaudie.

Alors je partais, sereine, consciente d'avoir accompli, une nouvelle fois, une bonne action.

Niamh posa son stylo, avant de relire ses lignes avec un sourire satisfait. Quelle histoire héroïque ! Ses fans du futur ne pouvaient que l'aimer encore davantage. Elle avait certes ajouté quelques détails, et modifié certains éléments-- omettant sa propre profession de voleuse, bien évidemment. Puis, toisant les cicatrices sur son bras, elle s'estima également heureuse de ne pas avoir mentionné la prudence exacerbée de son nouveau compagnon. Leur première rencontre avait été pour le moins... douloureuse, mais personne n'avait besoin de le savoir.

Péridot... Elle aurait appris quelque chose de nouveau, aujourd'hui. C'est intriguée qu'elle lisait et lisait encore la page Poképédia de la pierre. Quelque chose à inclure dans ses prochains spectacles, peut-être ? La symbolique était plutôt forte.
Mais s'il y avait bien quelque chose au sujet duquel elle n'avait pas menti, c'est l'affection qu'elle vouait déjà à son nouvel ami, bien qu'il ne soit manifestement pas totalement du même avis, plutôt méfiant (comment lui en vouloir ?) : ses yeux carmins rivés sur sa dresseuse, il ne participait pas au jeu des autres, qui vagabondaient dans l'herbe. Il se tenait haut et fier, une pierre de péridot attachée au cuir de son collier luxueux, où était gravé son nom sur un médaillon-- on avait remplacé l'adresse avec celle de sa nouvelle propriétaire, pour éviter les méprises.

Dans la stature et l'attitude de la créature, Niamh y voyait un petit peu d'elle. Mais, défiante, elle saurait rendre ce Bulbizarre plus docile, un parfait assistant-- et passer outre sa méfiance initiale, afin de l'intégrer au reste de l'équipe.


[note] je prends le Bulbizarre que j'avais réservé !