Le b.a.-ba de l'ornithologie. [SOLO ❀ Capture ❀ Terminée]

Le b.a.-ba de l'ornithologie.

Le flanc doré d'Alpha se soulevait et retombait doucement au rythme de sa respiration. Cela faisait des heures que nous étions dans la forêt ─ des heures que j'étais assise en tailleur sur une vieille souche, un sac de plastique rempli de maïs concassé, de graines de citrouille et de raisins secs entre les jambes. Mon Goupix dormait paisiblement au sol, la tête appuyée sur une racine.

À quelques mètres de nous, des Pokémon sauvages s'empiffraient des grains que j'avais lancés un peu plus tôt. Ils avaient été plusieurs à se succéder et se succédaient encore. Présentement, un Étourvol et un Rattata auquel il manquait une oreille s'alimentaient tour à tour, toisant l'autre avec méfiance tandis qu'ils piochaient dans le mélange.

Lentement, discrètement, je m'emparai de mes jumelles bon marché et les levai vers les branches qui me surplombaient. Des bourgeons commençaient à poindre, prêts à éclore en fleurs et en feuilles printanières. Deux Roucoups s'affairaient tout en haut, tournoyant autour d'un nid. Plus bas, des chenilles grisâtres en quête de sève rampaient sur l'écorce. Toujours plus bas, des Balignon se pourchassaient amicalement dans les fourrés.

Je laissai retomber mes jumelles sur ma poitrine et inspirai profondément pour rester calme. L'ornithologie demandait une patience que je ne possédais pas. Demeurer assise sur une vieille souche pendant des heures, en silence et presque immobile n'était pas fait pour moi. En terme de capture, j'aimais bouger, m'enfoncer dans les hautes herbes et écarter les branches sur mon passage jusqu'à ce que je déniche le Pokémon idéal. Cette fois, j'avais voulu tenter quelque chose de différent, d'où cette première séance d'observation des oiseaux. Mamie Fraser m'avait donné quelques conseils pour m'aider dans cette entreprise ─ je me promis de la remercier à nouveau plus tard, peu importe son issue.

Une éternité s'écoula. D'autres bêtes à plumes et à fourrure se relayèrent près de la bouffe, qui sur ses gardes et qui sans une once de gêne. De longues périodes d'accalmie entrecoupaient leur apparition, me donnant l'occasion de prêter l'oreille aux rumeurs de la forêt. Murmure des branches, chant des oiseaux, échos des Pokémon sauvages cachés dans les profondeurs sylvestres… Ce n'était pas désagréable, mais en toute honnêteté, je m'ennuyais un peu.

Ce fut soudain au tour d'un Zigzaton de pointer le bout de son nez. Moh, trop mignon ! Et très différent de ceux que j'avais l'habitude de voir à Galar. Celui-là ne me semblait pas aussi retors que ses cousins de type Ténèbres, lesquels adoraient fouiller dans nos poubelles et dérober sournoisement nos affaires. Il s'approcha par à-coups, craignant un geste brusque de ma part. Une fois certain que je ne bougerais pas, il fit rouler quelques raisins secs du bout du museau avant de refermer les dents dessus. Tout content, il remua la queue comme un Caninos. Vraiment adorable.

Perdue dans l'observation du type Normal, j'entendis plus que je vis l'oiseau convoité atterrir près de la nourriture. Captant le mouvement d'une silhouette rougeâtre du coin de l'œil, je tournai légèrement la tête et l'aperçus enfin.

Un Passerouge.

Je me redressai brusquement, oubliant toute notion de calme. Tiré du sommeil par mon geste inattendu, Alpha sauta sur ses pattes. Notre agitation soudaine intimida le raton beige et brun, qui détala en poussant des geignements affolés. Je l'entendis plonger dans les buissons ; il s'éloigna en faisant bruisser la végétation sur son passage.

Heureusement, le rougegorge n'avait pas pris la fuite. Il fut secoué d'un frisson nerveux et posa ses grands yeux noirs sur nous. Un soupçon de curiosité se mêlait à la méfiance que trahissait son regard. Était-ce ce petit éclat qui le maintenait sur place ou était-il pétrifié par l'angoisse ?

Je m'étirai, chassai les raideurs qui me plombaient le dos, les épaules et les jambes, puis sautai à terre. Alpha banda alors ses muscles et bondit sur la souche. Il se retourna en douceur et effectua un nouveau saut dans le but de se percher sur mon épaule. Le poids soudain du renard manqua de me débalancer. Je retrouvai mon équilibre en gesticulant ; il planta ses griffes dans mon sweatshirt pour se stabiliser. Roh, par Zacian ! Il avait de ces idées, parfois !

Je secouai un peu la tête et me reconcentrai sur le Passerouge. Ce dernier nous observait toujours attentivement. Je pouvais presque voir le stress émaner de lui et décidai de le capturer rapidement. Comme ça personne ne pataugerait trop longtemps dans l'inconfort et nous serions libres de rentrer nous reposer à l'académie.

Forte de ma décision, j'attrapai la Copain Ball de Messala et l'invoquai. Mon cheval de feu se matérialisa entre nous. Il secoua sa crinière ardente et produisit un son qui, comme j'avais pu l'apprendre au fil du temps, exprimait son bonheur.

Son apparition déclencha visiblement le signal d'alarme chez l'oiseau, qui s'envola sans crier gare.

— Messala, Flammèche ! ordonnai-je précipitamment.

Aussitôt dit, aussitôt fait : l'attaque percuta brutalement le rougegorge, qui retomba sur le plancher des Écrémeuh. Concentré sur sa cible, Messala râcla inconsciemment le sol de l'un de ses sabots. Nous demeurâmes immobiles un moment, persuadés que la bestiole décollerait à nouveau.

Mais non. Les flammes avaient-elles été si puissantes, si efficaces ? Ça semblait être le cas. Agréablement surprise par l'efficacité de mon poulain, qui baissa finalement sa garde et leva la tête, je m'emparai d'une Pokéball standard.

Je tendis le bras derrière moi pour la lancer ; au même moment, l'oisillon sauta sur ses pattes et poussa un cri puissant. Je me raidis, décontenancée. Il ne s'agissait pas d'un simple cri : c'était un cri du cœur, le hurlement d'un Pokémon qui rassemble ses dernières forces pour appeler au secours. Je ne pus qu'imaginer le reste des monstres de la forêt se taire et tendre l'oreille, ouïr ce chant à la fois tragique et mélodieux, empreint d'une détresse poignante. Hum… Je devenais un peu trop poétique à mon goût. L'ornithologie ne me seyait vraiment pas.

Passons. Après quelques secondes, le Passerouge se tut et se mit à battre des ailes avec une énergie insoupçonnée. Un énorme nuage de poussière, de bouts de maïs, de raisins secs, de graines de citrouille et d'autres débris naturels se souleva devant lui, l'arrachant à ma vue. Je ramenai l'un de mes bras devant mon nez et fermai les yeux, les doigts crispés autour de la boule bicolore.

J'attendis que le silence revienne et que le vent soulevé par l'agitation du piaf cesse de souffler pour rouvrir les yeux. M'exécutant, je découvris la frustrante vérité : le Pokémon sauvage s'était enfui.

— Ah non, c'est pas vrai ! m'écriai-je, hors de moi. Par Zacian, mais c'est pas vrai ! Saloperie de moineau ! Connard !

Je tapai rageusement du pied par terre ─ un geste des plus immatures, j'en avais conscience. Mais il faut me comprendre : toutes ces heures assise sur une souche à poireauter pour rien ! Pour absolument rien ! J'eus envie d'asséner un bon coup de pied à ladite souche, mais me ravisai. Pas besoin de me fracturer les orteils en plus. Je me contentai de ranger la Pokéball, dégoûtée.

Pour me réconforter, Alpha frotta son museau contre ma joue. De son coté, Messala se dévissa le cou pour m'adresser un regard débordant d'empathie. Je restai plantée là un moment à tenter d'accueillir le réconfort que m'offraient mes petites flammes. Lentement mais sûrement, ma fureur s'inclina devant l'attendrissement. Awn ! Mes Pokémon étaient beaucoup trop doux, parfois. Reconnaissante, j'ouvris la bouche pour les remercier… et fus interrompue par un mouvement soudain.

Rapide comme l'éclair, une masse beige et orange émergea d'entre les troncs. Elle vint percuter mon cheval de feu, lui extirpant un cri de surprise et de douleur mêlées, puis disparut aussi vivement qu'elle était arrivée, s'éclipsant par la voie des airs. Messala retrouva son équilibre avec peine et souffla des naseaux. Irradiant de colère, il tourna la tête dans tous les sens pour retracer ce Pokémon qui l'avait sournoisement attaqué.

Il était encore dans les parages, ça ne faisait aucun doute. Mes monstres flamboyants, tous sens en alerte, avaient adopté des postures tendues. Les griffes d'Alpha s'enfonçaient davantage dans le tissu de mon sweatshirt, de sorte à appuyer douloureusement sur ma peau. Ses queues claquaient contre mes épaules, derrière ma tête. Devant nous, Messala martelait le sol de l'un de ses sabots.

Un frisson d'appréhension courut le long de mes bras. Avions-nous affaire à une créature dangereuse ou simplement puissante ?

J'eus bientôt l'occasion de le vérifier. Un bruissement d'ailes résonna soudain sur la gauche, me faisant sursauter. Je levai instinctivement la tête vers la source du bruit : un Passerouge chromatique. Chromatique ! Les plumes grises et rouges du rougegorge commun étaient beiges et orangées chez ce spécimen. Ses rémiges primaires étaient d'un beau jaune soleil et tout ce qui aurait dû être noir était d'un joli bordeaux délavé.

En un mot, il était magnifique. Mais d'où provenait-il ? Était-ce le cri désespéré de son confrère qui l'avait mené jusqu'à nous ? S'était-il donné pour but de nous repousser, de protéger les siens ?

Le piaf profita de mon ébahissement pour revenir à la charge. Il se déplaçait si vite qu'il avait des airs de comète, un trait flamboyant sur fond de brun et de vert tendre. Son bec heurta le poitrail de Messala. Réactif, mon Ponyta se cabra et agita ses pattes antérieures dans l'espoir de lui asséner un coup de sabot. Malheureusement, l'oiseau vif se trouvait déjà hors de portée.

— Tente Flammèche ! m'écriai-je en talonnant la boule de plumes du regard.

Messala rejeta la tête en arrière et inspira profondément. Quelques secondes plus tard, une boule de feu fusait en direction de l'adversaire. Je retins mon souffle sans m'en rendre compte. Le Passerouge l'esquiva de justesse en effectuant une époustouflante cascade aérienne. Il plaqua ses ailes le long de son corps, se laissa basculer dans le vide et tournoya sur lui-même à plusieurs reprises. Il n'était plus qu'à quelques centimètres du sol lorsqu'il se redressa enfin, reprenant adroitement la maîtrise de son vol.

Mais non ! Par Zacian, cette prestesse ! Il me fallait absolument ce Pokémon. Je devais en faire un membre de mon équipe. C'était impératif. Je l'imaginais déjà disputer d'hallucinants combats en collaboration avec Alpha et Zphen, combler les lacunes de Messala et participer à l'entraînement de Naheera. Avec un tel contrôle, il pourrait lui enseigner à rester calme et sérieuse, déteindre sur elle. Aaah ! Oh oui, j'avais besoin de ce Passerouge.

Passerouge chromatique. J'avais du mal à y croire.

— Rugissement et enchaîne avec Météores.

Si l'hennissement sinistre de mon Ponyta ne sembla pas affecter l'oiseau, ce ne fut pas le cas des étoiles filantes. Elles le heurtèrent une à une, diffusant des éclats de lumière autour de lui. Il perdit un peu de sa vitesse, mais cela ne l'empêcha pas de fondre sur Messala. Une fois de plus, l'attaque Charge débalança mon destrier, qui passa à un cheveu de s'écrouler. Son ennemi en profita pour reprendre de l'altitude et lui décocher une attaque Flammèche.

Or comme Alpha, mon Ponyta était doté du talent torche. Les flammes envoyées par l'oiseau alimentèrent donc les siennes ; elles se mêlèrent à celles qui constituaient sa crinière et sa queue, lesquelles relâchèrent des braises incandescentes. Un sourire malicieux fleurit sur mes lèvres.

— Profite de ta puissance pour lancer Flammèche à nouveau !

Cette fois, le rougegorge ne put se dérober. Cette seconde boule de feu, plus imposante que la première, s'écrasa contre son ventre. Le choc fut si brutal que le Passerouge cessa de battre des ailes et dégringola.

Je profitai de sa chute pour m'emparer d'une Pokéball, que je lançai de toutes mes forces. La sphère buta contre le Passerouge, l'aspira et tomba au pied d'un arbre. Entre ses racines colorées de mousse et décorées de champignons, elle remua une fois… et s'ouvrit brusquement, libérant le Pokémon sauvage.

— Merde… soufflai-je tout bas, avant de me réécrier : Météores !

L'un après l'autre, les projectiles lumineux s'écrasèrent sur le rougegorge, le plaquant contre le tronc massif. L'attaque épuisée, l'oiseau glissa le long de l'écorce et atterrit sur ses pattes. Il exprima sa colère à l'aide d'un Rugissement qui angoissa mon cheval. En panique, Messala remua sur ses sabots. Ses atours de feu s'affolèrent tout autant que lui, projetant des étincelles aux alentours. Par chance, celles-ci s'éteignaient avant de toucher le sol ou d'accrocher la verdure environnante.

Le Passerouge profita de ce coup de frayeur pour retourner dans les cieux. Il y entama un sublime ballet aérien, produisant figure élégante après figure élégante. Ses manœuvres gracieuses m'éblouirent tant que je mis une bonne minute à comprendre ce qu'il cherchait réellement à faire. Il ne s'agissait pas d'une simple démonstration, mais d'une capacité destinée à décupler sa vitesse. Hâte. Furieuse contre moi-même, je grondai et serrai les poings.

— Messala, Mimi-Queue.

Perplexe, mon poulain se détourna pour m'interroger du regard. Prenant note de ma mine sérieuse, il reporta son attention sur l'adversaire et secoua sa queue enflammée. Le Passerouge cessa immédiatement de cabrioler dans les airs afin de jauger mon Pokémon. Un monstre calculateur, donc. Parfait. Plissait-il les yeux ? Se questionnait-il sur cette initiative ? C'était sans importance. J'avais obtenu ce que je voulais. J'avais capté son attention.

— Enchaîne avec Hypnose !

Une honnête tentative qui se solda par un échec. La boule de plumes rompit bien vite le contact visuel avec Messala, qui ne parvint à l'endormir. Je resserrai un peu plus les poings et sentis mes ongles dans ma chair. Une pointe de colère se mêla à mon admiration. Par Zacian, mais ce n'était qu'un Passerouge ! Un tout petit Passerouge ! Ils constituaient la plupart des rencontres de débutant à Kalos !

— Flammèche ! aboyai-je tandis que l'oiseau plongeait en piqué vers mon Ponyta.

Il contra l'attaque flamboyante en la répliquant, faisant naître une explosion d'étincelles et un nuage noirâtre entre eux. Avant que l'on puisse réagir, l'adversaire dissipa une bonne portion de fumée à l'aide d'Anti-Brume, puis s'inséra dans cette ouverture à tire-d'aile. Il fusa tout droit sur mon poulain et le frappa d'une spectaculaire Vive-Attaque.

Sévèrement débalancé, Messala ne put retrouver son équilibre. Il s'effondra sur le flanc gauche, m'arrachant un geignement d'angoisse. Je m'empressai de le rappeler et voulus raccrocher sa Copain Ball à ma ceinture. Mes doigts tremblaient si fort que j'eus du mal à m'exécuter.

Merde, à la fin… Un de ces quatre, j'allais devoir me calmer. Je connaissais les faiblesses du Ponyta, maintenant. Je savais qu'il était robuste malgré son handicap… Mais je ne pouvais empêcher la peur de m'envahir chaque fois qu'on le mettait au tapis. C'était instinctif. Viscéral.

À quelques mètres de moi, le Passerouge patientait. Son vol était stable, stationnaire. Ses yeux trahissaient sa soif de combattre. Sa détermination ? Quelque chose du genre. Il avait conscience que je n'abandonnerais pas de sitôt. Il refusait de se laisser faire. Il désirait poursuivre, c'était évident. Je pris une grande respiration et tournai la tête vers Alpha.

— À toi, dis-je sobrement.

Mon Goupix opina et se redressa. D'un saut gracieux, il se retrouva là où son congénère venait tout juste de s'écrouler. Les yeux cloués à l'adversaire, il s'abaissa en position d'attaque.

— Tu as remporté cette manche, Passerouge, admis-je le plus sérieusement du monde, comme si je m'adressais à l'un de mes semblables. Mais le combat n'est pas terminé. Alpha, Flammèche et Vive-Attaque !

Nul besoin d'approfondir mes explications. Alpha savait pertinemment quelle stratégie je souhaitais mettre en place. Les flammes dégueulées, il s'élança sans attendre vers la bête orange et bondit dans l'espoir de lui coller un coup de tête. Non sans difficulté, cette dernière parvint à esquiver les deux attaques et riposta en chargeant.

— Encaisse et Feinte.

Mon renard adopta une posture paradoxale : il se raidit pour réceptionner le coup mais détourna le regard, comme s'il avait soudain oublié l'existence de l'oiseau et avait choisi d'observer la nature. Le crâne tout rond de l'ennemi s'écrasa contre le canidé, qui répliqua en lui flanquant un superbe coup de patte. Projeté par terre, le Passerouge effectua quelques tonneaux avant de terminer sa course plus loin.

Cette fois, je le tenais ! Une seconde Pokéball fusa, se referma sur le chromatique, connut deux soubresauts et… Encore raté. Le volatile rejaillit dans un tonnerre de piaillements.

— Rah, par Zacian ! Onde Folie !

Des lueurs spectrales vinrent tournoyer autour du piaf, qui perdit brusquement le contrôle de ses gestes. Il se mit à voleter sans but précis, tournant et bifurquant sans cesse, à croire qu'on l'avait transformé en marionnette dont une force invisible malmenait les fils.

Malgré tout, il paraissait décidé à mener cette bataille jusqu'au bout. Il enchaîna les tentatives désespérées en dépit de sa confusion. Pendant quelques minutes, il se précipita de part et d'autre, bec paré ou serres en avant. Je le regardai se prendre toutes les branches imaginables, me décalai lorsque des bourgeons, brindilles et autres bouts d'écorce nous pleuvaient sur la tête. Alpha, lui, s'écartait instinctivement, sans trop réfléchir. Quelques saletés se logèrent tout de même dans sa fourrure.

— Tente de le clouer par terre avec Vive-Attaque.
— Gou !

Alpha détala. Le rougegorge changeait si aléatoirement de trajectoire que mon renard eut du mal à le toucher. Au bout d'une dizaine de tentatives foireuses, mon Goupix perdit patience et éjecta de petits traits de feu vers son ennemi. Contrairement à ses attaques physiques, ces derniers firent mouche, réduisant l'allure frénétique du Passerouge. Un faux-mouvement de ce dernier le conduisit tout près de mon starter, qui banda ses muscles. Une occasion en or.

— Queue de Fer !

Bond, pivot et coup de queues recouvertes d'une étincelante couche argentée. Le rougegorge fut propulsé sur un lit de plantes. Son corps tressaillit. Allez, encore une fois ! Il était assez fatigué, là, non ? La Pokéball décochée fit crisser la végétation en s'agitant à trois reprises et…

Putain ! Encore et toujours raté !

Le type Vol retrouva sa liberté. Pire encore, il ne semblait plus confus du tout. Je notai toutefois qu'il faiblissait enfin. Bon sang, c'était pas trop tôt ! J'avais vu des Pokémon évolués démontrer des signes de fatigue plus tôt dans leurs combats ! Je ne faisais que distribuer des ordres et me trouvais dans un état pire que le sien, toute en sueur et en crampes douloureuses ! Mon cou était perclus de tension, mes jambes souffraient du fait que je sois demeurée si longtemps assise sur cette foutue souche et les muscles de mes bras brûlaient comme des lames chauffées à blanc.

Passerouge, lui, volait avec moins d'énergie. En dépit de Hâte, il se déplaçait avec une lenteur perceptible. Il puisa dans ses dernières forces pour contre-attaquer bêtement ; il tenta de surprendre Alpha en crachant le feu, reproduisant la même erreur qu'il avait commise contre Messala. Comment pouvait-il être aussi calculateur et inconscient à la fois ? N'avait-il pas l'habitude d'affronter ses parents de type Feu ? Était-il trop épuisé pour réfléchir convenablement ? La confusion avait-elle laissé des traces dans son esprit ?

Je l'ignorais, mais dans tous les cas, je ne cracherais certainement pas sur cet avantage.

— Calcination !

Un véritable torrent de feu déferla sur l'oisillon. Les flammes léchèrent son aile droite, dont les plumes s'embrasèrent. Par pur réflexe, le pauvre piaf se laissa tomber par terre et roula dans la poussière. Des raisins secs et des bouts de maïs qui se trouvaient sur son passage furent éjectés de part et d'autre. Une fois l'incendie étouffée, le Passerouge se redressa avec difficulté. Il tenta de reprendre la voie des airs, mais en fut incapable. Une poignée de plumes noircies se détachèrent de son aile tandis qu'il remuait frénétiquement.

Il s'agita ainsi pendant une minute ou deux et s'immobilisa, haletant. Son corps était secoué de tremblements ; ses pattes peinaient à supporter son poids. L'oiseau leva les yeux soudain sur moi et plongea ses prunelles bordeaux dans les miennes. Il maintint mon regard quelques secondes avant de pencher la tête, s'avouant vaincu.

À ma grande surprise, il s'inclina davantage en déployant ses ailes au sol. La reddition ultime. Je compris alors ce qu'il attendait de moi.

— Tu as mené un très beau combat, le complimentai-je en toute sincérité.

Frappée d'inspiration, je fouinai dans mon sac afin de retrouver ma Chrono Ball. Quoi de mieux pour mettre un terme à cette longue bataille et honorer l'endurance du rougegorge ? Cette sphère était le symbole d'une joute aussi longue qu'éprouvante. Elle me paraissait toute indiquée pour cette capture.

Je ne rencontrai aucune résistance, ce coup-ci. La Chrono Ball se verrouilla instantanément, sans soubresauter. Je passai la ramasser à petit pas, craignant inconsciemment qu'elle s'ouvre, et la soupesai. J'avais du mal à croire qu'un chromatique reposait à l'intérieur. Je savais bien qu'ils étaient plus nombreux à Edenia qu'ailleurs, mais ça ne changeait rien. Pour moi, c'était tout un accomplissement. Ce Passerouge s'était donné corps et âme dans ce combat et au final, il avait accepté de me rejoindre. C'était juste hallucinant.

Alpha me tira de mes pensées en appuyant son museau contre ma jambe. Plutôt que d'accrocher la ball à ma ceinture avec les autres, je la fourrai dans la poche ventrale de mon sweatshirt et m'abaissai pour soulever mon Goupix. Mon starter dans les bras, j'allai m'asseoir au pied d'un arbre et m'appuyai contre le tronc.

J'avais des tas de choses à faire, aujourd'hui : passer au Centre Pokémon, peaufiner ma dernière vidéo, mater le dernier combat de Kabu sur Pokétube, avancer mon devoir de stratégie, envoyer un long courriel à Mamie Fraser pour lui raconter cette première (et dernière !) séance d'ornithologie… mais ça pouvait attendre. J'avais désespérément besoin de me reposer.