Il était ENFIN midi. Je sortais de cours et je mourrais de faim. J'avais faim très facilement, étant donnée l'absence de graisse que j'avais. Mes deux nouveaux Pokémon, Naito et... GIRATINA m'avait accompagné en cours. Habituellement, c'était Kleis qui venait, mais il était toujours cloué (aimanté ?) au lit.

     A midi, c'était gratiné de légumes. (D'ailleurs, Gratiné et Giratina... ça se ressemblait, non ?) Je salivais d'avance.

     Enfin bref ! J'allais manger avec Naos. On était devenus amis en très peu de temps. On rigolait bien ensemble. J'arrivais à sortir de ma chambre un peu plus souvent sans me forcer, depuis. C'était une chouette fille. Et puis... il fallait que je lui demande des conseils. Elle était mon aînée d'un an, après tout.

     En fait, depuis que je vis à Gakuen, vu que je sors un peu plus, j'ai l'occasion de me poser beaucoup plus de questions sur moi-même. Habituellement, je me pose plutôt des questions sur la composition de la matière ou encore sur le sens de la vie. Mais, en ce moment, c'était sur mon identité, ce que j'aimais, ce que je voulais faire après les études et cetera. J'avais certes le temps, mais ça envahissait mes pensées. Je n'aimais pas ça.

     Naos était déjà arrivée à la cafétéria. Je lui fis signe avec un petit sourire, avec mon plateau-repas dans une main et un bon gros roman dans l'autre.

     Je m'assieds en face d'elle, et nous discutions de choses d'élèves normaux, comme à quel point certains professeurs étaient soporifiques, et que les cours commençaient bien trop tôt. Avant, je n'arrivais pas à parler de sujets "classiques". J'étais le genre d'enfant à parler de sujets... particuliers ? A base de sciences ou de sujets vraiment inhabituels pour une personne de mon âge. Le changement était positif, je commençais à avoir plus de centres d'intérêts. Dont le vernis. J'en avais mis du bleu et du rose pastel en alternant sur chaque ongle, sur les conseils de Naos.

     Nous en étions au dessert, lorsque je me rappelai de ce dont je voulais parler, à la base. Je ne savais pas par où commencer, et j'étais toujours un peu maladroit avec mes mots. J'allais faire simple. Et me simplifier la tâche en posant une question :

     "Dis Naos ? Est-ce que... tu t'y connais en genre ?"

 

     Lorsque nous discutions, je ne manquai pas de complimenter Turquoise. Il était tellement adorable. Je comptais bien avoir un Nymphali, un jour. Peut-être pas shiny, mais ça, ça ne se choisissait pas.

     Enfin, ma question fut posée. J'étais extrêmement anxieux. Ce n'était pas Naos qui me mettait dans cet état. Ni même l'attente de sa réponse. En fait, j'étais surtout effrayé d'être perdu. Je détestais plus que tout être sans réponse. Ce qui me vaut d'être assez inquiet pour des sujets comme "Pourquoi les Pokémon existent" ou encore le très célèbre "Ce qu'il y a après la mort". Mes questionnements de genre n'étaient peut-être pas aussi profonds, mais je voulais savoir ce que j'étais.

     Je restais silencieux durant ses explications. Bien sûr que je connaissais vaguement ce qu'était le genre. Mais je ne m'étais jamais trop approprié cette notion. Je ne savais même pas comment on pouvait savoir notre genre. Biologiquement, je suis un garçon, mais me décrire comme un homme, ça me faisait une impression étrange. Comme si, par exemple, on m'appelait par un prénom qui n'était pas le mien. Ou si on me prenait pour un spé feu. Je n'aime pas énormément les types feu, soit-dit en passant. Je ne m'identifiais pas non plus comme une femme. C'était la même impression que quand j'essayais de m'identifier comme un homme. Une sensation... d'étrangeté. Comme quand on se réveille dans un lieu inconnu sans se souvenir de s'être endormi là.

     Naos venait de finir de parler. Je l'avais écoutée attentivement, mais je restais pensif. La non-binarité. J'en avais entendu parler, mais je n'avais pas vraiment saisi le concept, avant de me poser des questions. Elle avait raison. Peut-être qu'aucun des deux genres sociaux ne me convenait ? Ou alors j'étais un peu des deux ? Ou mon genre était quelque chose d'autre ?

     "Oh, d'accord, je vois. En fait, je suis... complètement perdu. Je n'arrive pas à me coller d'étiquette pour le moment. Je sais que c'est pas obligatoire, mais j'aimerais un jour pouvoir mettre des mots dessus. En tout cas, je te trouve courageuse de réussir à en parler de ton côté. Je suppose que ça doit pas être facile."

     Je pris une courte pause.

     "Sinon, c'est un peu hors-sujet, mais avant je me fichais un peu de mon orientation mais... Je pense savoir ce que j'aime maintenant. Orientation romantique, j'entends. Oui, j'ai oublié de préciser, ahah."

     Je sortais ça de but-en-blanc. Comme la plupart des choses que je disais quand j'étais stressé. Mais elle devait avoir l'habitude que je sois parfois awkward. Je m'étais déjà décoincé, mais j'avais encore du chemin à faire.

     J'avais de la chance de connaître Naos. Je ne sais pas si j'aurais pu en parler à mes autres connaissances.

 

     Pendant que nous discutions, je ne pouvais m'empêcher de caresser les oreilles du Nymphali. Elles étaient douces et soignées. Peu étonnant, qu'un Pokémon de coordinatrice le soit, après tout. Naito s'amusait également à caresser timidement le Pokémon renard.

     Je me rendis compte assez vite que j'avais été très évasif sur le sujet de mon orientation romantique. Je repris donc une fois qu'elle eut fini de prendre la parole :

     "Pour mettre des mots dessus... Je suis pan, mais je préfère quand même les personnes avec des traits plutôt "masculins" et mûrs, je dirais ? Homme ou femme, peu importe, en tout cas. Peut-être que je penche un peu plus sur les hommes, mais c'est pas très important."

     Et puis, j'avais le temps de changer. Les goûts changeaient parfois. Avant, je ne me serais vu qu'avec des Pokémon de type Fée. Maintenant, je pense que je ne dirais pas non à quelques uns de type Acier ou Spectre, par exemple... Influence de mes parents spécialisés dans ces types, peut-être.

     Dans tous les cas, j'étais soulagé d'avoir pu discuter de mes inquiétudes et questionnements divers avec Naos. Habituellement, je me confiais à mes Pokémon, mais disons que Kleis n'était pas trop passionné par ces sujets. Ni vraiment concerné, en fait. Je n'étais pas sûr que les Pokémon se posent des questions sur leur genre, mais c'était à vérifier, je suppose.

     "Et toi, tu préfères quoi ?"

     Je me posais juste la question par curiosité. Je la voyais bien avec une femme, mais je ne pouvais pas savoir à sa place.

 

Je ne me confiais jamais d'habitude. Peut-être un peu à ma sœur aînée, mais depuis qu'elle avait entrepris un voyage sur un coup de tête dans le but de devenir championne d'arène, j'étais relativement seul. Et je n'étais pas très loquace avec mes parents. Enfin, pas à propos de moi, du moins. Me confier me faisait le plus grand bien. Elle était déjà très forte, d'ailleurs, ma grande-sœur. Elle avait également décidé de faire un road-trip mondial, en commençant par se faire la ligue de Kanto. Dans tous les cas, je ne la reverrai pas avant un moment, j'imagine. Avoir une grande sœur de cœur était pas plus mal, d'autant plus quand ce n'était pas un membre de ta famille qui te taquinait en permanence.

     J'aimerais bien présenter Naos à ma famille un jour. Pour leur montrer que ça y est, j'ai réussi à me faire une amie. Ils arrêteront de me taquiner sur mon manque de sociabilisation, si je leur présente mon amie. J'espère qu'elle aime la neige, car à Frimapic, il n'y a que ça de janvier à décembre. Elle venait d'Alola, donc elle ne sera logiquement pas habituée. Mais ça la dépaysera ?

     Oh... Elle était presque comme moi ! Mais en inversant les genres, du coup. Je n'arrivais pas tout à fait à comprendre la différence entre bi et pan, mais c'était très proches, je suppose ? On avait beaucoup de points communs, finalement. Bien que des caractères très opposés. Mais grâce à elle, j'allais être un peu moins introverti.

     D'ailleurs, je remarquai une légère grimace juste après l'annonce de sa bisexualité. Pensait-elle à quelqu'un en particulier ? Je croyais qu'on rougissait quand on avait le béguin pour quelqu'un, mais ça devait varier en fonction des personnes. Elle m'en parlera sûrement quand elle sera prête. Je n'y connaissais rien en amour, et j'étais toujours parti du principe que j'étais jeune, et que j'avais le temps. Dans tous les cas, je n'étais pas sûr que j'étais capable de partager mes passions avec quelqu'un qui me comprendrait. Quelqu'un pourrait-il comprendre ma fixette sur Giratina ? Malheureusement, je ne pense pas.

     "Non, je n'ai pas d'autres questions pour le moment ! Merci en tout cas. Si un jour, tu as besoin de parler, je serai là aussi."

     Je lui rendrai la pareille, quand elle en aura besoin. L'amitié était vraiment un sentiment agréable. Toutes mes peurs s'envolaient. Mes années scolaires allaient être bien plus agréables que je l'aurais pensé, finalement !