Au commencement, une étincelle. [PV Naos Brixton ❀ Terminé]

Au commencement, une étincelle.

Je ressentis un profond soulagement en posant les pieds sur la passerelle et dus me faire violence pour ne pas me précipiter sur le quai. Ma valise à roulettes tressautait chaque fois que je rencontrais une encoche sur ce petit pont métallique et me presser l'aurait sans doute éjectée par-dessus bord. Perdre tous mes vêtements et mes accessoires d'un seul coup, non merci.

Je touchai enfin terre. Enfin. La terre ferme, ma meilleure amie ! Je ne prendrais plus jamais ─ jamais ! ─ le bateau. J'avais passé les vingt-quatre dernières heures et des poussières à me faire des films dans lesquels le navire était victime d'un Pokémon sauvage, d'un souci mécanique ou d'un obstacle naturel et sombrait dans l'océan. Suite de quoi, nous nous retrouvions tous dans les profondeurs, avec les monstres des abysses. L'angoisse totale. J'en avais même fait de l'insomnie.

Heureusement, le bonheur d'être arrivée écarta momentanément l'épuisement et le stress accumulés. Mes jambes tremblaient un peu, mais je pouvais gérer. Je n'en avais pas tellement le choix, d'ailleurs : deux ou trois ados se dirigeaient déjà vers le bus chargé de nous conduire à l'académie. Je regrettai un peu de ne pouvoir m'attarder en ville, mais j'aurais l'occasion d'y revenir éventuellement ─ sans ma valise, qui plus est.

J'eus tous juste le temps de m'installer avant que le véhicule démarre. Il ne s'écoula pas une minute de plus avant que le chauffeur lance un album country qui arracha des grimaces et complaintes à tout les passagers. Mouais, non merci. Écouteurs sur les oreilles, Alpha sur les genoux, je regardai les avenues d'Edenia défiler. Inutile de mentir : ça n'avait pas la prestance de Winscor, mais ce n'était pas atroce non plus. Ça me semblait plutôt confortable ; une forme de confort bien différente de celles de Paddoxton ou de Greenbury. C'était plus jeune, plus dynamique. Une fenêtre ouverte sur l'ambition des citadins, l'énergie des commerçants et l'indépendance des jeunes adultes qui pourchassaient leurs rêves.

Nous nous engageâmes sur une route bordée de nature et je décrochai. Des arbres, des plaines herbues, des petits cours d'eau, encore des arbres… ouais, c'était passionnant cinq minutes. J'adorais la nature quand je m'y trouvais moi-même, pas quand je la contemplais depuis une vitre crasseuse. Je m'emparai d'un shojo dans lequel je m'avançai pour le reste du trajet. Je ne levai le nez de mon manga que lorsqu'une voix féminine s'écria, assez fort pour que je puisse l'entendre malgré ma musique :

— REGARDEZ, C'EST L'ACADÉMIE !

Agitation générale. Je me penchai vers l'avant pour mieux la voir, imitée par mon Goupix qui posa les pattes avant contre la fenêtre et y pressa son museau. Certes, l'établissement était magnifique ─ et beaucoup plus impressionnant en vrai que sur les photos de la brochure et du site web ─ mais ce qui retint tout particulièrement mon attention, c'étaient tous les êtres humains et les Pokémon qui la devançaient, seuls ou rassemblés en petits groupes. Ça fourmillait de vie.

À la sortie du bus, je me décalai pour laisser passer les autres. Ils se ruèrent presque tous vers l'entrée principale, leurs bagages manquant de percuter du monde dans leur trajectoire. Y en avait des plus excités que d'autres, visiblement. Je pris un moment pour retirer mes écouteurs, ranger mon manga et installer Alpha dans ma capuche. Il ne devait pas avoir envie d'y rester, puisqu'il se hissa exceptionnellement sur mon épaule. Bon. Pourquoi pas.

— On entre ? questionnai-je, un sourire dans la voix.

Ouf… On entendrait mon « accent de Galar » aussi clairement qu'une explosion dans une bibliothèque, ici. C'était déjà un miracle que ma mère ne m'ait pas fourré une boîte d'assortiments de thé bien de chez nous à l'intention du directeur dans les mains avant de me laisser prendre le bateau… Après il n'y avait pas de honte à avoir, et je n'en ressentais pas vraiment. Mon « accent » signifiait seulement que je provenais d'ailleurs. Et qui sait, ma culture s'avérerait peut-être fascinante pour quelqu'un d'autre. À condition d'aimer le thé, les biscuits, les loups légendaires, les chants d'encouragement et la cornemuse, évidemment.

Passons.

Mon Goupix signala son accord d'un grondement doux et je pénétrai dans le bâtiment, l'écho de mes pas résonnant dans l'espace ouvert. Aucune trace des autres passagers du bus, sans doute déjà en train de visiter, dormir ou sauter sur leurs lits. Qui ne fait pas ça au moins une fois dans son dortoir ? Bref. Je me tassai sur le coté pour ne pas obstruer le passage et observai un peu les alentours, les poings sur les hanches. C'était beau… Assez impressionnant, un poil intimidant peut-être. Ce décor là n'aurait pas fait tache à Winscor.

Perdue dans ma contemplation, je ne remarquai pas la posture un peu bancale de ma valise, qui s'extirpa de ma poigne et s'effondra au sol dans un BANG ! assourdissant. Je sursautai et me penchai pour la ramasser, aucunement embarrassée. Je n'avais pas fait exprès de la faire tomber non plus.

— Désolée, lâchai-je tout de même d'une voix claire en me redressant, au cas où ça en aurait dérangé certains.

Alpha pressa son petit nez dans le creux de mon cou, ressentant potentiellement la honte qui ne m'effleurait pas. Je le caressai d'une main pour le rassurer. Bon. C'était mignon tout ça mais j'allais devoir penser à m'activer ! Je fis mine de reprendre mon bagage en main, mais me ravisai, désirant profiter d'une petite minute d'admiration supplémentaire.

Au commencement, une étincelle.

Quelques secondes après avoir redressée ma valise, un Pokémon accourut vers moi avec la vélocité d'un boulet de canon. C'était une espèce de félin noir et or qui se mit à gronder, ses prunelles dorées fixées sur moi. Alpha réagit sans perdre une seconde : il bondit à mes pieds et adopta une position défensive, répondant aux grondements du lion par un feulement sec. Un avertissement. Pas question de toucher à sa dresseuse.

Sans lâcher le Pokémon inconnu des yeux, je posai un genou par terre et tentai de raisonner mon renard.

— Doucement, Alpha. Il a juste été surpris par le bruit, comme toi.

La posture de mon Pokémon se détendit légèrement, mais il demeura attentif, guettant un éventuel mouvement brusque de la part de l'autre. L'intéressé n'eut cependant pas le temps de poser un nouveau geste : sa propriétaire arriva en courant, un peu comme il l'avait fait lui-même, pour s'excuser.

— Euh... Salut ! Excuse-moi, mon Lixy est un peu sauvage.
— Bonjour ! T'inquiète, je comprends ça, répondis-je avec un sourire.

Mon interlocutrice se pencha pour récupérer son Pokémon ─ un Lixy, donc. Je ne connaissais pas cette espèce, mais celui-là me semblait bien réactif. Ce qui, en soi, était tout à fait normal. Les Pokémon n'avaient pas le choix de suivre leurs instincts et de rester sur leurs gardes pour survivre dans la nature. Après tout, même les prédateurs les plus féroces possédaient un ennemi naturel : l'être humain. Mais ça, c'était une toute autre histoire.

Je me redressai en m'appuyant sur mes genoux et en profitai pour observer la demoiselle de la tête aux pieds. Enfin, des pieds à la tête, plutôt. Chaussures disparates, jean, tote bag au bras, chemise rose, cardigan noir, un Tritox sur l'épaule, un air à la fois sympathique et… légèrement honteux, peut-être ? Dans tous les cas, je découvrais d'ores et déjà quelque chose que j'adorerais faire dans cette académie : voir les différents styles vestimentaires de mes semblables. On pouvait en déduire beaucoup par la simple apparence de quelqu'un ─ enfin, c'était ce que j'avais entendu dire. Que racontaient mon sweatshirt blanc décoré d'un Miaouss de Galar, le t-shirt gris qui se cachait dessous, mon jean noir à jambes étroites et mes baskets blanches ? Aucune idée. Que j'aimais les chats, peut-être ? Et encore, je n'avais pas mon casque à oreilles de chat avec moi, juste des petits écouteurs à enfoncer dans le conduit auditif.

— Tu es nouvelle ici, je suppose. ajouta-t-elle avant que je puisse émettre un commentaire sur son Pokémon Feu ou complimenter ses chaussures, plongée que j'étais dans mes pensées et mes observations.
— On ne peut rien te cacher ! dis-je sur le ton de l'humour, sans me départir de mon sourire.

Je calai énergiquement ma main dans celle qu'elle me tendait avant de reprendre :

— Kalian Fraser, apprentie dresseuse et future dresseuse d'arène. Enchantée !

Toujours à mes pieds, Alpha posa ses pattes avant sur ma jambe, signe qu'il désirait retrouver sa position initiale. Je me libérai doucement, me penchai pour le soulever et le laissai s'installer sur mon épaule, prête à le rattraper en cas de chute.

— Ah, et voici Alpha, mon Goupix, ajoutai-je en le désignant du pouce.

Le renard de feu lança un petit « Pix ! » pour dire bonjour, son regard faisant la navette entre la salamandre et le lionceau, auquel il avait visiblement pardonné son entrée en matière. Beaucoup moins rancunier que moi, celui-là. Mais dans ce cas-ci, nul besoin de m'énerver contre un Pokémon qui ne faisait qu'exprimer son mécontentement, voire sa méfiance. On ne reproche pas à un fauve d'être un fauve !

— Alors, dis-moi, c'est comment ici ? questionnai-je, toujours imprégnée de ma bonne humeur, en refermant les doigts sur la poignée de ma valise.

On ne savait jamais réellement à quoi s'attendre, en particulier dans un institut aussi grandiose que celui-ci. Les profs étaient-ils sévères ? Les élèves étaient-ils accueillants ? Les Pokémon participaient-ils activement à nos cours ? Les leçons étaient-elles plus pratiques ou théoriques en général ? Tant de questions me brûlaient la langue ! Pourtant, je me contentais d'attendre son point de vue avant d'aborder tous ces sujets, histoire de ne pas l'étourdir avec mon insatiable curiosité.

Au commencement, une étincelle.

J'avais donc affaire à une coordinatrice du nom de Naos, qui déclina son identité d'une voix pleine d'assurance. La classe. J'adorais les gens assumés et confiants : ils ouvraient une fenêtre sur leur univers sans même s'en rendre compte et inspiraient les autres. J'admirais ça. Ce n'était pas tout le monde qui acceptait d'aller dans le sens contraire de la masse pour demeurer fidèles à eux-mêmes. Et si je faisais erreur sur la personne, elle n'en restait pas moins sociable et accueillante, ce qui n'était pas plus mal, bien au contraire !

J'eus un nouveau sourire, attendri cette fois, lorsqu'elle étendit le bras pour caresser Alpha. Mon renard ferma paisiblement les yeux, ravi de cette petite attention. Sa nature discrète avait finalement repris ses droits sur son agitation passée.

Mon interlocutrice me présenta ensuite ses Pokémon : Sparkle le Lixy et Améthyste le Tritox. Tous deux semblaient dotés de caractères bien définis, le premier altier comme le lion qu'il était, le second plus calme et sociable. Je m'approchai pour l'observer de plus près, sans empiéter sur l'espace personnel de Naos cependant. Wow ! Elle en avait, de la chance. Les Malamandre avaient tout un potentiel. Certains arrivaient même à empoisonner les types Poison et Acier grâce à leur talent, un avantage non négligeable. Pratique pour les combats, certes, mais comment se traduisait tout ça en concours ? Il fallait être très créatif pour user des capacités de ses Pokémon pour donner un bon spectacle. Les artistes étaient vraiment impressionnants.

Les présentations passées, la jeune fille répondit à ma question :

— C’est… un peu dépaysant. On apprend beaucoup de choses nouvelles. Et on rencontre des gens d’autres horizon. C’est vraiment cool. Surtout les cours… enfin, je connaît pas bien le cursus dresseur, du coup. Reste que c’est super intéressant !

Ah, pour ça, je voyais bien le contraste entre Winscor et Edenia ! Les terres étaient peut-être aussi anciennes que les nôtres, ça je n'en savais rien, mais les installations urbaines étaient bien plus récentes que celles de Galar, érigées sur des fondations historiques, moyenâgeuses. Chez nous, rares étaient les bâtiments qui ne cachaient pas au moins des pans de structures âgées.

— Ah ouais, ce doit être tout un choc au niveau des cultures. Des classes remplies d'élèves des différents continents, c'est plutôt génial, quand on y pense ! m'extasiai-je, les yeux brillants. Et tous les Pokémon venus d'ailleurs, aussi !

Naos ne connaissait pas tellement le cursus que j'allais suivre, ce qui était normal, après tout, puisque nous n'étudierions pas les mêmes branches. Mais si ses cours lui plaisaient, les miens me plairaient sans doute aussi. J'avais confiance ─ et dans le pire, ce serait toujours plus enrichissant que de combattre les mêmes quatre ou cinq têtes dans les rues de Winscor à la sortie des cours d'anglais, de maths et d'histoire.

— Bref. Tu veux que je te fasse visiter ?
— Tu ferais ça ?

Évidemment, puisqu'elle le proposait… Une infime partie de moi ne voulait pas la déranger et redoutait qu'elle se sente obligée de le faire mais l'autre, plus imposante, brûlait d'accepter. Cette amorce de conversation me plaisait beaucoup et la perspective d'avoir une visite guidée et encore plus de réponses à mes questions m'enchantaient.

— Allez, j'accepte ! conclus-je finalement, tout sourire.

Avant de raffermir la prise sur la poignée de ma valise, je replaçai Alpha sous mon sweatshirt. Il n'avait pas l'habitude de siéger sur mon épaule et je craignais de lui faire perdre l'équilibre si, par exemple, nous gravissions les escaliers. Les griffes du renard chromatique plantées dans mon épaule, ça ne me tentait pas trop. Il accrocha ses petites pattes à mon col et pressa la tête sous mon menton, sa fourrure dorée me chatouillant au passage.

Je signalai à ma comparse que j'étais prête à la suivre en levant le pouce de ma main libre et relançai la discussion.

— Du coup, tu viens d'ailleurs toi aussi ?

Simple déduction. Après tout, elle venait de dire que l'expérience était légèrement dépaysante. Mmm. Lequel de ses Pokémon était son starter ? Tritox, que l'on retrouvait chez nous comme à Alola, ou ce Lixy inconnu dont j'ignorais la provenance ? Peut-être était-ce un autre Pokémon, aussi, confiné dans une Pokéball ou assoupi dans sa chambre. Impossible de me baser dessus pour deviner, du coup.

Au commencement, une étincelle.

Naos m'enjoignit à la suivre et ouvrit la marche, pleine d'assurance. Je calquai mon allure sur la sienne, traînant ma valise à roulettes derrière moi. Tout en cheminant, mon regard faisait la navette entre le décor, la coordinatrice et ses Pokémon ─ son lionceau et ses airs altiers m'amusaient particulièrement. Je me surpris à me demander quel caractère auraient mes futures recrues. Seraient-elles arrogantes ? Farceuses ? Discrètes comme Alpha ? Voilà qui ne me déplairait pas. En matière de premier Pokémon, j'avais vraiment eu de la chance.

Je fus tirée de mes pensées par la réponse de Naos. Oh, Alola ! Cauchemardesque pour quelqu'un qui avait la phobie des profondeurs comme moi. Mais pour les gens normaux (soit tous ceux qui ne craignent pas de se couper les pieds sur une roche tranchante immergée ou d'être attirés vers les fonds marins par un monstre sanguinaire), ça ne manquait pas de charme. Les plages, la chaleur, les variantes régionales, la nourriture locale, sans oublier le célèbre Tour des Îles ! Toute une région dépourvue de badges et de champions d'arène, il fallait le faire.

Je tentai d'imaginer Galar sans Roy, Donna ou Kabu. Sans nos stades, sans l'excitation que l'on pouvait ressentir partout en ville juste avant un combat de la Ligue… Assez particulier, pour ne pas dire bizarre ! Oh, et parlant de ma région…

— Gagné ! Je suis de Winscor, à Galar. L'hiver de Sinnoh a dû être assez rude pour toi, non ?

À moins qu'elle soit arrivée au tout début du printemps ? Comment étaient les hivers à Alola, d'ailleurs ? Pluvieux ? Humides ? Assez chauds pour que les îliens puissent se baigner quand même ? Ils devaient voir passer pas mal de touristes des autres régions venus fuir la saison froide au soleil, en tout cas !

La coordinatrice demanda dans quel cursus je m'étais inscrite. Ou je n'avais pas été assez claire en me présentant comme apprentie dresseuse et future dresseuse d'arène, ou plusieurs branches pouvaient déboucher sur le métier que je désirais exercer. Il faut dire que je ne m'étais pas attardée sur la description des autres cursus et les portes qu'ils ouvraient après la graduation. Si c'était assez évident du coté des coordinateurs et des rangers, par exemple, ce l'était un peu moins pour les chercheurs. Qu'étudiaient-ils exactement ? Quel genre de carrière pouvaient-ils poursuivre après ? Les éleveurs pouvaient donner dans n'importe quoi aussi. Prendre soin des Pokémon, c'était assez vague.

Je ris doucement à son commentaire : en effet, je n'avais rien d'une artiste de la scène ! Savoir élaborer une stratégie en combat était ce qui ressemblait le plus à un talent artistique chez moi, en dehors de mes connaissances en matière de beauté ─ et encore, la stratégie, c'était un peu comme donner un coup de poing à quelqu'un qui s'attendait à recevoir une gifle : déstabilisant, mais pas exceptionnel non plus. Pas à mon niveau, en tout cas. J'étais encore loin d'être un génie des combats comme l'étaient Kabu, les élites et les Maîtres Pokémon des différentes régions.

— Je suis inscrite dans le cursus réservé aux dresseurs.

Comment l'appelait-on officiellement, déjà ? Cursus dressage ? Cursus dresseurs ? Peu importe. J'enchaînai en ricanant :

— Ah ça, je n'ai pas du tout ce qu'il faut pour être coordinatrice. J'aime bien les fringues et le maquillage, mais la danse, les accessoires et les combinaisons d'attaques, ça me dépasse un peu. C'est super impressionnant les concours, ceci dit. T'en as déjà fait ? Ça doit vraiment donner le trac, non ?

Personnellement, je l'aurais sans doute. Être seule sur scène avec mon Pokémon et devoir divertir non seulement le public mais des juges plutôt sévères, ouf ! Non merci. Au moins, si je défiais un champion d'arène, nous serions deux à attirer l'attention des spectateurs et nos Pokémon feraient le gros du travail à notre place. Un peu égoïste et paresseux dit comme ça, mais c'était ça quand même.

Penser à tout ça me fit réaliser que je ne visais pas vraiment la reconnaissance du public dans ce que j'entreprenais en général. Gamine, j'avais souhaité être la meilleure dresseuse de Pokémon Feu de la planète, mais je ne m'étais pas imaginée devenir ultra célèbre pour autant. Un peu contradictoire, mais pour une enfant, ça se tenait. Je rêvais désormais d'être dresseuse d'arène et non championne ou Maître Pokémon, ce qui me garderait plus ou moins dans l'ombre. La seule exception, c'était ma chaîne Pokétube. Mais celle-là, je l'avais démarrée par amour des jeux vidéos et non pour attirer des vues. Les vues étaient apparues d'elles-mêmes avec le temps. La petite centaine d'internautes qui me suivait aimait bien ma façon de m'auto-défier. Et Alpha, naturellement. Il était un peu comme ma mascotte.

— Bref, on ferait bien de déposer ta valise dans ta chambre avant toute chose. Tu sera moins encombrée, comme ça. Ta chambre est à quelle étage ?
— C'est pas con, approuvai-je en plongeant ma main libre dans ma poche.

J'en soutirai une feuille et mis quelques secondes à déchiffrer mon écriture ─ mes mains tremblaient d'excitation quand j'avais rédigé mon numéro de chambre sur ce bout de papier, quelques jours auparavant. Chambre numéro… Ah oui, ça me revenait maintenant ! J'étais au dernier étage.

— Elle est au quatrième, dis-je avec un sourire, avant de pouffer légèrement. Je plains ceux qui ont dû monter mes cartons, haha !

Après tout, j'en avais des affaires là-dedans : figurines, peluches, mangas, copies physiques de mes jeux vidéos préférés, consoles et autres babioles électroniques… Une minute. Par Zacian ! Et s'ils les avaient abîmées ? Ils avaient intérêt d'y avoir fait attention, ou alors…

— J'espère qu'ils n'ont rien endommagé ou je leur ferai rôtir les orteils un par un, déclarai-je.

Et j'en étais bien capable. C'est que c'était pas gratuit tout ça ! J'avais dû économiser deux ou trois mois d'argent de poche rien que pour certaines figurines et pourtant, mes parents n'étaient pas des radins.

Tandis que je m'inquiétais pour mes précieux effets personnels, Alpha se dégagea de sous mon sweatshirt. Décidément, il avait la bougeotte aujourd'hui ! Bon, c'était un jour spécial, après tout. Il avança lentement vers Naos, le regard fixé sur le sac de toile qu'elle trimballait. Curieux, il la renifla un moment et revint vers moi, l'air satisfait, ses six queues se balançant au rythme de sa démarche. Il approuvait visiblement la demoiselle et j'étais bien d'accord avec lui : elle était vraiment sympathique.

Le renard demeura à mes pieds un moment, puis s'éloigna à nouveau, pour aborder le Lixy, cette fois. Peut-être tentait-il de se faire pardonner, voire d'établir une conversation entre Pokémon, qui sait ?

Au commencement, une étincelle.

Pauvre Naos, passer du soleil et de l'air sec à un environnement froid et humide. Du reste, les montagnes d'Alola devaient être magnifiques. Les petits Goupix des glaces y habitaient forcément. Aww. Des bêtes plutôt mignonnes, même si je leur préférais mon renard de feu.

Comme précédemment, la coordinatrice visa juste en me questionnant sur mon type de prédilection.

— Exact ! J'en suis passionnée depuis toujours, confiai-je.

Bon, ce n'était pas tout à fait vrai, mais ce l'était presque ! Selon mes parents, je les adorais depuis l'âge de deux ans, époque à laquelle ils m'avaient hissée avec précaution sur le dos d'un Arcanin pour prendre une photo de la scène.

Pas de concours pour elle, donc, mais ça semblait faire partie de ses projets. Je me demandai quel genre de cours ils suivaient chez les coordinateurs. Personnellement, j'aurais droit à des leçons de stratégie, mais eux ? S'entraîneraient-ils à performer sur scène ou juste à combiner des attaques et soigner leurs Pokémon au max ?

— Nerveuse ou pas, si tu participes à un concours un jour, pense à m'inviter ! J'essayerai de ne pas te faire trop honte dans le public, taquinai-je en lui bousculant amicalement l'épaule.

Je n'allais quand même pas manquer ça ! Avec son style, son assurance et ses Pokémon, ça allait décoiffer comme pas permis. Puis c'était important d'appuyer les gens dans leurs passions, de les encourager à suivre leurs rêves autant que possible.

La classe, nos chambres étaient au même étage ! J'espérais quand même qu'elle ne m'entendrait pas trop m'époumoner contre mes jeux vidéos ou monologuer devant la caméra pendant un stream. Alpha ne présentait aucune menace au niveau du bruit : seules les tombes étaient plus muettes que lui.

— Bon, allons-y du coup !

Eh oui, nous y étions. L'heure était venue de porter ma valise jusqu'en haut. Je poussai un petit soupir d'appréhension et me penchai pour attraper la bête. Des fringues, j'en avais ! Comme pour me narguer, mon Goupix gravit la première volée de marches en bondissant. Rendu au sommet, il se retourna pour me regarder. Aucun respect pour la dresseuse, tiens. Okay, allons-y.

Wow ! Par les crocs de Zamazenta, c'était lourd ! Une chance que je ne passais pas ma vie étalée sur mon canapé où il m'aurait fallu la refiler à un tiers. Il n'y avait pas d'ascenseur ou de monte-charge ici ? Ugh… J'avais un peu moins envie de rire des pauvres âmes qui avaient trimballé mes cartons, tout à coup…

Concentrée sur mes déplacements, je gardai le silence et perdis un peu mon Pokémon de vue. Sans doute continuait-il d'escalader toutes ces marches à l'avance.

Je m'empressai de déposer ma valise par terre lorsque nous parvînmes au quatrième, sans me soucier de la grâce ou du bruit. Pfiou. J'avais survécu. Je ne m'essoufflais pas si facilement en général, mais là… J'en étais presque à me demander si mon père n'avait pas caché des dictionnaires sous mes vêtements pour plaisanter.

Ma chambre, maintenant. Je tergiversai un peu, me demandant si je devais prendre à droite ou à gauche. Au final, je me fiai sur les numéros désignant les chambres pour remonter jusqu'à la mienne. Arrivée devant la porte, j'enfonçai la clé dans la serrure et me retournai vers Naos, l'air faussement dramatique.

— Bienvenue dans mon royaume, haha.

Royaume qui se résumait à des meubles nus et des cartons (nullement endommagés, une chance pour les déménageurs) enfermés dans une pièce aux murs anthracites. L'odeur de peinture fraîche planait toujours dans l'air, mais quelqu'un avait pensé à décoincer la fenêtre pour faire aérer. Mouais… Ça ne payait pas de mine pour l'instant, mais ça viendrait. Heureusement, nous ne comptions pas nous attarder ici. Je fis rouler ma valise à quelques pas de ma porte et en ressortis.

— Et voilà. À l'aventure, maintenant ! déclarai-je, pas peu satisfaite d'avoir déposé mon fardeau avant d'entreprendre le tour de l'académie.

Que disait-elle plus tôt, d'ailleurs ? Que c'était super grand ? Mmm. Je me demandai combien d'élèves avaient le malheur de se perdre lors de leur première semaine de cours, et surtout, si je ferais partie de ce lot.