On ne raccroche pas au nez de sa maman. [SOLO ❀ Terminé]

On ne raccroche pas au nez de sa maman.

Je dormais à poings fermés lorsque la sonnerie de mon Vokit retentit, annonçant l'arrivée d'un message texte. Dans un grondement, je me hissai en position assise. Mes couvertures tombèrent sur mes cuisses nues et je frissonnai au contact de l'air froid. Petit coup d'œil aux alentours. Ma chambre baignait toujours dans l'obscurité, mais les ténèbres étaient moins profondes que lorsque je m'étais assoupie. Les yeux dorés de mon Goupix me scrutaient attentivement depuis l'autre bout du lit. Guh… Quelle heure était-il ? Je tâtonnai pour attraper mon appareil de communication.

Cinq heures… Cinq heures trente-sept du matin ? Non mais, ça va pas la tête ? Quelle espèce de malade me contactait à cinq heures trente-sept du matin ?

Ma mère, apparemment. Elle me demandait de lancer un appel vidéo dans les plus brefs délais. Rah, par les crocs de Zamazenta ! Les parents médecins et leurs horaires dégueulasses ! C'était trop demander d'avoir une maman normale qui bossait de neuf à cinq, comme les autres ? Ou juste une mère qui prenait le temps d'écrire ce qu'elle souhaitait réellement vous communiquer plutôt que de vous ordonner de lancer un appel vidéo ? Premièrement, je dormais ! Deuxièmement, bah, je dormais, par Zacian !

Agacée, je balançai mon bidule électronique dans mes couvertures, me levai et m'empressai d'allumer la lumière. Boum. Parfait. Non, une minute, pas parfait ! Je ne portais qu'une camisole et une petite culotte. Merde ! Je me dépêchai d'enfiler les premiers vêtements propres sur lesquels je pus faire main basse ─ deux trucs qui n'allaient absolument pas ensemble et me donnèrent des airs de sapin ambulant. Argh ! Tant pis. Je démarrai cet appel de malheur.

Une petite musique énervante retentit. En attendant ma mère, je tentai de dompter ma tignasse, dégoûtée face à mon reflet dans le coin inférieur droit de l'écran. Plus moche tu meurs.

Madame la docteure apparut enfin, bien coiffée, bien maquillée et bien habillée. L'injustice totale ! On ne l'avait pas arrachée des limbes du sommeil, elle ! Je croisai les bras sans trop m'en rendre compte, boudeuse.

— Bon matin, Arcanine sunshine !
— Bon matin, m'man… Il est un peu tôt, non ?
— Un peu tard, si tu veux mon avis. Je viens tout juste de rentrer. Grosse nuit à l'hôpital. Un combat Pokémon a dégénéré et une attaque Séisme a blessé une vingtaine de spectateurs en plus des deux dresseurs impliqués. Avant que tu me le demandes : non, ce n'était ni pendant un combat d'arène, ni dans le cadre du championnat de Galar. Ton grand Kabu n'a rien à voir avec cette histoire. Je t'épargne les détails. Comment tu vas, chérie ? Pas trop pressée d'écrire à la maison, à ce que je vois.

ARGH. Pourquoi les mères se sentaient-elles obligées de nous faire culpabiliser à la seconde où elles demandaient de nos nouvelles ? Pourquoi étaient-elles incapables d'enchaîner avec un truc du genre « Et tes Pokémon vont bien eux aussi ? Les devoirs sont gérables ? Tu t'es fait des copains ? Tu me manques, ma chérie, j'espère que tu prends bien soin de toi. » ? Je ravalai un soupir et lui répondis en m'efforçant de cacher mon irritation.

— Ouf, c'est nul tout ça. Contente que Kabu n'ait pas été impliqué dans l'accident ! Et « mon grand Kabu » ? Franchement, maman ! Petite pause indignée. C'était mon idole enfin, pas mon crush ! À l'entendre, on croirait que j'allais le marier. Je vais bien et toi ? Le reste de la famille, ça va ? Puis tu sais m'man, avec les cours, l'entraînement, j'ai pas toujours le temps de vous donner des nouvelles.

De toute manière, je tombe sur vos boîtes vocales chaque fois que je vous téléphone, alors on se calme, m'interdis-je d'ajouter. Des plans pour recevoir une tannée monumentale en rentrant chez moi. Nah, j'exagérais.

— Tout va bien. Grand-père et grand-mère Langley ont hâte de recevoir de tes nouvelles. Papi et Mamie Fraser sont passés pour le thé avant-hier. Eux aussi aimeraient bien que tu les appelles de temps en temps. Tu négliges beaucoup tes grands-parents, Kalian. Fais un petit effort, tu veux ? Enfin, bon, ce n'est pas de ça dont je voulais discuter ce matin. Tu avais des questions d'ordre médical concernant ton Pokémon… ?
— Ah oui, Messala ! C'est un Ponyta que j'ai adopté dernièrement. Il a un handicap au genou et je me demandais si tu connaissais le nom du machin qu'on lui a attaché à la patte, attends…

Je lui envoyai une photo du truc captée au parc la veille. Dans le feu de l'action, j'expédiai aussi un cliché de mes trois Pokémon rassemblés autour des friandises mystères que j'avais achetées au port, le jour où on m'avait offert une peluche et un bracelet en échange de ma participation à un sondage. Alpha reniflait les bonbons pour dénicher ses saveurs préférées, Zphen avalait tout comme un goinfre et Messala plissait les yeux, méfiant. Et pourquoi pas un selfie, tiens, un selfie en plus. Je portais un débardeur et des boucles d'oreilles qu'elle m'avait offerts dessus.

— Awh, vous êtes à croquer ! Hum. Bon. Je ne suis pas une experte en instruments médicaux pour les Pokémon, alors il se peut que je me trompe, mais la version « humaine » de ce machin, comme tu dis, se nomme une orthèse de soutien. Elles sont articulées par défaut de sorte à suivre les mouvements du genou. Assure-toi de pouvoir passer les doigts dessous pour ne pas bloquer la circulation sanguine de Messala et ajuste en conséquence. S'il devient impossible de l'étirer davantage alors que tu peines à insérer tes doigts, demande une nouvelle orthèse à une infirmière Joëlle.
— Ouais, okay mais… Hum… C'est cher… ?

Une question d'humanité et non d'avarice. Si je ne pouvais payer pour les soins dont il avait besoin, je préférais confier mon valeureux Ponyta à quelqu'un qui avait les moyens de le faire. Avoir de la peine me dérangeait beaucoup moins que de le laisser souffrir parce que j'étais trop pauvre pour faire autrement.

— Ce n'est pas gratuit, ça c'est certain. Mais si tu as besoin d'aide financière, papa et moi sommes là pour toi. C'est une chose d'acheter ses propres balls, potions et pierres évolutives, c'en est une autre de demander du soutien pour des raisons de santé, compris ?
— Compris ! Merci maman, t'es la meilleure !
— Même quand je te tire du lit avant six heures du matin ? plaisanta-t-elle, malicieuse.
— Mouais. T'es docteure, c'est pas de ta faute, concédai-je, amusée. Mais faut pas le faire trop souvent, d'accord ? En échange, je te promets d'appeler mes grands-parents plus souvent !
— Ça me va. Puis tu sais chérie, même s'ils ne sont pas aussi sympathiques que mamie et papi Fraser, grand-père et grand-mère Langley t'aiment beaucoup.

Pas aussi sympathiques, c'était un gigantesque euphémisme. En un mot, mes grands-parents maternels étaient insupportables. Ils agissaient comme des membres de la royauté juste parce qu'ils étaient riches. Ils n'avaient pas fait d'études prestigieuses. Ils ne possédaient aucun titre de noblesse. Ils n'avaient pas de terre ni de château. Ils collectionnaient les horloges, les tableaux et les instruments de musique, mais c'était bien tout ce dont ils pouvaient se vanter. Enfin, de ça et de la réussite de ma mère. Médecin, ce n'était pas de la petite bière.

Quant au fait qu'ils puissent m'aimer, j'en doutais sincèrement. Ils avaient toujours des reproches à me faire et des sermons à m'adresser. Impossible de passer deux minutes à leurs cotés sans me prendre une remarque désagréable : mes manières étaient disgracieuses, mes vêtements provocateurs, mon vocabulaire décevant et j'en passe.

— As-tu d'autres questions avant que j'aille dormir ? demanda maman, ce qui acheva de me ramener sur terre.
— Hum… Oui ! Si tu devais enseigner l'attaque Hypnose à un Ponyta de type Feu, tu t'y prendrais comment ?
— Hé oh, minute papillon ! rigola-t-elle, une main pendue à ses boucles brunes. Le dressage ne fait pas partie de mes compétences, tu le sais bien. Cherche dans tes vieux livres, peut-être que tu trouveras quelque chose. Bon, je te quitte avant de m'endormir sur place. Passe une bonne journée, ma future dresseuse d'arène. Je t'aime fort.
— Dors bien, maman ! Je t'aime aussi. Et dis à papa que je l'aime, hein !

Elle promit de transmettre mon message et nous raccrochâmes. Je demeurai assise un moment, habitée du même sentiment que j'éprouvais quand je terminais un jeu vidéo. Un peu de tristesse, un peu de bonheur et la sensation de ne plus savoir quoi faire de ma vie. Dehors, l'astre du jour avait commencé son ascension. Mon renard chromatique vint presser son museau contre ma main. Je le calai contre mon ventre et caressai ses petites oreilles en réfléchissant. Où est-ce que j'avais rangé mes vieux livres de dressage, déjà ?

Peut-être sous mes manuels scolaires. Je reposai Alpha et allai fouiller dans mes affaires. Quelques minutes plus tard, j'étais de nouveau assise sur mon lit, un bouquin ouvert devant moi. Je le parcourus lentement et tombai sur un chapitre traitant des changements de statut : exactement ce qu'il me fallait ! Une page toute entière était consacrée à l'étude de l'attaque Hypnose : comment l'apprendre, comment la développer et comment prolonger le sommeil de l'ennemi. Une belle mine d'informations !

Pour couronner le tout, ça ne semblait pas si compliqué. Il ne fallait pas grand chose pour enseigner cette capacité à un Pokémon : du calme, de la concentration et de la confiance. Dans le bouquin, ils appelaient ça les trois C.

Déterminée, je saisis la Copain Ball de Messala et l'invoquai avec prudence, au centre de la pièce. Avant qu'il puisse esquisser le moindre geste, je le mis en garde.

— Doucement, mon brave. Ma chambre, c'est comme le centre d'adoption. Il faut faire très attention pour éviter de mettre le feu, tu comprends ?

Mon Ponyta poussa un souffle doux, comme pour m'assurer qu'il m'avait bien comprise. Chouette ! Je savais que je pouvais compter sur lui. Mes Pokémon étaient vraiment géniaux !

— Aujourd'hui, on va essayer d'apprendre une nouvelle attaque ! Elle va te permettre d'endormir tes adversaires. Comme ça, tu auras l'occasion de les affaiblir sans qu'ils puissent riposter. Alors on commence par se détendre…

Pour donner l'exemple, je pris une grande respiration et relâchai la tension dans mes épaules. Mon poney était plutôt calme à la base, mais je tenais à ce qu'il soit détendu au maximum pour cet exercice. De plus, l'apaiser l'aiderait sans doute à dompter ses flammes. Du moins, je l'espérais. Si gagner sa confiance signifiait qu'on pouvait les toucher sans se brûler, dixit môssieur le Pokédex, il devait avoir un minimum de contrôle dessus, non ?

J'attendis que Messala soit parfaitement zen pour reprendre mes instructions.

— Très bien. Maintenant, on se concentre sur la cible. Alpha va jouer les ennemis aujourd'hui. Pas de coups, pas de feu, on ne fait que se concentrer. Observe ses moindres gestes. Guette les sons qui émanent de lui. Ne le lâche pas d'un sabot.

Messala obéit. D'une main, j'ordonnai à Alpha de bouger un peu. Il se déplaça lestement d'un bout à l'autre du lit, puis vint s'asseoir à ma gauche. Le cheval suivait chacun ses mouvements en remuant inconsciemment les oreilles. Super ! Il était bien concentré. On pouvait passer à la phase suivante.

— Magnifique ! Continue comme ça et imagine Alpha en train de s'endormir. Complètement épuisé. Il tombe de fatigue. Il bâille aux Cornèbre. Ses paupières sont lourdes. Il s'assoupit lentement mais sûrement. Imagine tout ça. Tu dois lui communiquer mentalement ce besoin de dormir. Tu penses en être capable ?

Pour toute réponse, les grands yeux du poulain s'étrécirent. Je me concentrai sur les deux bêtes, qui se dévisageaient comme si elles tentaient de mémoriser jusqu'au moindre trait de leur camarade. Un long moment s'écoula avant que je note un changement dans la posture d'Alpha. Il piquait légèrement du museau. C'était minime, mais c'était le cas. On progressait.

Dans un murmure, je répétai mes instructions à Messala, qui ne broncha pas, immobile. Seules ses flammes continuaient de se mouver paisiblement. Cinq minutes filèrent. Mon renard bâilla. Ses prunelles dorées s'écarquillèrent soudain : il venait de comprendre qu'on tentait de l'endormir de force. D'instinct, il tenta de s'y opposer. Je le laissai faire. L'apprentissage de Messala serait encore plus efficace s'il rencontrait de la résistance.

Quelques instants plus tard, mon renard bascula sur mes couvertures, endormi. Je poussai une exclamation de bonheur et levai un poing en l'air. Alpha s'éveilla immédiatement, démontrant la faiblesse de l'attaque, mais je m'en lavais les mains. Mon poulain avait assimilé les bases, il ne restait plus qu'à pratiquer, maintenant !

Ravie, je bondis hors du lit pour câliner l'encolure de Messala. Je n'avais toujours pas osé plonger les doigts dans les flammes rougeoyantes. Nous nous entendions bien, mais pas de là à dire que nous nous vouions une parfaite confiance. Disons seulement que notre amitié démarrait du bon pied. Je bouclai mon geste d'affection par des petites tapes amicales et rappelai le cheval.

— Dodo pendant quelques minutes et ensuite, on va tous prendre le petit-déjeuner dehors ! annonçai-je gaiement à mon Goupix, souhaitant profiter au max de cet été express.

Le concerné poussa un « Pix ! » enthousiaste. Patient, il attendit que je m'installe pour se lover dans le creux de mon cou. Son pelage chaud et soyeux m'apaisa instantanément. Ensemble, nous retournâmes entre les plumes de Cresselia, planant vers une courte sieste dépourvue de mauvais rêves.