Dans la lune [solo/capture]

Des fois j’ai des grosses envies de créer. Ce n’est pas un problème vous me direz, il suffit que je me cale devant le bureau de ma chambre, que j’allume mon ordinateur portable, que je commence à écrire un texte, ou que j’ouvre un logiciel de montage, ou encore que je m’essaye à composer de la musique, ce qui n’est pas encore mon fort pour ce dernier point. Juste avec un bout de technologie, la limite n’était plus que l’imagination. Cependant cette méthode me satisfaisait un moment. J’avais envie d’appliquer mon style à mon environnement et pour ça je devais sortir. Je ne sors pas souvent avec seulement en tête une création artistique, mais il m’est arrivé de le faire quelques fois à Winscor, me dirigeant vers des terrains vagues, des lieux peu fréquentés. Je suis même allé squatter une usine abandonnée une fois. Mon sac à dos remplis de peinture en spray de différentes couleurs, prêt à taguer un mur que pratiquement personne ne verrait. Il me suffisait alors d’enfiler mon casque audio sur mes oreilles, de choisir une musique sur mon portable. Un petit instant paralysé par la page blanche, ou plutôt le mur gris en face de moi et d’un coup l’inspiration me venait. J’enfilais mon foulard sur mon nez ainsi que mes lunettes de soleil, puis sélectionnais les différents spray, animé par le démon artistique de la rue, presque en transe. Mon imagination naissait sur un mur, et l’œuvre disparaîtrait sans doute un jour. Je prenais donc toujours soin de prendre quelques photos avant de repartir.

Voilà, c’est ce sentiment qui me gagnait à l’heure actuelle. Sur un coup de tête je décidais de sortir de l’académie un peu avant 20h, juste après avoir mangé. On était en saison estivale et je n’avais pas trop à m’inquiéter que la nuit arrive trop vite. Je serai de retour pour 22h. Je préparais rapidement le minimum nécessaire dans mon sac à dos et y fourrait tout les spray. Sans plus tarder je sortais, libérant Rainbow qui marchait à mes côtés. On fit en sorte d’éviter de rencontrer n’importe qui pour éviter tout contre-temps.

Au moment où je quittais le parc pour me diriger vers la montagne, j’enfilais finalement mon foulard et mes lunettes sombres. Ce soir j’étais « Blazer », l’artiste de rue mystérieux, connu seulement à Winscor par mon style graphique rétro-futuriste et ma signature aux tons pastels. Sans doute tomberiez vous sur un de mes graffiti si vous empruntiez les lieux les moins fréquentés et miteux de la métropole de Galar, mais vous ignoreriez sans doute qui en est vraiment l’auteur. Il m’est arrivé de poster les photos de mes œuvres sur des forums ou des réseaux sociaux, toujours avec le même pseudo. Je n’ai jamais eu l’intention de dévoiler que c’était vraiment moi. Sans doute à cause de ce manque de confiance en moi, comme souvent ou peur de rendre mes parents furieux que je m’autorise à vandaliser des surfaces publiques. Vandaliser… ce n’est pas le mot correct. Pour moi le sens correct c’est plutôt « mettre en valeur » et puis croyez-moi, qui ça va déranger qu’un mur paumé quelque part dans une ruelle pourri de Winscor soit taguée ? Les flics ne passent jamais dans ces types d’endroit de toute façon.

Je m’approche d’une zone rocheuse, il faut un peu monter. Je m’essouffle légèrement tandis que ma ponyta n’a aucun problème à faire cette petite ascension. Mais l’effort laisse vite place à l’enthousiasme lorsque je tombe sur ce qui reste des murs d’une maison abandonnée et légèrement détruite. J’accours jusqu’au point d’intérêt tout en me rendant compte que pendant ma route, le soleil a un peu baissé. J’ai encore le temps. Le crépuscule s’installera bientôt. Je remarque que la nature commence à reprendre ses droits sur les fondations de cette vieille baraque. Des mousses et lichens principalement, mais ce n’est pas un soucis. Je repère la position la plus adéquate pour faire mon œuvre, je pose mon sac à dos juste à côté. Je pioche la bombe de couleur grise. J’avais déjà une idée en tête.

Tout commencerait par une lune.

Rainbow s’assit tranquillement à proximité pour observer le spectacle graphique. Je secouais mon spray, mettait mon casque sur les oreilles et mettait de la musique. Je pouvais y aller.


Je dessinais d’abord les contours de la lune avec le gris. Je décidais de faire une pleine lune. J’essayais même de jouer avec les irrégularités du mur pour que les cratères apparaissent à leur tour. Je m’appliquais à donner différentes nuances à l’astre couleur cendrée, jouant sur différents niveaux de pression du jet de peinture. Voilà, ma lune était faite mais je ne m’arrêtais pas là pour autant. Je jetais alors un œil vers l’horizon en dehors de l’île et m’aperçut de l’étendue océanique incroyable, l’air songeur. Puis je décrétais aussitôt que j’ajouterais un océan dans mon œuvre.

Oui !

Une sensation de frénésie artistique supplémentaire m'investissait. Je pris un bleu foncé, mais également un blanc. Le bleu marine pour la mer et le blanc pour les reflets du clair de lune. J’ajoutais quelques détails comme des vagues ou de l’écume. Je m’interrompis un moment, me reculais pour voir mon œuvre de façon plus globale. Quelque chose manquait non ? Je jetais un œil sur Rainbow, espérant trouvait l’inspiration en elle – car c’était ma muse après tout. Elle avait un regard neutre en voyant le dessin, mais elle eut un air bienveillant lorsqu’elle remarqua que je guettais sa réaction. C’était le genre de regard qui voulait dire « c’est bien mais... », en outre ce n’était pas tout à fais ça. Je comprenais bien ses réactions à force. Si elle n’avait pas des étoiles dans les yeux en observant le rendu, je pouvais être certain que c’était juste… moyen.

Alors je pris un moment pour réfléchir, me plongeant de nouveau dans la crinière colorée et hypnotique de ma partenaire pour y trouver la même inspiration que me donna la vision de cet arc-en-ciel lorsque j’avais huit ans. C’était presque une vision psychédélique, ainsi couplée à la musique. Mais rien qui ne me vienne pourtant, jusqu’à ce que j’entende le hurlement d’un pokémon à proximité. Oui c’est ça, un loup qui hurlait vers la pleine lune, c’est ça qui me manquait ! Non attend Blaise, c’est n’importe quoi, ou est-ce que tu vas mettre un lougaroc en plein milieu de l’océan, c’est débile ! Des fois je me trouvais trop con, et là j’étais un peu déçu de mon emportement soudain. Je fus coupé aussitôt dans mon élan. Certes je pouvais toujours créer une petite île au milieu de l’océan. Non, ce serait du gâchis, je ne voulais pas trop altérer les reflets de la lune sur les vagues. Je cherchais alors. Il devait bien exister le pokémon parfait pour ça, non ? Océan, chanter, sirène ? Mais oui c’est ça, bingo !  

Aussitôt je rangeais mon bleu foncé pour l’échanger avec un bleu plus clair. C’est alors que la transe me prit. Je dessinais un petit rocher émergeant de l’eau avec un spray gris, puis commençait à m’attaquer au pokémon que j’avais en tête. La queue comme une sirène, le corps comme une otarie, et la prestance harmonieuse d’une chanteuse d’opéra. A cet instant précis j’étais content d’avoir vu un documentaire sur la faune d’Alola, un jour. J’appliquais encore quelques détails et puis voilà ! Je pris finalement du recul, l’air encore un peu excité par mon état secondaire fortement inspirant et observais l’œuvre accomplie. C’était un oratoria remplis de grâce qui avait l’air de chanter une mélopée envoûtante au clair de lune. J’imaginais alors les possible marins charmés par le chant de cette sirène et venir à la rencontre de cette voix irrésistible, sublimée par une belle nuit de pleine lune.

Je guettais la réaction de Rainbow et autant dire qu’elle aimait beaucoup, je le voyais dans ses yeux brillant et son air enjoué. C’était le signe de ma réussite. J’inspirais longuement, l’air soulagé et me mettais à sourire derrière mon foulard. Je remarquais alors que le soleil était bien plus bas. Je jetais alors un œil à l’heure sur mon téléphone et remarqua qu’il était presque 21h30 ! Je n’avais pas vu le temps passer dans ma passionnante épopée graphique, mais heureusement j’avais pu terminer avant que le soleil ne se couche. J’en profitais enfin pour signer mon œuvre avec mon pseudo, utilisant comme toujours un mélange de spray cyan et rose pour taguer « Blazer » en bas à droite.

Je rangeais ensuite tous mes spray dans mon sacs à dos, souleva mon smartphone tandis que je le mettais en mode photo et pris plusieurs clichés dans différents angles. Il ne me restait plus qu’à poster ça sur le net en rentrant. Ma soirée n’avait pas été perdue. Elle était même déjà sublimée !

Je récupérais alors mon sac et m’apprêtais à revenir à l’académie avant la fermeture imposée par le couvre-feu. Pourtant sur mon chemin je remarqua un peu d’agitation. Depuis l’entrée d’une grotte je vis un peu d’animation. J’aperçus alors un croissant de lune… non attendez... C’est quoi ce pokémon ? Oh, mais c’est un séléroc ! Donc je vois un séléroc expulsé d’une grotte tout en lévitant. Il tourne sur lui-même comme si quelque chose venait de le frapper et l’obligeait à tournoyer sous le choc.

Puis… nom d’un voltoutou ! C’est un ursaring furieux que je vois sortir de la grotte à présent ! Je le vois s’approcher de nouveau du pokémon en forme d’astre lunaire, lui asséner une tranche sur son long nez rocheux. Le séléroc recule encore et fait d’autre pirouettes sur lui-même en flottant, jusqu’à ce qu’il se rétablisse de nouveau face au choc. Si ce n’était que des coups de griffe que lui infligeait l’ours furieux, je ne devais pas trop m’inquiéter pour le pokémon rocheux, n’est-ce pas ? Surtout que j’apercevais ensuite la lune animée charger sur une paroi rocheuse au dessus de l’ursaring tout en flottant. Il avait percuté la roche au dessus de lui avec fracas pour provoquer une attaque éboulement. Des rochers étaient alors en train de dégringoler, sur le point de tomber sur l’ursidé mais il les évita tous sans exception. Il est plus souple et réactif que moi c’est sûr… et donc le séléroc enchaîna en fonçant avec une attaque charge.

Ouai vas-y séléroc ! que je me disais. J’ignore pourquoi j’étais dans son camp après tout, mais je voulais le voir gagner. L’ursaring le laissa approcher, commençant à mimer une autre attaque tranche qui surviendrait lors du clash, sauf qu’avant que la charge ait eu lieu, l’ours fit un pas chassé rapide esquivant la charge, et sa tranche se changea en un coup de poing qui percuta le séléroc par derrière. C’était quoi ça ? Une attaque feinte ? Probable. En tout cas le séléroc venait de perdre de l’altitude sous le coup et se ramassa au sol, avant de se relever avec difficulté. L’ursaring profitait déjà de ce temps de flottement pour enchaîner une autre attaque, sans doute décisive.

Ah non, c’était pas du jeu ! Je n’allais pas laisser ce séléroc perdre ! Je jetais un regard rapide vers Rainbow et lui commanda rapidement une attaque.

« Choc mental sur l’ursaring ! »

Ma partenaire s’exécuta aussitôt, crinière et corne brillant de mille feu. Une poussée psychique bouscula alors le grand pokémon et il se cogna la tête contre la paroi rocheuse. A présent il semblait comme assommé et commençait à agir de façon irraisonnée en allant se cogner de nouveau ailleurs ou tranchant la roche de façon inutile. A ce moment je vis le séléroc se rétablir et se servir à son tour d’une attaque similaire à ma ponyta. Cette fois-ci la poussée psychique fit trébucher l’ursaring sur les fesses, tandis qu’il avait les mains plaquées sur la tête comme parcouru d’une migraine.

J’observais toujours avec attention, j’étais rarement autant impliqué dans un combat qu’à l’heure actuelle. C’était donc ça, cette sensation d’adrénaline que les dresseurs aimait ? Bah… je trouvais pas ça aussi stimulant que quand je venais de taguer tout à l’heure, mais je pouvais pas nier que c’était assez cool comme sensation. Bon bref. En tout cas je vis à présent l’ursaring se relever, l’air groggy mais surtout mécontent, il avait à présent une patte sur son postérieur possiblement douloureux, en plus d’une patte restée comprimée à son crane sous le coup de la migraine. Je l’entendis grogner une dernière fois et il décida de s’avouer vaincu en s’éloignant tout en clopinant, s’écartant de la grotte. Donc techniquement là le séléroc avait gagné ouai ? Cool !

Du coup j’aperçus le pokémon roche s’introduire à son tour dans la grotte. J’imagine qu’il voulait trouver un refuge, mais que ce gros ours occupait déjà la place. Bon, il ne restait plus pour moi qu’à repartir. Mais j’attendais que le pokémon lune soit complètement hors de vue. Je le vis atteindre timidement l’entrée de la caverne, puis il s’arrêta en observant l’intérieur pendant quelques secondes, puis ensuite il se retourna pour m’observer moi et Rainbow, tout autant de temps. Il réitéra le même manège une autre fois. Bon… qu’est-ce qu’il lui prend. Il entre oui ou non ? Si ça continue je vais être en retard, je ne vais certainement pas l’observer indéfiniment faire des rotations sur lui-même. Il recommença ainsi deux ou trois fois, puis au bout d’un moment j’en eu un peu marre et me décida enfin à partir, interpellant ma compagne tout en faisant un pas, prêt à décamper.

« Bon allez Rainbow, on y retour-... »

Quelque chose venait d’attirer mon attention tandis que je zyeutais une dernière fois vers la grotte. Le séléroc n’était plus devant à y attendre d’un air indécis, il s’était plutôt dirigé vers moi. Euh… ok ? Du coup c’est dangereux ou pas là ? Je ne sais pas trop au final. J’avais décidé de rester immobile et de le laisser faire. Il s’était arrêté devant nous sans faire un bruit, puis il se tourna d’abord vers moi, puis mon petit poney. Finalement il y eut une sorte de ronronnement assez fort et grave de sa part. Ca ne ressemblait même pas à un langage. Je regardais Rainbow en haussant les épaules pour savoir ce qu’il en était, et elle me sortit un air tout aussi perplexe, comme quand elle ne comprenait pas quelque chose. Bon… je n'étais pas étonné si elle ne parlait pas le langage lunaire je me disais. C’était sans doute comme une barrière de la langue entre eux. Mais bon, c’était tous les deux des pokémon psy, il y avait bien un moyen de se faire comprendre, non ? Ça marche pas comme ça ? Enfin, autant essayer quoi.

« Dis Rainbow, tu ne peux pas utiliser tes pouvoir psy pour essayer de savoir ce qu’il veut ? »

J’aperçus ma ponyta incliner la tête, d’un air dubitatif avant de finalement jouer le jeu. Sa corne s’éclaira. Puis le séleroc réagit, ronronnant de nouveau et bougeant légèrement. Jusqu’à ce que, à ma surprise Rainbow fasse un sourire et que sa corne s’illumine de nouveau comme si elle envoyait un autre message à son tour. Bon… hé bien finalement ça marchait plutôt bien ! Leur échange dura un moment, sans vraiment que je comprenne ce que le croissant de lune avait en tête, car autant dire que sa palette d’émotion avoisinait le néant. Impossible de savoir ce qu’il voulait. Au final ce fut ma partenaire qui sauva la situation. Elle s’approcha de moi et tamponna avec son museau au niveau d’une poche de mon jean, où j’avais stocké mes pokéball. De quoi ?

« Euh… hein ? Il veut… il veut se faire capturer ? »

Rainbow aquiesça. Heureusement qu’elle était là pour traduire un peu les pensées du séléroc, sinon vous imaginez le malaise ? Bon… je fouilla dans ma poche et en sélectionna une avec un motif de lune. Je l’avais trouvé sympa à la boutique, forcément je m’en étais pris une. Ce serait parfait pour capturer celui là.

« Bon… Ok. » dis-je simplement sans savoir si je devais m’enthousiasmer ou quoi.

J’étais encore un peu pris de cours à vrai dire. Je ne pensais pas repartir avec un pokémon. De toute façon je ne pouvais certainement pas passer à côté de l’occasion ! Après c’était un peu logique qu’il veuille venir je me dis. On l’avait aidé lors du combat. Je croyais juste qu’il serait mieux dans cette grotte. Bon tant pis… ou plutôt tant mieux pour moi. J’étais le gagnant dans l’histoire ! Je lançais alors la lune ball. Elle ne rencontra aucune résistance. La capture s'effectua.

Hé bien on repasserait pour le suspense… moi qui aimais ça.

Et donc j’avais capturé un séléroc quoi. Dur à croire encore. En plus d’avoir fini un tag assez satisfaisant. Une soirée pas du tout perdu quoi, bien au contraire. Bon, il ne me restait plus qu’à me dépêcher de rentrer à l’académie. J’aimerais quand même ne pas risquer de me faire coincer et qu’on me colle une retenue. Cette soirée avait déjà si bien débuté, ce serait dommage de la gâcher.

Voilà tout.
Ah et d’ailleurs… je décidais d’appeler mon nouveau partenaire Seles.

Hé oui, je ne pouvais pas non plus être tout le temps archi inspiré tout de même. Mes parents m’ont bien appelé Blaise après tout, non ? Parlez-moi donc d’une belle panne d’inspiration...