Je suis né à mes vingt ans, je dirais. Cette phrase vous étonne sûrement. Mais c’est tout à fait ce que je ressentais. Avant mes vingt ans, je ne vivais pas. Du moins, je ne vivais pas pour moi.
Mes parents m’ont donné la vie le 9 janvier 1995 à Illumis, à Kalos. J’étais d’une famille plutôt aisée. Aux origines nobles, même. J’étais enfant unique, et j’avais eu une vie assez banale pour un enfant de bonne famille. Mais je n’étais pas seul malgré mon statut d’enfant unique. J’avais une cousine, plus âgée que moi. Je n’étais pas proche d’elle. Cependant, son petit frère – Hyacinthe, que j’aime appeler tout simplement Hya - avait une dizaine de mois de moins que moi. Ce qui nous rendu plutôt proches, finalement. Je l’appréciais beaucoup. Nous étions comme liés. Comme des frères, finalement. Il était frêle et petit. Je voulais le protéger. Comme le ferait un grand frère.
Mon premier Pokémon m’avait été offert à 10 ans par mon père. Une jolie petite Évoli enjouée mais calme. Joueuse et paisible à la fois. Je la renommai Althéa.
Mes journées, et ce, depuis que j’étais entré dans le milieu scolaire, se ressemblaient toutes. J’allais à l’école, je rentrais, je travaillais d’arrache-pied pour satisfaire mes parents qui se faisaient un malin plaisir à dire à leurs amis que leur « fille » était parfaite.
Parfaite, hein ?
Je ne savais même pas qui j’étais à l’époque. Je me sentais la plupart du temps… vide ? Non, disons, incomplet. Comme s’il me manquait toujours quelque chose. Et seule Althéa le ressentait. Et elle était toujours là pour me changer les idées et me faire ressentir ne serait-ce qu’un peu de bonheur. Hyacinthe aussi, d’ailleurs. Il égayait mes journées mornes. Il m’aidait à me détendre. Avec lui, nul besoin d’être parfait. J’étais moi-même, et c’est tout.
Mais j’effaçais toujours ces pensées sombres et que je jugeais insignifiantes pour me concentrer sur mon travail. Il fallait que je devienne médecin, après tout. Il fallait qu’
ils soient fiers de moi.
Hormis les cours que je réussissais parfaitement ou presque, la seule passion que je me permettais d’avoir, c’était la confection de thé et tisanes. Un art noble que ma mère m’avait transmis dès mon plus jeune âge.
Il m’arrivait aussi de regarder des vidéos sur PokéTube. Sur différents sujets. Liés à la psychologie ou à des phénomènes sociaux. Autant sur les Humains que les Pokémons. Et un jour, à 15 ans, je découvris qui j’étais. Se découvrir à 15 ans, c’est plutôt tard, vous ne trouvez pas ? Pourtant, plusieurs personnes connaissent ce sentiment. D’autres découvrent leur réelle identité bien plus tard. Et vivent toute une vie de mensonge avant de découvrir leur « true self ».
Cette découverte fut un choc. Mais en même temps, c’était une évidence.
J’étais un homme. Enfin, un garçon, vu mon âge. C’était une évidence, en effet. Je n’avais jamais été une fille, après tout. Cette étiquette ne me seyait pas le moins du monde. Et même si maintenant, j’acceptais de me coller une étiquette « garçon » sur le front, je considérais qu’elle avait toujours été là. Mais comme elle était sur mon front selon ma métaphore, je ne pouvais la voir de mes propres yeux.
J’en parlai tout de suite à mon meilleur ami, Narcisse. J’étais en panique. J’avais peur qu’il ne comprenne pas. Mais ce dernier me répondit gaiment : « C’était une évidence ! »
Jamais je n’oublierais ce jour. Je me sentais libéré. Et je me sentais
moi.
Tous les vêtements dans lesquels je ne me sentais pas
moi disparurent de ma penderie. Je les avais tous rangé dans des cartons que j’avais laissé à l’abandon dans le sous-sol de notre demeure. Les robes ultra chères aux couleurs vives et bariolées, non merci. J’aimais la sobriété. Et les couleurs plus discrètes.
Ma mère, me voyant porter des vêtements complètement différents de d’habitude, se doutait de quelque chose, mais n’avait jamais fait de commentaire. Jusqu’à ce jour…
J’étais rentré d’un après-midi « shopping » avec Narcisse qui avait décidé de m’aider à me rhabiller, pour que je me sente mieux dans mon corps. Et le lendemain, je les portais, naturellement. Des vêtements assez banaux, en fait. Mais dans mon style. Plutôt masculins, bien que je les trouve globalement neutre. Mais ça n’était pas l’avis de mes chers parents. Ils l’avaient remarqué, mon changement de style.
Ils ne comprenaient pas que leur « adorable fille » se soit débarrassée de toutes ses robes et autres jupes dans lesquelles « elle » se sentait incroyablement vide, comme si « elle » devait assumer un rôle qui ne lui convenait pas le moins du monde. Notez bien l’ironie dans ma voix. Et on pouvait aisément ressentir leur déception, qu’ « elle » s’habille « comme un garçon »,. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que j’étais justement un garçon.
Le pire arriva lorsqu’ils découvrirent que je portais des sous-vêtements masculins. Ça n’était rien, des sous-vêtements, au fond. Mais pour eux, ce fut la goutte de trop. C’était « vulgaire ». Et je les « provoquais ». Mais je ne dis rien. Je ne disais jamais rien. J’endurais. J’avais été vide toutes ces années. Il fallait que je continue à ne rien ressentir.
Or, je laissais tout de même parfois mes émotions jaillirent hors de moi lorsque j’étais avec
lui. Narcisse. Le seul qui me comprenait jusqu’à présent. Et l’été qui suivit, j’avouai mes sentiments à ce dernier. Le jeune homme, dans un grand soulagement collectif, ressentait la même chose pour moi.
A l’annonce de ma mise en couple, mes parents ne purent rien dire de plus qu’un : « Ouf, elle sort avec un garçon. Elle n’était pas homosexuelle, finalement. »
En fait, si, techniquement. Dans tous les cas, j’étais amer. Ils n’avaient toujours pas compris. Mais je ne leur disais rien. Je ne pouvais pas les blâmer. Alors j’endurais encore. Et me cachais dans un insondable silence. Silence qui était mon paradis perdu. Ma seule échappatoire quand Narcisse n’était pas à mes côtés, ou que mon Evoli dormait à poings fermés.
En effet, j’étais un homme. Et en plus, j’aimais les hommes. Ajoutons à cela le fait que je sois transgenre et que je ne souhaite pas être un cliché viril, et vous obtenez le fruit de l’incompréhension de mes chers parents.
Je passais environ la moitié de mon lycée à cacher qui j’étais à mes parents. Et même à mon cousin dont j’étais si proche. Ayant peur qu’il se mette à me rejeter, s’il l’apprenait… Enfin, je leur montrais qui j’étais, de manière plus ou moins subtile, tout de même. Mais sans leur dire clairement que j’étais un garçon. Cependant, j’en avais parlé à mes amis et mes professeurs. Et j’avais même choisi un prénom qui me correspondait. Tout le monde l’utilisait, d’ailleurs. Sauf
eux.
Au milieu de mon lycée, je finis par en avoir marre de me cacher. Et les remarques commençaient à me peser.
Mon silence se brisa. Tout comme mon verre en cristal ridiculement cher que j’avais à la main.
Tous mes secrets volèrent en éclats lorsque que mon père fit un énième commentaire sur mes tenues.
« Je ne suis pas une fille ! »
J’avais un ton sec. Mais on pouvait clairement sentir que ma voix tremblait. Ainsi que quelques larmes qui s’échappaient de mes yeux.
Je sortis de table sans attendre que mes parents se remettent de mon annonce. Ils n’allaient probablement pas accepter. Je les connaissais. Il était rare qu’ils soient un minimum compréhensifs. Ils souhaitaient juste que je perpétue notre « lignée » et que je sois un médecin prestigieux. Mais en avais-je seulement envie ?
Cette nuit-là, je n’avais pas dormi. J’avais probablement pleuré toute la nuit. Ma chère petite Althéa me consolait du mieux qu’elle le pouvait. Si seulement mes parents faisaient autant preuve d’empathie et de compréhension qu’elle.
Et je passai ensuite quelques jours chez mon petit-ami. Heureusement qu’il était là pour moi. Il était mon rayon de soleil. Ma lumière dans l’obscurité. Sans lui, jamais je n’aurais pu fleurir. Jamais je n’aurais pu avoir le courage de m’affirmer.
Lorsque je rentrai, ma mère voulut discuter avec moi. Je réussis à lui parler de mon mal-être. Qu’elle comprit plutôt bien. Du moins, je le croyais ? Et je voulais y croire dur comme fer. Elle allait en discuter avec mon père, de toute façon.
J’étais rassuré.
Cependant, j’étais encore bien loin de me douter qu’ils n’acceptaient rien du tout.
Pensant qu’ils acceptaient plutôt bien l’information, je leur demandai de m’appeler par le prénom que je m’étais choisi :
Lavande.
« Mais ce n’est pas viril, comme prénom. »
« Tu ne veux pas réfléchir à quelque chose de mieux ? »
« Il existe tellement de noms magnifiques dans le monde entier ! »
« Et tu as un copain, il ne va plus t’aimer si tu deviens un garçon. »
« Tu devrais te couper les cheveux pour être plus masculine. »
« Tu vas avoir du mal à te faire accepter dans la société. As-tu au moins réfléchi aux conséquences ? »
« Tu fais vraiment ça sur un coup de tête ! Tu es si jolie en fille. Tu veux devenir un monstre, c’est ça ? »
Leurs réactions n’avaient aucun sens à mes yeux. Elles me détruisaient. J’aimais mes cheveux longs. Ainsi que le prénom que j’avais choisi. Et hors de question que j’adopte des stéréotypes masculins pour leur prouver quoi que ce soit.
Je passais de plus en plus de temps chez Narcisse. Et maintenant, je n’hésitais plus à dire ce que je pensais à mes parents. Jusqu’à ce qu’à mes 17 ans, je parte définitivement vivre chez mon copain. Avec l’accord de ses parents.
Ils m’acceptaient. Ils me prénommaient correctement. Ils avaient un peu de mal avec les pronoms, mais ils faisaient de leur mieux et m’aidaient dans mes démarches.
Je ne voulais vraiment plus entendre parler de mes parents. Surtout depuis qu’ils m’avaient envoyé le jour de mes 17 ans, le très fameux :
« Notre fille est morte, elle n’existe plus. Tu n’es rien qu’une inconnue pour nous. Adieu. » Je ne savais pas si je trouvais ça dur… ou si je me sentais soulagé. Je n’aurai plus jamais à faire semblant, dans tous les cas ? J’avais le cœur serré. Mais tant que Narcisse et Althéa sont à mes côtés, tout va bien.
Je n’avais plus aucun contact avec ma famille. Ni même avec mes cousins. Hya me manquait terriblement. J’avais fini par comprendre qu’il était un Passiflore uniquement de sa mère. Et qu’il était mis de côté, pour cette raison. Il devait souffrir… Je voulais le soutenir. Je me sentais coupable de l’abandonner. Mais j’étais persuadé que mes parents allaient dévoiler ma transidentité à tout le monde. Et Hya allait probablement me rejeter, ne pas comprendre… Il était intelligent, c’était indéniable. Mais pouvait-il comprendre ? Je n’en sais rien. Je préfère me protéger et prendre mes distances. C’est bien mieux pour moi. J’ai assez souffert comme ça.
J’espère tout de même qu’un jour, par le plus grand des hasards, nous pourrons nous revoir, et discuter, sans qu’il ne prête attention à mes futurs changements physiques, ni à mon changement de prénom.
~9 janvier 2013~
Le jour de mes 18 ans, j’allais pour la première fois commencer un parcours de transition. Ma vie de rêve allait enfin commencer. Mon rendez-vous s’était très bien passé. D’ici deux ans, j’allais remarquer des changements drastiques et pouvoir vivre comme je le souhaite. J’avais tellement hâte d’en parler à mon petit ami.
[…]
Des… pompiers ? Des pompiers devant chez lui ?
Où… où est-il ?!
Est-ce qu’il va bien… ?!!
Sauvez-le je vous en prie !!!
T-trop… tard… ?
A-asphyxié… ?
N-non… ! Pitié… Dîtes-moi que je rêve… !
Aaaaah… !!!
[…]
~9 janvier 2015~
« 20 ans : Renaissance. Si tu m’entends, je suis vraiment désolé. J’ai arrêté de parler pendant... deux ans ? Je t’ai perdu depuis déjà deux ans, mon Soleil. Et j’ai réussi avec brio mes deux premières années d’études. Je ne sais pas d’où je tire cette force. Mais je m’en suis remis. Ton absence physiquement laissera éternellement un vide en moi, c’est sûr… Cependant, je sais que tu es auprès de moi. Je le sens. Et jamais je ne t’oublierai. Grâce à toi, je peux être moi-même. Et rien que pour cela, je te remercie, mon amour. Althéa et tes parents veillent sur moi. Je te promets de vivre heureux et de ne jamais t’oublier. C’est grâce à toi, tout ce que j’ai pu accomplir, et je t’en serai à jamais reconnaissant.»
~9 janvier 2020~
« J’ai 25 ans aujourd’hui, Narcisse. Et dans six mois, je serai diplômé Docteur en Psychologie, avec les félicitations du jury. Je ne sais pas encore où je vais travailler, mais j’ai hâte d’aider les gens autant que tu as pu m’aider lorsqu’on était jeunes. Tes parents vont très bien. Tu leur manques autant qu’à moi. Ton Tarsal est également en parfaite santé. Althéa et moi nous en occupons bien. Oh ! Elle a même fini par évoluer en Mentali, tu te rends compte ? Je devrais peut-être me spécialiser dans le type psy, étant donné mon futur métier… »
~9 janvier 2021~
« 26 ans tout fraîchement. Je commence à vieillir et à avoir des petites rides, c’est normal ? J’imagine que c’est la vie. J’ai obtenu un poste en tant que psychologue scolaire sur une île proche de Sinnoh. Edenia, je crois ? J’ai hâte d’exercer. Je n’ai jamais voyagé aussi loin maintenant que j’y pense ! Althéa trépigne aussi d’impatience. Je te promets que je viendrai de te voir tous les ans, ne t’inquiète pas. Je continue à t’aimer et à penser à toi. A bientôt, Narcisse. »
Je déposai un bouquet de narcisses ainsi qu’un encens à la lavande devant son autel.