Encore beaucoup à apprendre [PV Kalian][Terminé]

Il faisait nuageux, en ce jour de printemps. C’était des nuages gris clair qui recouvraient tout Edenia. Pas de pluie cependant, juste la lumière diffuse sans aucun rayon de soleil capable de percer. Du reste le lac était calme. Tellement calme qu’un petit groupe de couaneton barbotait au milieu de l’étendu d’eau, plongeant la tête dans l’eau par intermittence puis se frottant les plumes avec leur bec mouillé pour se nettoyer. Un calme qui perdurerait sans doute tant qu’il ne pleuvrait pas. La pluie avait la fâcheuse tendance a exciter les pokémon se trouvant sous l’eau et les rendre plus actif , voire agressifs . Pour un samedi en tout cas, Elisabeth aurait rêvé mieux comme météo mais elle s’en contenterait. Sans doute que le temps actuel correspondait à son humeur du moment, pas trop grincheuse, mais pas non plus joyeuse. Après avoir été tellement occupée avec ses cours elle prenait enfin un peu de temps pour s’occuper de ses nouvelles recrues.

Elle observait les bras croisés trois de ses pokémon, tandis qu’elle mâchouillait nerveusement un chewing-gum à la menthe. Guevara le Jungko se tenait en face de Nobunaga, l’insécateur chromatique ainsi que Lancelot, le canarticho de Galar. Ce fut ce dernier qui s’élança, poireau sur l’épaule prêt à frapper le jungko. Elisabeth remarqua bien vite ce qui caractérisait le volatile. Un assaut bruyant comme s’il exprimait un cri de guerre, la démarche présageant d’une attaque prévisible. L’enseignante ne se permis de donner aucun ordre à Guevara. Elle les laissait se débrouiller tout seuls à vrai dire. Lancelot brandit alors son arme végétale, mais c’était une attaque que Guevara avait vu de très loin. Il bondit alors de façon souple, prit appuis d’une patte sur la tête du canard, et le tira en arrière tout en profitant de l’appui pour effectuer un salto avant. Le canarticho s’étala alors face contre terre, lamentable, tandis que le jungko se réceptionna de manière tout à fait légère sur l’herbe.

Ninja de la forêt : 1
Chevalier au poireau : 0

C’était à présent au tour de la mante. Elisabeth observa avec davantage d’intérêt cette joute là. Le pokémon insecte avait fait preuve d’une étonnante capacité à résister le jour de sa capture. Un autre jour son camarade de type plante lui expliqua par ses propre moyens que l’insecte se sentait toujours stressé : « courir toujours, couleur différente, humains envieux, entraînement et survie ». Il n’en fallait pas plus à la jeune femme pour comprendre un peu par quoi était passé ce pokémon là. Après coup Elisabeth se senti un peu mal de l’avoir tiré de son état sauvage, mais peut-être qu’il avait besoin d’une véritable protection et il était sans doute chanceux d’être tombé sur elle. Il n’en reste pas moins que le spécimen chromatique restait toujours distant et préférait rester seul la plupart du temps.

Ainsi alors la joute surviendrait de façon imminente. Nobunaga s’avança d’un pas mesuré, sans lâcher du regard le Jungko. Puis il s’arrêta à une certaine distance. Cet insecte ne semblait pas dévoiler d’ouverture, sa défense était impeccable, ce qui obligea Guevara à adopter une position davantage fléchis, les pattes avant en position de combat. Les deux pokémon restèrent quelques secondes à s’épier ainsi, jusqu’à ce l’insécateur bouge une jambe, s’approche rapidement. En un battement de paupière il était déjà sur le Jungko. Vive attaque ! Mais Guevara l’avait senti. Ses yeux s’était illuminés, et il esquiva sur le côté en utilisant détection. A présent tout proche, les deux pokémon se firent fassent et enchaînèrent aussitôt. Chacun mitrailla son adversaire d’attaques taillades. Une passe d’arme rapide où chacun se bloquait mutuellement.

Elisabeth eut un air de satisfaction et esquissa un sourire. Ce spectacle lui plaisait bien. Lancelot de son côté s’était remis de son trébuchement pitoyable et s’était mis en position assise, l’air contrarié en observant l’autre combat.

Éventuellement la passe d’arme se termina après que l’insécateur se serve de ses ailes pour effectuer une attaque cru-aile sur son adversaire afin de prendre l’avantage. Guevara se protégea comme il put et son corps pencha vers l’arrière suite au choc. Il l’avait bien senti passé, mais son opposant sentirait autre chose passer également. Le lézard vert était conscient que la mante comptait sur ses ailes pour garder son équilibre, tout comme lui même se servait de sa queue, alors il devait le priver de ce soutien là. Juste après l’attaque cru-aile, il saisit alors l’isécateur par les bras, faisant attention de ne pas le prendre par les lames. Il le tira vers lui, les lames de l’insecte passèrent alors de part et d’autre du pokémon plante, et devinrent inutilisable. Puis Guevara se pencha vers l’arrière, leva une patte arrière pour soulever son opposant et alors l’insécateur fut retourné à l’envers, tomba sur le dos, ses ailes écrasées sous son propre poids, terrassé par l’attaque souplesse du Jungko. Nobunaga fut incapable de se rétablir. Il était paralysé. Guevara se remit d’aplomb et s’epousseta de façon légèrement arrogante.

Ninja de la forêt : 2
Samurai brillant : 0

Elisabeth se mit à éclater de rire. Son camarade de toujours ne faisait pas dans la dentelle. Il avait remis à leur place ces deux pokémon. Bon… au moins elle savait un peu comment ces deux nouveaux se débrouillaient.

Pendant ce temps, un autre spécimen faisait également sa vie. Il s’agissait du furaiglon, se tenant au bord du lac, il avait imité les couaneton en faisant sa toilette. Il avait bien tenté de vouloir rejoindre le groupe de petits volatiles, mais après avoir trempé une patte hésitante dans l’eau si froide, il avait revus ses ambitions à la baisse. De toute façon il se serait senti comme le vilain petit canard qui vient faire son rabat joie en allant taper l’incruste. Alors à quoi bon ?

Kapal en avait alors plutôt profité pour observer un moment ses camarades s’entrainer. Tout ceci lui donnait encore plus envie de devenir grand le plus vite possible. Il s’était alors mit à courir à tue tête, parfois décollant pour voler en rase motte puis se réceptionnant au sol car ne pouvant maintenir trop longtemps un effort aérien pour l’instant. Il s’éloigna ainsi du lac, sans doute un peu trop loin car Elisabeth dû intervenir.

« Kap… Kapal ! T’éloignes pas trop, dis ! »

Il continua encore et s’éloigna un instant du groupe, mais éventuellement quelque chose le dissuada d’aller plus loin. Il s’arrêta aussitôt et ne piailla même plus. Il observa timidement quelqu’un ou quelque chose, inclinant la tête sur le côté, avant de détaller de nouveau en sens inverse, pour se réfugier rapidement dans les jambes de sa dresseuse.

« Bah quoi ? Quelle mouche t’as piqué mon petit emplumé, hmm ? »

L’enseignante porta alors son attention vers là d’où revenait le furaiglon.

Encore beaucoup à apprendre.

Musique dans les oreilles, je disposais mes peluches et figurines un peu aléatoirement sur mes étagères. Cela ne faisait pas longtemps que j'étais à l'académie et je n'avais pas encore terminé de décorer mon nouveau repère. Il me restait des posters à accrocher, des bidules électroniques à brancher et une foule d'autres objets à disposer joliment. Le reste, c'était dans la poche. Les plantes reposaient un peu partout, mon Pyroli en peluche servait actuellement de coussin à mon Goupix et mon affiche préférée surplombait mon lit.

Satisfaite de ce que j'avais accompli jusqu'à maintenant, je fis taire la musique et retirai mes écouteurs. C'était encore loin d'être terminé, mais c'était un pas de plus dans la bonne direction !

Poings sur les hanches, je jetai un regard par la fenêtre. Il ne faisait pas spécialement beau, mais j'avais envie de mettre le nez dehors. L'appel des Pokémon sauvages et des dresseurs en vadrouille résonnait à mes oreilles.

Je troquai rapidement mon short et t-shirt ample contre un jean et un chandail à manches longues. Rien de spécial, une tenue pratique, tout simplement. Je passai en coup de vent dans la salle de bains pour retoucher mon maquillage et refaire mon chignon lâche, puis attrapai un sac au hasard pour y déposer l'essentiel. Il ne me manquait plus qu'un sweatshirt bien chaud, des bottes et le plus important : Alpha.

— Prêt ? questionnai-je joyeusement une fois tous les éléments rassemblés.
— Pix !

Nous sortîmes et nous éloignâmes de l'école. Je n'avais aucune destination précise en tête, laissant plutôt mes pas me guider où bon leur semblait. Alpha, coincé sous mon haut comme à son habitude, humait tranquillement l'air. Sans doute était-il à l'affût d'une averse. Peut-être appréciait-il simplement le parfum de la terre en éveil, aussi. L'odeur du printemps et le relent des feuilles mortes en automne lui plaisaient particulièrement.

Je me retrouvai bientôt sur un sentier, entourée d'arbres couronnés de bourgeons, de fleurs et de feuilles timides. Les Pokémon sauvages étaient bel et bien au rendez-vous, mais pour les dresseurs en vadrouille, il faudrait repasser. Soit ils profitaient de ce samedi grisâtre pour glander, soit ils étaient déjà sur le chemin de l'aventure, loin devant nous. Tant pis ! Un jour ou l'autre, j'aurais bien l'occasion d'affronter l'un de mes semblables.

Au bout de longues minutes de marche, je crus apercevoir quelque chose se dessiner entre les arbres. Une ouverture… Un point d'eau… Un lac. Je pressai le pas pour l'atteindre, mais fus forcée de m'arrêter brusquement. Un Pokémon venait de surgir d'entre les troncs et me menaçait en poussant des cris énervés. C'était un rongeur, haut comme trois pommes et habité d'une rage sans nom. Je refermai les doigts sur mon Pokédex…

— Raten, Ratentif !

…et le repoussai au fond de ma poche. Ratentif, d'accord. J'avais entendu parler de ces bestioles, originaires d'Unys. Apparemment, c'était une bête qu'on retrouvait surtout dans les ruelles des cités, en train de faire les poubelles. Ils étaient ce que d'autres considéraient comme de la vermine ─ le genre de Pokémon qu'on attrapait vite-vite pour se bâtir un semblant d'équipe et qu'on relâchait à la première occasion.

Il ne semblait pas chaud à l'idée de me laisser passer. Je fis mine de le contourner, mais reposai bien vite le pied au sol : ses cris s'intensifièrent et il banda ses muscles. Bon. Hors de question d'avancer avec ce Ratentif dans les parages. Ce n'était pas un contexte d'entraînement que j'avais imaginé, mais si je n'avais pas le choix…

— Alpha, en avant !

Mon renard se dégagea de mon sweat et bondit au sol. Nous démarrâmes les hostilités avec Flammèche. Les flammes fusèrent en direction du rongeur, qui ne bougea pas d'un poil. Au dernier moment, elles s'écartèrent et s'éteignirent, repoussées par un bouclier invisible. Détection. Génial.

— Utilise Entrave et Vive-Attaque !

Alpha toisa d'abord son adversaire, comme pour le déconcentrer et le dissuader de se protéger à nouveau. L'effet d'Entrave ne durait jamais bien longtemps, alors mieux valait ne pas tarder. Il fonça tête première sur l'ennemi, qui fut projeté en arrière. Son dos racla le sol sur une courte distance, puis le Ratentif se retourna. Ventre à terre, prenant appui sur ses quatre pattes, il se propulsa sur mon renard chromatique et utilisa Morsure. Ouf…

— Flammèche !

Mon Goupix se dégagea brusquement et cracha de nouvelles flammes à l'intention du rongeur, qui bondit en arrière pour les éviter. Il était moins pataud qu'il en avait l'air, celui-là ! Plus énervé que jamais, il manifesta sa rage dans un cri de mort et décocha un regard intimidant à son assaillant. Alpha, déstabilisé, relâcha légèrement ses muscles.

— Non, ne le laisse pas t'avoir ! m'écriai-je, poings serrés. Vive-Attaque !
— Pix !

Il s'exécuta. Cette fois encore, le Ratentif ne se donna pas la peine d'esquiver. Détection ? Non. L'air concentré, il encaissa le choc qui le fit reculer de quelques centimètres. Des sillons se creusèrent dans la terre à l'endroit où il avait glissé. Mais qu'est-ce que… Qu'est-ce que c'était que ça ?

— Recommence, Vive-Attaque !

Nouvel impact et toujours aucune réaction de la part du rat. Je notai cependant que sa posture avait changé. Les pattes avant ramenées près du corps, il carrait les épaules et abaissait la tête comme si… Comme s'il se préparait à rendre les coups qu'on lui avait portés. Par Zacian, Patience !

Le cœur battant à tout rompre, j'observai attentivement le Pokémon adverse. Il fallait absolument parer cette attaque ou nous serions mûrs pour une visite au Centre Pokémon. Je ne cillai pas, n'osai même pas cligner des yeux, guettant le bon moment pour réagir.

Le Ratentif se tendit davantage… et encore un peu plus… Maintenant !

— Abri !

Juste à temps. Le bouclier protégea bel et bien mon renard du danger, mais éclata sous la puissance de l'attaque juste après l'avoir bloquée. Alpha recula par réflexe et se secoua, comme sonné. Le Ratentif s'effondra devant lui, soulevant un petit nuage de poussière.

C'était terminé. Face contre terre, le rongeur haletait. Je ressentis une pointe d'inquiétude et de pitié pour lui mais… dans un sens, il n'avait qu'à nous laisser passer. Tout de même, j'attendis qu'il se redresse et déguerpisse avant de poursuivre mon chemin. C'était une victoire douce-amère. J'avais un peu l'impression d'avoir blessé un Pokémon sauvage pour pas grand chose au final.

Enfin, non, pas question de regretter ! Je n'avais fait que me défendre contre la menace. Voilà. Ouais.

Alerte et silencieux, Alpha ouvrit la marche jusqu'au bord de l'eau. Il s'interrompit au bout d'un moment, museau offert au vent pour capter les odeurs environnantes. Je l'observai un peu, mais fus rapidement distraite par quelque chose. Il y avait du mouvement plus loin. Un combat !

Un Insécateur vert sombre et un… euh… Arcko mature… se livraient une impressionnante bataille au corps à corps. Ni l'un, ni l'autre ne semblait prêt à céder du terrain. En retrait, une dame regardait elle aussi en direction des deux monstres. Ses Pokémon, très probablement. Ils étaient captivants. Si rapides, si forts aussi !

Au bout d'un moment, le lézard manœuvra avec brio et plaqua son adversaire au sol. La classe ! Je guettai avec attention le moment où l'insecte allait se relever, mais il n'en fit rien. Le starter d'Hoenn lui avait fait mordre la poussière et ce même s'il était désavantagé par son double type. La classe ultime !

— Woah ! T'as vu ça, Alpha ? Il… Oh ?

Un petit aigle venait de surgir de nulle part. Le méprenant pour un autre Pokémon sauvage venu nous chercher des noises, mon renard gronda dessus, provoquant sa fuite. Je claquai la langue pour le réprimander et me lançai à la poursuite du petit oiseau.

— Hé ! Attends ! Ralentis, je…

Rien à faire. Plutôt que de ralentir, le Furaiglon se terra derrière la dame de tout à l'heure. Oh. Ah. Oups ?

— Bah quoi ? Quelle mouche t’as piqué mon petit emplumé, hmm ?
— Désolée, c'est de ma faute ! soufflai-je en pilant net, peu amène d'activer le mode protecteur de Pokémon aussi puissants en accourant comme une malade vers leur propriétaire. Enfin, c'est de la faute de mon Goupix, plutôt. Il l'a pris pour un adversaire.

Je laissai planer un court silence. Or maintenant que j'avais son attention, je comptais bien en profiter.

— Votre… enfin, vos Pokémon sont vraiment impressionnants ! complimentai-je, les yeux brillants. C'est la première fois que je vois un… un type Plante mettre un Insécateur au tapis sans trop galérer.

Tandis que je faisais l'éloge des deux monstres, le mien pressa son museau contre l'un de mes mollets. Je m'abaissai pour le prendre et le serrai contre mon ventre, un sourire aux lèvres. Les oreilles légèrement abattues, mon Goupix pencha la tête de coté dans une tentative d'apercevoir l'oisillon qu'il avait maladroitement repoussé.

C’est avec prestesse que se présenta à elle une charmante jeune fille. Une élève sans doute ? Mais elle ne l’avait jamais remarqué auparavant, sans doute une nouvelle alors. L’enseignante croisait tellement de mômes qu’elle ne savait plus à force, même si elle avait bien un trombinoscope dans un dossier fourré quelque part et qui servait sans doute à caler un meuble. Bref. Elle était particulièrement agréable à regarder en tout cas se dit Elisabeth, et elle se demandait d’ailleurs quelle belle plante elle pourrait devenir. Ah mais bon, ce n’était pas le moment pour penser à ça, coquine ! C’était surtout assez déplacé. Au final son attention se détacha de la ravissante brune et fut portée vers ce goupix tout à fait singulier. Décidément les chromatiques semblaient s’attirer entre eux comme des aimants.

En tout cas la voilà particulièrement gênée d’avoir effrayé le furaiglon, venait-elle d’affirmer. C’était donc ça ? La prof ne put s’empêcher de trouver cela amusant. Kapal avait encore besoin de prendre confiance en lui. Elle reçut ensuite des compliments en rapport avec son équipe. Heureusement qu’elle n’avait pas vu les deux autres cas problématique enfermés dans leur ball en tout cas. Elisabeth ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle ne méritait ces éloges qu’à moitié. Seul Guevara était sa plus grande fierté pour l’instant. D’ailleurs la fillette fit écho à ses pensées. Ce qui fit rire légèrement la jeune femme.

« Haha, ouai ! Guevara c’est un sacré costaud. Ce jungko te défendrait toute une forêt à lui tout seul. »

Le jungko souffla et haussa des épaules tout en hochant de la tête, l’air exaspéré. Sa camarade de longue date ne pouvait s’empêcher d’exagérer ses propos quelques fois. Puis il reprit de nouveau une position sérieuse avec les pattes avant croisées tout en mordillant une brindille, ce qui lui donnait cette présence particulièrement imposante, cet air confiant qui indiquait qu’il ne fallait pas le prendre à la légère même pour un pokémon feu.

Elisabeth s’avança ensuite vers l’insécateur chromatique pour l’aider à se relever. Il se remit d’aplomb en prenant appuis avec une lame, puis sa dresseuse sortit de sa poche une baie sitrus qu’elle lança en l’air. La mante se servit alors d’une autre lame pour accrocher le fruit dessus, d’un geste mesuré. La baie resta accrochée, coupée de moitié et il l’avança vers sa gueule avant de manger tranquillement.

« Nobunaga par contre peut bien recevoir tous les honneurs grâce à lui-même et non grâce à moi. Je crois bien qu’il a enduré pas mal de choses pour avoir un tel niveau et éviter de se faire capturer par le premier glandu qui passait. Il a d’ailleurs failli m’échapper, alors que Guevara est le pokémon le plus doué que je connaisse pour pister en forêt. »

L’insécateur lança un regard en coin furtif vers la fillette pendant qu’il croquait un morceau, puis il se retourna finalement pour s’isoler de tout contact visuel et se sentir tranquille.

« Tandis que l’autre là... »

Elle tourna la tête vers l’endroit ou devait se tenir le canarticho de Galar, mais il avait tout d’un coup disparu. Jusqu’à ce qu’elle entende le volatile en question s’exprimer de façon tout à fait formelle d’un autre côté. Elle bougea la tête et le vit alors agenouillé face à l’adolescente, avec une attitude chevaleresque. Si elle avait une main de libre, il lui aurait sans doute pris dans son aile comme une gente dame.

« Ah… hé bien, je te présente ‘messire’ Lancelot, de Galar. Je crois bien qu’il veut prendre ta main, mais hé, te sens pas obligée. C’est un de ses caprices, il est un peu dans son monde avec ses manières arriérées. Fait pas trop attention ! Allez, Lancelot, laisse-la tranquille ! »

Il ne bougea pas, et resta dans sa noble position un instant. Pourtant il fut dépassé par un autre volatile. Le furaiglon s’était finalement rapproché d’elle à son tour, tentant une nouvelle approche et inclinant légèrement la tête sur le côté et se mit à piailler timidement.

« Et… tu as déjà fais la rencontre de Kapal. Ce n’est encore qu’un nouveau né, mais très curieux. Il court très vite aussi, comme tu as pu t’en rendre compte. »

Voilà pour la présentation des pokémon. Elle omettait de façon complètement voulue la mention de ses deux autre énergumènes, sinon elle perdrait plusieurs points en charisme. Drake serait même capable de faire son gros dégoûtant, donc à éviter.

« Et toi ma belle, tu te promènes un peu ? C’est un chouette goupix que tu as là en tout cas.»

Elisabeth lança un sourire en coin au pokémon feu et lui fit même un clin d’œil.

Encore beaucoup à apprendre.

Heureusement, la jeune femme ne se formalisa pas de l'attitude de mon Goupix envers son Furaiglon. Elle semblait de bonne humeur, au contraire, et fière de son Jungko. On le serait à moins, franchement. Ce Pokémon respirait l'assurance et la force tranquille. Je ne doutai pas une seconde des paroles de l'inconnue : s'il pouvait terrasser un Insécateur aussi facilement, rares devaient être les gens et les monstres qui pouvaient l'arrêter. J'acquiesçai d'un hochement de tête à cette affirmation ─ un geste inconscient, admiratif.

Puisque ça faisait partie de mes paramètres par défaut, je ne pus m'empêcher de me demander quelle serait l'issue d'un combat entre cette dame et Kabu. Pour être tout à fait honnête, j'avais du mal à me décider. Le Scolocendre du champion n'était pas à sous-estimer, mais clairement, ce Guevara non plus.

Je suivis mon interlocutrice des yeux tandis qu'elle s'affairait autour de son Insécateur. La souplesse avec laquelle il attrapa la baie qu'elle lui lança me fit sourire ─ l'échange tout entier était plutôt classe, peu importe qu'il s'agisse de complicité ou d'adresse pure et simple.

— Nobunaga par contre peut bien recevoir tous les honneurs grâce à lui-même et non grâce à moi. Je crois bien qu’il a enduré pas mal de choses pour avoir un tel niveau et éviter de se faire capturer par le premier glandu qui passait. Il a d’ailleurs failli m’échapper, alors que Guevara est le pokémon le plus doué que je connaisse pour pister en forêt.

Je fronçai les sourcils et raffermis inconsciemment ma prise sur Alpha, qui remua un peu. Sa remarque sur le passé potentiel de l'insecte vert sombre me fit prendre conscience que mon propre chromatique avait eu de la chance. Combien l'auraient pris en chasse dans la nature ? Qu'aurait-il dû affronter pour éviter de tomber entre des mains cupides ou dans les filets d'un collectionneur ? Combien l'auraient simplement cédé au plus offrant suite à son éclosion ? À quelle vie aurait-il été destiné s'il n'était pas tombé sur moi ?

Je revins sur terre au moment où la mante détournait le regard et esquissai un nouveau sourire, un peu triste cette fois.

— Tandis que l’autre là...

Mon attention fut happée par un mouvement soudain. À mes pieds se trouvait un oiseau que j'aurais reconnu entre mille : un Canarticho bien de chez nous. Dans un feulement de plumes, il… s'inclina ? Il semblait effectivement avoir posé un « genou » en terre. L'une de ses ailes se tendit dans ma direction, comme s'il attendait quelque chose. Ah euh… De la nourriture, peut-être ? Mmm, non. La dame venait tout juste de lancer une baie à son camarade. En toute logique, c'était plutôt vers elle qu'il aurait dû se tourner. Mais alors, qu'est-ce que… ?

— Euh…
— Ah… hé bien, je te présente ‘messire’ Lancelot, de Galar. Je crois bien qu’il veut prendre ta main, mais hé, te sens pas obligée. C’est un de ses caprices, il est un peu dans son monde avec ses manières arriérées. Fait pas trop attention ! Allez, Lancelot, laisse-la tranquille !

Oh par Zacian ! C'était donc ma main qu'il voulait ? Bon sang, mais c'était adorable !

— Aww… Non, non, pas de soucis ! m'exclamai-je, attendrie.

Je fis passer le poids de mon Goupix sur l'un de mes bras, le calai contre ma hanche et déposai doucement ma main sur les plumes de l'oiseau.

— Enchantée ! dis-je avant d'ajouter, sur le ton de l'humour, à l'intention de la dresseuse : Un fidèle représentant de Galar, à ce que je vois. Chez nous, soit on est un mordu des combats d'arène, soit on a la passion du Moyen Âge. Impossible d'y échapper. Je ne pensais pas que ça s'appliquait aussi aux Pokémon, haha !

Bon, d'accord, c'était un peu réducteur pour les nôtres dit comme ça. C'était comme sous-entendre que tous les gens d'Alola étaient doués pour le surf ou que tous les habitants de Kalos étaient hautains. Nous ne nous résumions pas qu'à notre patrimoine historique, à nos stades ou à notre obsession du thé et de la cornemuse, même si tout ça faisait partie de notre culture. C'était dans nos racines, dans notre sang, mais c'était loin d'être notre seule facette.

Interpellée de nouveau, je baissai les yeux sur le Furaiglon de tout à l'heure, qui pérorait tout bas.

— Et… tu as déjà fais la rencontre de Kapal. Ce n’est encore qu’un nouveau né, mais très curieux. Il court très vite aussi, comme tu as pu t’en rendre compte.
— Haha, bonjour petit !

Toujours appuyé contre ma hanche, Alpha agita les pattes. Je retirai lentement ma main des plumes de l'adorable chevalier Lancelot pour manipuler mon renard, que je déposai sur le sol. Il avança lentement vers le petit oiseau pour le renifler. Toute l'hostilité l'avait déserté, laissant place à la curiosité. Voilà qui était bien mieux que tout à l'heure !

— Et toi ma belle, tu te promènes un peu ? C’est un chouette goupix que tu as là en tout cas.

Ma belle… Outre les gens de ma famille, ma meilleure amie et la mère de celle-ci, personne ne m'avait appelée comme ça. Pas de vive voix, du moins. Je recevais toujours une poignée de compliments lorsque je m'affichais sur internet, mais entre le lire et l'entendre, il y avait tout un univers. Je sentis mes joues s'échauffer tandis que je m'empourprais et mis quelques secondes à reprendre contenance. Toute une réaction pour deux petits mots poussés comme ça, naturellement, sur le ton de la conversation. Et encore, ça n'avait pas été dit de façon perverse ou sarcastique ! Heureusement.

— Ah, euh… Oui, voilà. J'en avais marre d'être à l'intérieur, alors je suis sortie dans l'espoir de croiser un dresseur ou deux. Au final, tout ce que j'ai croisé, c'était un Ratentif énervé… et vous !

Je n'avais pas bien compris pourquoi le rongeur s'était mis en travers de mon chemin, d'ailleurs. Pour protéger sa fratrie ? Son territoire ? Ses réserves de nourriture ? Peut-être étaient-ils des cousins éloignés des Rongourmand…

Tout en réfléchissant, je me souvins du compliment adressé à mon Goupix et repris :

— Merci pour lui. Il s'appelle Alpha. Je l'ai eu sous forme d'œuf il y a un peu plus de six ans.

Eh oui. Cela faisait déjà six ans que cette adorable boule de poils dorée me suivait à la trace. Je poussai un soupir nostalgique au souvenir de son éclosion et laissai planer un court silence.

— Je commence tout juste à me rendre compte de la chance qu'on a eu tous les deux, admis-je en désignant le Pokémon Feu du menton. M'enfin, non, pas vraiment. J'ai toujours été heureuse de l'avoir et avec le temps, nous sommes devenus inséparables mais… tout à l'heure, quand vous parliez du passé de votre Insécateur, ça m'a fait réaliser que… qu'il aurait pu tomber sur bien pire que moi, au fond.

Des paroles que l'on pouvait interpréter comme un manque de confiance, mais ce n'était pas le cas. Je ne doutais pas de mes qualités de dresseuse, tant pour les combats que pour les soins quotidiens. Je faisais tout ce qui était en mon pouvoir pour que mon Goupix soit sain, sauf et heureux. Avoir un aperçu de la vie à laquelle il avait échappé me soulageait, dans une certaine mesure. Je me sentais curieusement plus proche de lui, aussi.

Je cessai de surveiller mon petit renard ─ qui cherchait apparemment à établir une espèce de jeu amical en poussant le Furaiglon du museau ─ et lançai un nouveau regard en direction de la mante. Heureusement pour Nobunaga, grâce à mon interlocutrice, il n'avait plus à regarder sans cesse par-dessus son épaule pour éviter le danger. Il pouvait respirer et s'épanouir en paix.

Mmm… Guevara, Nobunaga, Lancelot, Kapal, Alpha…

— J'y pense… Je connais les surnoms de vos Pokémon et vous connaissez Alpha, mais je ne me suis pas présentée moi-même, notai-je, amusée. Je m'appelle Kalian.

J'hésitai, me demandant si je devais lui tendre la main comme l'avait fait Naos lors de notre première rencontre, mais laissai rapidement tomber l'idée. C'était un peu étrange de se présenter après avoir décliné l'identité de son Pokémon. Bon. Au moins, ça avait le mérite de détendre un peu l'atmosphère. À mon avis, en tout cas. Et c'était tant mieux, parce que ce n'était certainement pas cette couche nuageuse ni la proximité du lac qui allaient me donner la pêche, aujourd'hui.

Lancelot n’y croyait pas ! Elle lui avait confié sa main pendant un instant, c’était une main douce et délicate qui effleurait ses plumes. Cela suffit à le remplir de joie et un frisson le parcourut. Nombre de fois tentée, nombre de fois refusée, cette approche touchait enfin au but. Ou plutôt était-ce la seconde fois, la première il s’en souvenait encore s’était produite avec une gardevoir. Une rencontre particulièrement gracieuse bien qu’éphémère dont il se souvenait également parce qu’il l’avait sauvée de l’attaque d’un berserkatt un peu trop barbare et insistant. Le canartichot ne pouvait s’empêcher de penser cependant qu’il préférerait tenir davantage compagnie à cette gente demoiselle plutôt qu’à sa dresseuse actuelle. Les manières rudes d’Elisabeth le vexait quelque fois et il se demandait d’ailleurs si elle n’était pas un peu trop virile sur les bords. En tout cas c’est sûr qu’elle n’était pas tendre. Enfin, au moins elle avait ce petit côté Jeanne d’Arc qu’il appréciait un minimum. Cet esprit de meneuse ne le dérangeait pas le moins du monde.

Lorsqu’il eut prit suffisamment le temps d’apprécier ce moment de rapprochement spirituel et physique qu’il venait de partager avec la jeune fille, il s’éloigna avec un sourire radieux et s’assit au bord du lac, l’air rêveur et satisfait. Jusqu’à ce qu’un magicarpe tout proche de lui remue l’eau brusquement à la surface et asperge abondamment le plumage de Lancelot. Ce dernier passa aussitôt du sourire à l’indignation. Il posa alors sa tête lourdement contre une aile, l’air irrité, tandis que sa tête mouillée dégoulinait amplement. Une fois pour toute il aimerait qu’on le laisse plus de cinq minutes vivre sa fantaisie ! Décidément, pas de bol...

Au tour du Furaiglon de devenir le pokémon au centre de l’attention. Le goupix était en train de lui donner des coups de museau, dont il réagit avec des petits piaillement surpris. A son tour Kapal vint grattouiller son bec contre le pelage du pokémon feu. Tient ? C’était doux… oh c’était même plus doux que les couvertures de son nid douillé. C’était chaud aussi, plus chaud que lorsqu’il se blottissait contre sa mère d’adoption – car ayant vu Elisabeth lors de son éclosion il la considérait ainsi. Allons bon, c’était tellement doux et chaud qu’a présent il ne pouvait s’empêcher de frotter son plumage contre sa fourrure. C’était tellement agréable. Il ne pouvait pas par hasard rester se câliner avec ce pokémon jusqu’à la fin des temps ? Non ? Tant pis. Kapal se mit en tout cas à piailler pour exprimer sa quiétude. Voilà, maintenant ce goupix était devenu son copain. Oui oui ! Pas le choix de toute façon c’était comme ça, il venait de le décréter. Il en fallait peu à cet âge là pour nouer des liens après tout.

Pendant ce temps Elisabeth qui avait reporté son attention sur la dresseuse l’écouta attentivement. La jeune fille était donc passée d’un ratentif énervé à elle-même. Pourquoi la tournure de la phrase lui faisait penser qu’elle se sentait considérée comme une autre péripétie ? Ah... enfin bref ! Elle parla ensuite de son goupix et de la chance ainsi que du bonheur qu’ils avaient de s’être rencontrés. C’était touchant. L’enseignante se rappela alors de sa première rencontre avec Guevara lorsqu’il n’était encore qu’un arcko, alors déjà très malin et doué, et la chance qu’elle avait également d’être tombé sur lui dans un moment particulièrement dangereux pour elle. Un lien indestructible venait de se former immédiatement.

Elle se présenta finalement. C’est vrai, pourquoi on n’avait pas commencé par là ? Peut-être parce qu’on aimait chacun trop les pokémon pour d’abord parler de soi-même, oui c’était sans doute le cas.

« Salut Kalian ! Moi c’est Elisabeth. Et puis t’as raison de te promener, c’est bien de voir des jeunes sortir un peu, plutôt que d’avoir trop le nez pointé devant un écran à longueur de journée. Ce serait dommage de pas en profiter quoi, affirma l’enseignante en observant le coin avant de préciser, bon enfin c’est un peu tristounet mais au moins il pleut pas. »

Elle observa vaguement le ciel pendant un moment puis reporta son attention vers la fillette. Il ne faisait pas soleil, mais au final pas besoin, car un rayon de soleil se trouvait déjà à proximité en la personne de Kalian. Elle semblait plein d’entrain en tout cas. Elisabeth appréciait les gens plein de ressources. Elle la toisa un petit moment, l’air pensive et fini par lui demander :

« Tu serais pas élève à l’académie par hasard ? Désolé de te demander ça, à vrai dire j’en vois tellement en tant qu’enseignante que ma mémoire me fait défaut par moment. »

Ce fut suivit d’un léger rire gêné et d’une main caressant la nuque. En tout cas cela lui paraîtrait bizarre d’avoir oublié ce charmant petit minois. Aussi n’avait-elle par remarqué les mamours auxquelles s’adonnait son petit oiseau avec le petit renard. Du moment que tout se passait tranquillement, il n’y avait pas de soucis à se faire, n’est-ce pas ?

Encore beaucoup à apprendre.

Ainsi, mon interlocutrice se prénommait Elisabeth. Je détournai le regard face à son commentaire sur les jeunes plus susceptibles de paresser devant leurs écrans que de mettre le nez dehors, un brin embarrassée. Je faisais partie de ces ados qui, de temps à autre, adoraient se plonger dans un bon jeu vidéo ou se perdre du coté des réseaux sociaux. Dans un sens, il s'agissait d'un passe-temps secondaire, mais j'y étais tout de même attachée. Ma passion du dressage et des Pokémon Feu me tenait souvent à l'écart des bidules électroniques, même si je tâchais toujours d'y revenir, ne serait-ce que pour alimenter ma modeste chaîne Pokétube.

Avant de poser à nouveau les yeux sur elle, je me perdis dans la contemplation du ciel grisâtre et du lac sur lequel glissaient des oiseaux bleus. Effectivement, c'était une chance qu'il ne pleuve pas.

— Et c'est tant mieux ! m'exclamai-je. La pluie et moi, on ne s'entend pas très bien.

Bon, d'accord, j'exagérais. Je n'aimais pas particulièrement devoir enfiler des bottes de caoutchouc et porter un parapluie pour me déplacer, mais je ne détestais pas les averses pour autant. Mon avis sur elles était plutôt mitigé. Selon mon humeur, je les percevais soit comme de belles occasions de me détendre, console à la main, ou comme des obstacles à mon désir d'entraîner mon Goupix en nature. Ouais, la pluie, ça passait encore. Le verglas, c'était une autre histoire.

— Tu serais pas élève à l’académie par hasard ? Désolé de te demander ça, à vrai dire j’en vois tellement en tant qu’enseignante que ma mémoire me fait défaut par moment.

Elle s'esclaffa et je me fendis d'un sourire… qui s'estompa de moitié. Une minute, elle était enseignante ? Je ne m'étais pas imaginée qu'elle puisse être l'un des nombreux professeurs de l'académie. Je ne m'étais pas demandé quel métier elle pouvait bien exercer tout court, en fait. C'était normal pour une dresseuse de rencontrer des gens sur son chemin. On en voyait de toutes les formes et de toutes les provenances. Je ne m'attardais pas trop à ce genre de détails, en général. Mais là…

Sous le coup de la surprise, je laissai quelques secondes m'échapper. Quelle attitude devais-je adopter, maintenant ? Continuer de socialiser comme précédemment ? Tomber dans les politesses et dans la réserve, quitte à donner l'impression de… enfin, quitte à me refermer un peu sur moi-même ? Il semblait y avoir tout un univers entre elle et les enseignants que j'avais connus à Galar ─ plus distants, moins détendus, le genre qu'on ne voyait que dans leurs salles de classe qui embaumaient l'encre et le vieux café. C'était un poil déstabilisant. Je fis discrètement passer mon poids d'un pied à l'autre, comme pour me ressaisir, avant de lui répondre.

— Ah, euh… Oui, c'est le cas. Je suis apprentie dresseuse, informai-je, toujours incertaine du nom officiel de mon cursus. Ça ne fait pas si longtemps, par contre. Je ne pense pas qu'on ait eu la chance de se croiser.

Et impossible de consulter mon horaire pour m'en assurer. Ce dernier reposait dans ma chambre, quelque part sur mon bureau, probablement coincé sous ma trousse à crayons ou entre deux manuels scolaires. Qu'enseignait-elle ? Avais-je seulement accès à sa matière dans mon cursus ? Avais-je lu quelque part, sous l'intitulé d'un cours, un petit E. suivant un nom de famille ?

Je ne m'en souvenais pas. Je croisais cependant les doigts pour qu'elle se charge d'une matière offensive ─ un cours relié à la stratégie, par exemple. L'adresse de son Jungko trahissait une grande expérience en combat. Ce serait un honneur d'apprendre sous l'égide de quelqu'un de chevronné.

Apprendre des plus expérimentés. À bien y penser, c'était un peu mon objectif à long terme. En plus de combattre avec ou contre les challengers de la Ligue de Galar, devenir dresseuse d'arène à Motorby signifiait aussi bénéficier de la présence et des conseils de Kabu.

— Et vous, hum… Vous enseignez quelle matière ?

Par Zacian… On pouvait clairement entendre le soupçon de malaise dans ma voix, résultat de mon incertitude sur le comportement à adopter. C'était aussi perceptible que l'accent de Galar qui s'immisçait dans chacune de mes phrases. Je devais me calmer, rester naturelle. Oui, voilà. Respirer, me calmer, rester fidèle à moi-même. Je ne savais pas faire autrement, de toute façon.

— Guh, désolée… Je ne m'attendais pas à ça, ajoutai-je, un petit rire nerveux suivant l'affirmation.

Autant désamorcer un peu ce malaise. Dans le doute, mettre des mots sur mes impressions et sentiments me semblait toujours un bon point de départ. Et à bien y penser, ces circonstances n'étaient pas si exceptionnelles que ça. Mes chances de tomber sur une employée de l'académie n'étaient pas si minces. C'était juste… inattendu. Une curieuse entrée en matière.

— Goupix, pix.

Exclamation douce et satisfaite, expression d'un bonheur simple et agréable. À nos pieds, mon renard chromatique et l'oisillon de la prof semblaient tous deux bien apprécier la présence de l'autre. Adepte de chaleur, Alpha rayonnait au contact de cette boule de plumes, sur la tête de laquelle il déposa un ou deux coups de langue. Un geste d'affection, d'acceptation. Je couvai les deux bêtes d'un regard attendri.

Au bout d'un moment, l'une des oreilles d'Alpha se tourna vers les bois. Lui qui s'était assis pour mieux profiter de la proximité du Furaiglon se redressa. Ses yeux se posèrent sur un point quelconque, entre les troncs, et il leva le museau pour faire le tri dans les odeurs ambiantes. Hm ? De quoi ? Je tentai de suivre son regard, mais ne perçus rien d'inhabituel. Pas d'ombre, pas de mouvement. Rien de foncièrement alarmant ou qui se détecte en claquant des doigts. Toutefois je savais que mes sens d'humaine étaient à des années-lumière de ceux de mon Goupix. Un sourcil arqué, je décochai un regard à l'enseignante. Avait-elle capté quelque chose, comme mon renard ?

Je jaugeai Alpha jusqu'à ce qu'il relâche sa garde, la mâchoire serrée. Il se rassit lentement, me dévisagea un peu, en fit de même avec mon interlocutrice… et se tourna à nouveau vers le petit oiseau pour le couvrir de douceur, comme si rien ne s'était passé.

— Okay… ? soufflai-je, perplexe.

Son petit manège n'avait duré qu'un instant, mais je n'en demeurais pas moins confuse. J'avais confiance en son instinct, en ses sens. S'il avait poussé le bouchon un peu plus loin, en s'abaissant ou en grondant, une investigation aurait été de mise. Mais là… Il venait bien de se calmer, non ? Apparemment. Je relâchai la tension dans mes épaules et desserrai les dents. S'il se détendait, je pouvais bien me l'autoriser aussi.

Je songeai à excuser son comportement, mais me ravisai. Comme je n'avais pas reproché au Lixy de Naos d'être un félin et d'agir comme tel, je ne pouvais pas blâmer mon Goupix pour sa nature canine. Je me contentai donc de reporter mon attention sur Elisabeth dans une attitude que je voulais plus légère et décontractée que tout à l'heure.

Tiens, elle n’aurait peut-être pas dû dire qu’elle était prof. A chaque fois c’était un coup à ce qu’un élève en face d’elle se raidisse. A partir de ce moment ils ont l’air de vouloir faire attention à ce qu’ils disent, à leur langage, à essayer de ne pas dire du mal de l’académie, ou bien d’un autre enseignant voire d’un camarade. Voilà bien la veine d’Elisabeth, revêtir un statut d’enseignant souvent vu respectablement, mais un peu trop sur les bords au point qu’on n’arrive plus à être complètement sincère avec elle. Kalian paraissait bien détendu jusqu’à présent, et paf ! Le drame. Elle se rend compte qu’elle doit faire attention à ce qu’elle dit. Inconsciemment en tout cas c’est souvent ce qu’il se passait avec les élèves. Bon tant pis, le mal était fais après tout. La jeune femme brune aurait bien pu faire son sourire le plus rassurant, lui dire qu’il n’y avait pas de soucis à se faire, mais cela aurait-il servi à quelque chose ? Pas vraiment. En tout cas, maintenant que les rôles de chacun venaient d’être dévoilés, on ne pouvait plus revenir en arrière, n’est-ce pas ? Aussi après avoir appris qu’elle suivait le cursus de dresseur, Elisabeth fut sur le point d’en dire plus sur sa matière.

« Ah une dresseuse ? C’est cool. Mon domaine à moi c’est la phytothérapie et bota-... »

Elle s’arrêta subitement sur sa lancée au moment où le Goupix sembla alerté par quelque chose, suivi de sa dresseuse. Guevara tourna les yeux vers la source de l’activité, mais ne fut pas alerté plus que cela et regarda de nouveau en face de lui comme si de rien n’était.

« ...-nique ?... »

L’enseignante tourna la tête à son tour et ne remarqua rien. Quelque chose de plus préoccupant aurait davantage fait réagir son vieux camarade, mais le jungko s’était mis à mordiller de nouveau sa brindille tranquillement. De la même façon, le goupix reportait son attention sur les chaleureuses câlinerie entreprises avec l’oisillon. Elisabeth ne l’avait pas remarqué avant mais maintenant elle se disait que leur rencontre entre pokémon était, en effet, chaleureuses et remplies d’insouciance. Il n’y a que Kalian qui de son côté paraissait vraiment moins à l’aise qu’à son arrivée, il était peut-être temps de la rassurer avec quelques paroles. L’effet aura ce qu’il pourra avoir, Elisabeth n’avait pas mieux en stock de toute manière.

« T’en fais pas, si quelque chose de dangereux arrive vraiment, tu peux être certain que Guevara sera l’un des premiers à le voir arriver et à s’occuper de la menace sans attendre mes ordres. Bref j’ai pas besoin de te faire un dessin, tu l’as déjà bien vu en action. »

Avec un sourire elle frappa gentiment et de façon amicale son poing contre l’épaule du pokémon plante. Ce dernier se laissa légèrement bousculer sur un côté, sans éprouver de mécontentement. Une preuve supplémentaire, si ce n’était pas encore suffisant, de leur indéfectible complicité.

Ensuite elle essayait de se rappeler où ils en étaient avant d’être interrompu par ce léger soubresaut. Oui, donc cette petit était dresseuse. Elisabeth en profita pour revenir sur le sujet en faisant un rappel de sa matière.

« Ouai… du coup j’disais que j’enseigne principalement la phytothérapie et la botanique. Je suis souvent en train de traîner dans la serre d’ailleurs, si un jour l’envie te prends de passer me voir. Je suis pas vraiment une femme d’intérieur, mais ça, t’as dû t’en rendre compte héhé. Bon… il m’arrive aussi d’enseigner quelque fois sur l’écosystème et les environnements naturels des Pokémon, un nom bien trop long et pompeux pour comprendre que c’est juste un truc d’écolo, si tu veux mon avis. Bref, j’adore la nature, et la nature me le rend bien. »

Cette affirmation de fin qui ressemblait à un slogan du pub était peut-être un peu ringarde après tout, mais qu’est-ce qu’elle en savait ? C’est en tout cas ce pour quoi elle vivait, elle en compagnie de Guevara. Son but était avant tout de sensibiliser la jeunesse aux belles choses de la nature.

Maintenant si on passait à la franchise ? Elisabeth n’attendait que ça, de faire la remarque.

« Ah et… met pas de pincettes avec moi, hein ? Je m’en fiche pas mal que tu parles mal en face de moi. Je suis pas comme ces autres prof qui se forcent à paraître tout bien tout conforme lorsqu’ils sont en classe et puis qui te saquent par derrière, à coup de notes ou d’appréciation injustes. J’aime la sincérité à tout instant et j’ai toujours trouvé que ça m’avait réussi pour mes cours. Certains te diront sans doute que ‘ouai la prof Greenjaw elle est quand même désagréable des fois’, et ça je le sais, je le cache pas. Mais j’aimerais que tu restes à l’aise avec ça, ok ?»

Elle conclut ensuite par un clin d’oeil.

« Tu vois, je vais pas me priver par exemple pour dire que Takeshi c’est un brave gars, mais il faudrait qu’il soit plus malin quand même. Parce que des fois il peut vraiment être neuneuuuuuux, olalaaaa... »

Elle sourit. Voilà, est-ce que tout ceci avait suffit pour détendre l’atmosphère ? Est-ce que le coup de pioche avait été suffisant pour briser la glace ? Elle l’espérait en tout cas. Dans le cas contraire, Kalian pouvait se rendre compte de la franchise qui habitait ce bout de femme, mais aussi de la sympathie qu’elle dégageait, il ne fallait pas l’oublier. Elle aurait pu parler d’autres élèves comme ça pour s’amuser un peu. Tout le monde avait ses petits défauts après tout. Mais elle n’était pas non plus comme Dliver, qui semblait passionné lorsqu’il partait dans un monologue à propos de ses élèves chéris. Ouai… elle ne se privait pas non plus pour parler franchement de ses collègues. Pour le meilleur et pour le pire. De toute façon elle n’avait pas été virée encore, par contre elle avait vu pas mal de ses collègue quitter l’académie, probablement muté, ou autre. Pendant ce temps elle se trouvait toujours ici, donc c’était bon signe ? Ou alors le directeur avait peur d’elle, au choix.

Soudain, quand on pensait être enfin tranquille, un bruit dans les fourrées.

Instantanément le Jungko fut sur le qui-vive et il n’était pas le seul. L’Insécateur chromatique l’avait senti aussi, car il s’était retourné aussitôt. Ses deux pokémon les plus sensible au danger qui réagissaient au même instant, c’était pas vraiment bon signe ça. Elisabeth prit tout à coup un air sérieux et lança un regard soucieux envers son camarade.

« Gueva… ? »

Il croisa rapidement son regard, cracha sa brindille au sol et hocha la tête pour désigner un endroit dans la végétation. Elle remarquait que Nobunaga observait le même point. Il n’y avait pas de doute, même si elle ne voyait encore rien, elle-même.

« Je vois. Puis s’adressant à la jeune dresseuse, d’une voix basse. Kalian, ça risque de chauffer pendant un instant, recules un peu. »

L’intrus n’avait pas décidé de se montrer à l’heure actuelle, mais pour l’instant il s’agissait d’un jeu de dupes, parcourut de silence. Nul doute que les deux pokémon expérimentés mettaient actuellement à profit tous leurs sens, pleinement en éveil. Le moindre mouvement suspect, tout comme le bruit. Un silence pesant s’était installé. Elisabeth inspira calmement pour tenter de garder son sang-froid. Elle avait l’habitude de cette sensation, de contrôler son angoisse et de garder les idées claires. Sa vie dans la jungle l’avait forgé ainsi. Elle trouvait ce genre de situation presque enivrant !

Encore beaucoup à apprendre.

Phytothérapie et botanique, avait-elle fait mine de dire avant que cette soudaine agitation ne lui coupe l'herbe sous le pied et scinde son dernier mot en deux. Une matière qui ne s'apparentait d'aucune façon à la stratégie. Enfin non, pas exactement. Sur le terrain, faire usage de baies avait ses avantages, mais ce n'était certainement pas la première chose qu'évoquait le mot « stratégie » chez les jeunes dresseurs. Ce n'était pas mon cas, du moins.

Je ne pus pousser ma réflexion plus loin, puisque l'enseignante avait décidé de me rasséréner.

— T’en fais pas, si quelque chose de dangereux arrive vraiment, tu peux être certain que Guevara sera l’un des premiers à le voir arriver et à s’occuper de la menace sans attendre mes ordres. Bref j’ai pas besoin de te faire un dessin, tu l’as déjà bien vu en action.

J'acquiesçai silencieusement, d'un simple hochement de tête. Pour avoir assisté à la défaite de la mante, je ne pouvais qu'avoir confiance en les capacités du Jungko. Je n'avais pas spécialement peur, étant plus perplexe et tendue qu'effrayée, mais tout de même, l'entendre dire acheva de m'apaiser. Entre l'attitude décontractée d'Alpha et la présence rassurante du grand type Plante, nul besoin de me faire un sang d'encre. La façon dont sa propriétaire le bouscula amicalement m'arracha un sourire. Leur complicité était belle à voir.

Attendrie, je baissai les yeux sur mon Goupix, qui cessa momentanément de papouiller l'oiseau pour m'adresser une espèce de sourire, les yeux fermés, la tête inclinée.

— Ouai… du coup j’disais que j’enseigne principalement la phytothérapie et la botanique. Je suis souvent en train de traîner dans la serre d’ailleurs, si un jour l’envie te prends de passer me voir. Je suis pas vraiment une femme d’intérieur, mais ça, t’as dû t’en rendre compte héhé. Bon… il m’arrive aussi d’enseigner quelque fois sur l’écosystème et les environnements naturels des Pokémon, un nom bien trop long et pompeux pour comprendre que c’est juste un truc d’écolo, si tu veux mon avis. Bref, j’adore la nature, et la nature me le rend bien.

Au-delà de son rapport à la stratégie, ce cours de phytothérapie et botanique devait être un minimum intéressant. Je redoutais de devoir apprendre par cœur l'anatomie et les noms scientifiques longs comme le bras des plantes étudiées ─ ou du moins, j'aurais eu peur d'y être forcée avec un autre professeur. Je me trompais peut-être, mais à première vue, mon interlocutrice semblait bien plus portée sur l'action, et donc la pratique, que sur la théorie. J'avais un peu de mal à l'imaginer assise derrière un bureau pour corriger des devoirs et des exercices manuscrits toute la sainte journée.

Sa proposition de lui rendre visite à ma convenance m'étonna. Une surprise agréable, cette fois. Vu son expérience en combat et le lien fort qui l'unissait à son Jungko, j'imaginais déjà la pertinence de son point de vue sur l'éducation et l'entraînement des Pokémon. Mais il n'y avait pas que ça, évidemment. Elisabeth était sympathique et facile d'approche, en particulier pour une adulte en position d'autorité. En-dehors du cadre familial, elle était la première à me laisser cette impression. En plus de tout ça, sa façon de dire les choses m'amusait. Son langage familier, sa franchise, difficile de rester de marbre face à eux.

— C'est noté ! dis-je, souriante. Et… J'emmènerai du thé bien de chez nous. Je redoute un peu celui qu'on sert ici.

Tenter d'impressionner un natif de Galar avec ses infusions, c'était comme tenter d'apprendre à un vieux singe comment faire des grimaces. Les chances d'y parvenir étaient assez minces. Sur mon continent, le stéréotype voulait qu'on nous abreuve de thé dès qu'on lâchait le biberon. Dans ma famille, c'était presque le cas. Par conséquent, j'étais plutôt difficile là-dessus.

Enfin. Contribuer d'une quelconque façon, apporter quelque chose à ces rencontres m'aiderait sans doute à relâcher un peu la tension. Tension qui se dissipait progressivement, d'ailleurs. Mes mots et mes expressions se voulaient déjà bien moins coincés que les précédents.

— Ah et… met pas de pincettes avec moi, hein ? Je m’en fiche pas mal que tu parles mal en face de moi. Je suis pas comme ces autres prof qui se forcent à paraître tout bien tout conforme lorsqu’ils sont en classe et puis qui te saquent par derrière, à coup de notes ou d’appréciation injustes. J’aime la sincérité à tout instant et j’ai toujours trouvé que ça m’avait réussi pour mes cours. Certains te diront sans doute que ‘ouai la prof Greenjaw elle est quand même désagréable des fois’, et ça je le sais, je le cache pas. Mais j’aimerais que tu restes à l’aise avec ça, ok ?

Greenjaw, donc. Elisabeth Greenjaw. Professeur Greenjaw. Je stockai cette information dans un coin de ma tête.

Elle m'adressa un clin d'œil et la gêne refit surface. Non parce que le geste me dérangeait, mais parce qu'elle avait perçu le malaise qui m'avait envahie quelques instants plus tôt. Oui. Bon. Après, mon inconfort avait été des plus perceptibles. Quant à rester naturelle, c'était exactement ce que je cherchais à accomplir. Et pour cela, je devais ouvrir complètement la porte à mes émotions. Les ressentir, les nommer.

— Je vais faire de mon mieux, promis-je, consciente que j'y arriverais en temps et lieu. De toute façon, c'est pas dans ma nature de surveiller tout ce que je dis. C'est probablement mon plus gros défaut, d'ailleurs : je m'exprime trop. Je parle de tout tout le temps et je manque de… euh… diplomatie… ? Par moments.

Diplomatie était le bon mot, n'est-ce pas ? Probablement. Disons simplement que j'oubliais parfois d'enfiler des gants blancs avant de m'adresser aux autres. Quand j'étais énervée, anxieuse ou excitée, c'était pire. Mais ça, c'était le genre de comportement que j'avais avec mes semblables, pas avec mes profs… D'habitude.

Comme pour appuyer ses paroles, Elisabeth lança un exemple, et pas des moindres :

— Tu vois, je vais pas me priver par exemple pour dire que Takeshi c’est un brave gars, mais il faudrait qu’il soit plus malin quand même. Parce que des fois il peut vraiment être neuneuuuuuux, olalaaaa...

J'éclatai de rire. Je ne connaissais pas ce Takeshi, mais cette façon de le présenter était hilarante. Comme dirait papi Fraser, elle était bien sentie, celle-là ! Le pauvre mec, quand même ! Ou elle exagérait, ou il s'agissait bel et bien d'un cas à lui tout seul. Sur le coup, je me demandais si j'aurais la chance de le croiser un jour et d'en juger par moi-même. J'espérais sincèrement que cela se produise, ne serait-ce que pour contrevérifier ce commentaire.

— Par Zacian, soufflai-je en essuyant une petite larme du plat de la main. Wow ! Hahaha, owh, le pauvre… Avec ça, je me demande ce que vous allez balancer à mon sujet !

Je m'attendais à quelque chose de spectaculaire en tout cas, quitte à perdre quelques points de réputation. La réputation n'occupait pas une très grande place sur ma liste de priorités de toute façon ─ tant qu'elle n'abolissait pas mes chances d'être embauchée par Kabu dans un futur lointain.

Et voilà. Après une telle affirmation et une telle hilarité, impossible de patauger dans le malaise et la retenue plus longtemps. Il me tardait de pouvoir assister à l'un de ses cours, maintenant. Si elle lançait allégrement ce genre de phrase aux élèves pendant les leçons, l'étude des plantes toutes catégories confondues devait être vachement plus intéressante que ce qu'on pouvait croire.

Un silence doux s'installa, entrecoupé des rumeurs du lac et de la nature. Bien plus confortable désormais, je réfléchissais à l'éventualité de suivre l'un de ces fameux cours de phytothérapie et botanique. Mes talents en jardinage et consorts étaient inexistants ─ mon expérience dans ce domaine se résumait à laver les légumes fraîchement cueillis du potager de mamie Fraser, qui ne me faisait même pas assez confiance pour arracher des mauvaises herbes, et secouer les arbres dans lesquels les Rongourmand entreposaient leur butin plutôt que de faire l'effort de dénicher des baies toute seule ─ mais il y avait un début à tout. J'essayais de me projeter tant bien que mal lorsqu'un bruit retentit.

Je sursautai. Tandis que le professeur Greenjaw consultait son Jungko, je me concentrai sur Alpha. Il avait bondi sur ses pattes et tendait la tête vers les fourrés, alerte.

— Je vois. Kalian, ça risque de chauffer pendant un instant, recules un peu.

Je hochai la tête et m'exécutai, reculant de quelques pas, ignorant délibérément que cela me rapprochait du point d'eau. Je m'abaissai sans trop réfléchir, à l'instinct, et me retrouvai accroupie derrière mon Goupix et le Furaiglon, un genou en terre. Je songeai à les prendre tous les deux dans mes bras, comme si les caler contre moi suffirait à les protéger de la menace, mais me ravisai. Mon renard doré s'était posté devant son camarade, prêt à créer un Abri au besoin. Il pouvait gérer. Ils pouvaient sans doute gérer tous les deux, en fait. Après tout, les Pokémon étaient des petites bestioles pleines de ressources.

Quelque chose émergea d'entre les arbres, mais il apparut rapidement qu'il ne s'agissait pas de cette présence alarmante ; deux castors patauds ─ monstres que je ne connaissais pas ─ accoururent en direction du lac dans lequel ils se jetèrent sans tarder. Au même instant, des oiseaux fusèrent à tire-d'aile vers les nuages. Nul doute que ce qui les avait fait fuir était une bête puissante, énervée ou en colère. Peut-être s'agissait-il d'un redoutable prédateur. Ou autre. Pour l'heure, je n'avais aucun moyen de le savoir. Je ne voyais strictement rien, n'entendais rien non plus.

À vrai dire, il m'était difficile d'entendre autre chose que les battements affolés de mon cœur. En tant que dresseuse, j'avais eu affaire à des Pokémon plus ou moins intimidants au fil des années. Invoqués par des adversaires pour la plupart ou croisés dans la nature par accident. Ce contexte-là me paraissait différent. Avec la fausse alerte de tout à l'heure et la tension qui planait maintenant, je ne me sentais plus vraiment comme une dresseuse. J'avais plutôt l'impression d'être une proie.

L’attente ne fut pas de longue durée car déjà un premier pokemon venait de surgir des fourrées ! C’était… un ratentif ? Et il avait l’air un peu mal en point et essoufflé. Il avait accouru à une allure folle mais il ne semblait pas représenter une menace car il semblait plutôt vouloir fuir quelque chose. A un moment il s’arrêta pour souffler et regarda derrière lui. Puis ce fut au tour d’un fouinette de faire son apparition ! Celui-ci semblait en bon état mais il était tout aussi essoufflé. Il finit par rejoindre le ratentif pour reprendre à son tour son souffle. Puis il y eut des bruits de pas plus imposant qui se firent entendre à leur suite. Le jungko se préparait alors au combat. C’était peut-être ce truc qu’il avait senti arriver et cela n’avait pas l’air petit ! Les deux petits rongeurs regardèrent à leur tour en arrière sans bouger. Ce qui apparut ensuite fut assez grotesque. La silhouette d’un autre rongeur beaucoup plus gros sortit finalement de la végétation. Le poil brun, les joues biens pleines et le ventre bien rond. Elisabeth n’avait jamais vu cette espèce jusque là, même s’il lui semblait en avoir déjà vu un similaire squatter la serre. Pour elle c’était comme un énorme rongourmand. Et pour ainsi dire, c’était plutôt un rongrigou que voilà, mais taille XXL ! Il devait bien faire deux fois le poids et la taille d’un rongrigou normal. Il s’était mis à courir comme les autres, bien que plus lentement. Les bras chargés de baies tandis que sa queue rembourrée laissait parfois tomber un fruit de temps en temps. Il n’avait pas l’air apeuré ou quoi que ce soit, il semblait même sourire. Le fouinette sembla prendre la parole.

« Vite chef !
- Sérieux chef ! C’était trop dangereux ! Dit le ratentif à son tour.
- Hahaha ! Les meilleurs trésors sont dans les endroits les plus dangereux mes petits ! expliqua le gros pokémon.
- Attention il arrive ! » S’écria à nouveau le ratentif.

Il avait dit ça en pointant du doigt l’endroit d’où ils venaient tous les trois. On entendit alors un bourdonnement assez inquiétant et ce n’était sûrement pas celui d’un apitrini. Non ce fut un dardargnan qui venait de débarquer à son tour et il fonçait sur le groupe de trois rongeurs. Les deux plus petits se mirent à pousser un cri de stupeur en se tenant l’un l’autre dans les bras tandis que le pokémon ventripotent gardait son air jovial. Elisabeth mit un moment à comprendre la situation, mais elle semblait finalement assez simple à comprendre. Elle donna un ordre au jungko et celui-ci exécuta une vive-attaque d’un seul bond. L’herbe s’envola sous sa patte au moment de son départ et il se trouvait déjà à proximité de la guêpe pour la frapper. Le coup fut ainsi porté sur le côté, l’avantage que l’insecte jette son dévolu sur les rongeurs en priorité plutôt que sur les autres pokémon. Après le choc, le nuisible volant perdit le contrôle de son envol un moment après avoir été projeté un peu plus loin, mais finalement il se rétablit, puis prêta cette fois attention au Jungko. Il le jaugea un instant puis déguerpit vers l’endroit d’où il venait d’arriver, s’évanouissant de nouveau dans la végétation. Les deux petits rongeurs se détendirent l’instant d’après et la conversation entre eux trois reprit de nouveau.

« Oh ! Tant pis, je m’en serais occupé sans problème. Hohoho ! Gloussa le rongrigou.
- Ouai chef, vous êtes trop fort, mais ce pokémon aussi ! Remarqua le fouinette.
- Ah lui ? Il est un peu maigrichon, mais il est pas mauvais c’est vrai. Pas aussi bon que moi ceci dit. Rectifia le gros rongeur.
- Chef, vous êtes vraiment allé prendre toutes ces baies avec fouinette ? Demanda le ratentif.
- Oui bien sûr ! Il faut bien préparer le prochain hiver. D’ailleurs, à ce propos notre cachette à baies et bien en sécurité mon petit ? Questionna le « chef » en direction du ratentif.
- Oui chef, même si y a une humaine qu’est venue dans les parages à un moment. J’ai protégé la cachette comme j’ai pu... mais heureusement elle l’a pas trouvé ! Répondit le ratentif.
- Absolument parfait alors ! C’était par où déjà cette cachette ? Enchaîna le rongrigou.
- Hé bien c’était par l… CHEF ! OH NON ! »

Quelque chose d’autre de bien plus inquiétant se passa en arrière plan. Maintenant on entendit un brouhaha de bourdonnements. Ce ne fut alors pas un dardargnan qui apparut, ni même deux, mais plutôt trois !

Sans plus tarder les trois guêpes s’étaient mises à tourner autour du Jungko qui devait déjà commencer à contrer des coups de dards et à en esquiver d’autres. Mais à trois contre un il eut du mal à tout absorber et se fit d’ailleurs piquer à une ou deux reprises. Du renfort était nécessaire.

« Coupe-vent ! »

L’insécateur venait de provoquer une bourrasque avec ses ailes puis il fendit l’air à de nombreuses reprises avec ses lames. Une technique qui prenait du temps mais qui avait le mérite d’attaquer plusieurs ennemis à la fois. De nombreuses lames d’air se formèrent et se dirigèrent vers le jungko et les dardargnan.

« Détection ! »

Guevara se concentra et évita toutes les dards ennemis avec une souplesse et une rapidité fulgurante. Lorsque les lames d’air arrivèrent à destination ils s’accroupit même à quatre pattes et il sentit les lames passer au dessus de lui afin de trancher les insectes nuisible. Ils furent K.O aussitôt et le jungko se releva juste après. Pas le temps de souffler pourtant car une autre vague de guêpes fit son apparition. Elles étaient cinq à présent !

« Tsk c’est pas vrai… Guevara, déplace toi ! Nobunaga, va en attirer quelques uns de ton côté. »

Le jungko s’était mis à courir pour essayer de semer le groupe d’insectes qui s’étaient mis à sa poursuite, mais la tentative se révélait peut fructueuse. Le pokémon plante baissa la tête pour esquiver un dard, l’inclina sur le côté pour en esquiver un autre. Bientôt il fut tout de même épaulé par son camarade. L’insécateur bazarda la formation aériennes des guêpes pourchassant le lézard en surgissant à coup d’attaque cru-aile. Il toucha l’une d’entre elles qui fut directement au tapis. C’est alors que la formation se sépara en deux. Deux dardargnan pour chaque pokémon d’Elisabeth.

« Guevara, utilise reflet plusieurs fois ! Nobunaga attire les autres au dessus du lac ! »

Chacun d’eux avait séparé leur propre lot d’adversaire. Le jungko s’exécuta juste après en faisant apparaître une myriade d’images de lui-même. Les insectes ratèrent à de nombreuses occasions en touchant un faux jungko, et lorsque par chance l’une des guêpe tombait sur le vrai, Guevara se contentait de bloquer l’attaque. A présent Elisabeth n’avait plus à se préoccuper de son camarade de type plante, car elle savait qu’il pourrait gérer assez aisément la situation dans ce genre de configuration. Elle préférait plutôt porter attention à son insécateur.

Voilà qu’à présent la mante et les deux guêpes poursuivantes arrivèrent au dessus du lac. Le bourdonnement de leurs ailes faisait vibrer l’eau en surface, tandis que leur course laissait une légère traînée sur la surface provoquée par le déplacement d’air. L’insécateur dû faire quelques voltiges et acrobaties pour esquiver les dards de ses adversaires, ou alors il bloquait l’une des attaques avec ses lames. Un balais aérien féroce qui se poursuivit jusqu’au milieu du lac où les couaneton jusqu’à présent tranquilles durent s’envoler aussitôt en poussant des cris de frayeur ou de mécontentement, lorsque les insectes arrivèrent sur eux.

« Tranche sur l’eau pour les asperger ! »

Nobunaga perdit un peu d’altitude pour se rapprocher de la surface et trancha l’eau avec une lame. Une large éclaboussure apparut qui semblait sur le point de submerger ses adversaires. Les deux guêpes remontèrent à temps pour ne pas se faire mouiller intégralement mais le mal venait déjà d’être fait. Une partie de leurs ailes venait d’être mouillée et leur contrôle aérien fut plus chaotique qu’auparavant.

« Reviens maintenant ! »

La mante revint sur la terre ferme auprès d’Elisabeth et se posa finalement. Derrière lui les guêpes revenaient à une allure instable, comme des avions en manque d’essence. Ils bourdonnaient de façon erratique. Quand ils parvinrent au dessus du sol ils furent obligés de se poser. Une guêpe mouillée venait de se poser devant le trio de rongeur tandis que l’autre avait atterrit à proximité de Kalian. Incapables de voler convenablement, elles étaient moins menaçante mais cela restait quand même dangereux.

L’enseignante voulut donner un ordre à son pokémon chromatique pour secourir l’élève, mais sans crier gare ce fut un autre dardargnan qui sortit de nul-part, bien plus gros que les autres ! L’enseignante se mit à pester à cause de cet assaut répété de l’essaim. Quelque chose les avait vraiment mis en rogne mais elle ignorait quoi. Le Dardargnan dominant prit alors la mante comme cible. Elisabeth se renfrogna à cause de cette situation particulièrement gênante. Décidément ces trois rongeurs avaient amené de gros ennuis avec eux.

Il fallait réfléchir et vite. Avant qu’elle se décide à faire quoi que ce soit avec la grosse guêpe toute nouvelle, elle entendit un choc à proximité. Elle avait déjà oublié l’autre dardargnan mouillé qui s’était approché de l’adolescente et qui venait alors de la prendre pour cible. Mais contre toute attente ce fut Lancelot qui intervint entre la guêpe et la fillette, sauvant la situation in-extremis tel le chevalier héroïque qu’il était. Le poids de l’attaque casse-brique venait de coller cet insecte au sol. Le poireau du canarticho venait de l’écraser. Mais lorsque le volatile retira son arme, l’insecte se releva et essaya cette fois-ci d’asséner un coup au goupix. Son dard ricocha toutefois sur la bulle d’un abri et ce qui arriva sur lui juste après, il ne s’y attendait sans doute pas. Le furaiglon surgit en un éclair de derrière le goupix et il becqueta l’abdomen de l’insecte avec picpic pour l’achever. A présent Cette guêpe là était au tapis à son tour.

Kapal sembla alors tout d’un coup tellement confiant et remplis d’énergie qu’il s’envola en rase-motte vers l’autre dardargnan mouillé qui menaçait les rongeurs. Il enchaîna avec un autre assaut et utilisa alors une attaque qu’Elisabeth ne l’avait pas encore vu faire jusqu’à présent. Le dardargnan sur le point de piquer le rongrigou se retourna comme alerté. Les rongeurs suivirent son regard aussitôt. Ils virent tous un petit oiseau fondre sur son adversaire pour y asséner une attaque cru-aile de plein fouet sur la guêpe. Cette dernière tomba à la renverse, inerte et seulement parcouru de quelques spasmes au niveau des pattes.

« Oh chouette ça Kapal ! Déjà si fort ! »

Le furaiglon voleta d’une air enorgueilli par cette victoire opportune et revint aux côtés du goupix et du canartichot, un groupe de pokémon qui semblait visiblement s’occuper de la protection de Kalian. Lancelot semblait plus motivé et sérieux que jamais et Elisabeth remarqua à quel point le canartichot voulait se montrer efficace. L’enseignante ne put s’empêcher de se demander si c’était vraiment l’opportunité de protéger quelqu’un qui le rendait si efficace. Bon, même si c’était quand même le petit moment de gloire du furaiglon là. Mais quand même !

Le temps des réjouissances n’était pas encore là car Elisabeth, qui ne savait plus trop où donner de la tête à force, ne devait pas oublier son vieux camarade de type plante – qui semblait toujours gérer la situation de son côté visiblement avec ses reflets – et ce nouveau grand Dardargnan qui se jetait sur l’insécateur chromatique. Les deux pokémon se mitraillaient de coups de dards et de lames. Vraisemblablement cette guêpe semblait plus préoccupante. Il s’agissait sans doute d’un des majors de l’essaim ? Bref, une idée vint en tête à l’enseignante.

« Nobunaga, utilise Hâte et amène-le vers Guevara. »

La mante prit le temps de chauffer ses muscles mais en contrepartie il ne put esquiver un des dards qu’il se reçut au niveau d’une épaule. Un moindre mal car juste après il s’élança à tout vitesse vers son confrère de type plante, suivi par son adversaire. Juste avant qu’ils n’arrivent au point de rendez-vous, Elisabeth lança un ordre au jungko.

« Tomberoche ! »

Elisabeth faisait assez confiance à son ami de toujours pour utiliser au mieux l’ordre qui venait d’être lancé sans plus de précision. Une attaque très risquée mais qui valait le coup d’être tentée. Le Pokemon plante devait trouver le bon timing entre l’arrivée de la grosse guêpe et la position des deux autres qui le harcelaient jusque là. Mais il devait aussi éviter de toucher son collègue à la même occasion ! Si l’insécateur se prenait aussi l’attaque ce serait très douloureux pour lui aussi. Quand Guevara estima que le moment fut propice il s’exécuta. Il plaqua ses pattes avant au sol comme pour s’approprier l’énergie de la terre et c’est alors que des roches se matérialisèrent au dessus de ses adversaires, puis tombèrent en nombre. Chaque guêpe fut écrasée sous un rocher tandis que l’insécateur pu compter sur son gain de vitesse provisoire pour esquiver un des projectiles lui arrivant dessus.

Le calme revint alors. C’était terminé. Enfin ! A présent on pouvait voir plusieurs corps de dardargnan répandus dans les environs. Neuf au total. Elisabeth inspira un bon coup et s’épongea le front d’un revers de main.

« Fiou c’était intense… je déteste ces machins... »

Juste après les rongeurs semblaient de nouveau papoter.

« Chef, vous êtes pas allés chercher que des baies, hein ? Pourquoi y avait autant de ces insectes ?! Insista le ratentif l’air dubitatif.
- Hohoho ! Mais bien sûr que si, je suis persuadé que je n’ai pris que des baies. Oui oui ! Répondit le rongrigou gros comme une barrique.
- Chef ! Chef ! Y a un truc qui gigote dans votre queue ! S’exclama le fouinette.
- Oh ? Voyons-voir. Hmm Hmm ♫ »

Le gros rongeur fouilla un moment dans ce gros amas de poils et tandis qu’il fit dégringoler de multiple baies dans le procédé, il finit par sortir quelque chose de tout à fait différent. Un sorte de cocon de couleur jaunâtre. Un coconfort !

« Qu’est-ce que… tiens c’est amusant ça. Héhé ! S’amusa le chef.
- Bon sang chef ! Vous avez encore embarqué un pokémon dans votre queue sans le savoir ! S’emporta le ratentif.
- Hé ! Mais tu crois que je fais attention quand je pioche moi, mon petit ? Je fais vite-vite pour tout récupérer avant qu’on me repère. Se défendit le rongrigou.
- Alors euh… vous croyez que c’est à cause de ça qu’ils nous pourchassaient ? Intervint le fouinette.
- Aucun idée ! Et je veux pas savoir. Tiens, cadeau ! Dit le gros rongeur en lançant le coconfort vers le fouinette qui le rattrapa juste à temps.
- Ah ! Non ! Eurk ! Rétorqua la fouine en lançant le cocon cette fois-ci vers le ratentif.
- DAAAAH ! Vous êtes fous ! » S’épouvanta le ratentif en le jetant cette fois vers le rongrigou.

Ainsi Elisabeth observait d’un air exaspéré le coconfort passer un bon moment de mains en mains entre les trois rongeurs comme s’il s’agissait d’une patate chaude. Jusqu’à ce que finalement le rongrigou décide de le lancer beaucoup plus loin, comme s’il voulait faire une passe à Kalian. Sans doute qu’à ce moment le pokémon insecte s’énerva pour de bon car il semblait préparer quelque chose sous son cocon en train de se craqueler.

Serait-ce l’arrivée d’une nouvelle catastrophe ?

HRP:

Encore beaucoup à apprendre.

Un nouveau Pokémon émergea des buissons, me faisant sursauter. Un frisson me secoua toute entière, du sommet de la tête au bout des orteils, mais il ne s'agissait que d'un Ratentif. Décidément. Était-ce notre vieux copain, le rongeur énervé ? Je ne pouvais m'en assurer. Ces satanées bestioles se ressemblaient toutes. À moins d'en posséder une ou de noter un détail exceptionnel sur un spécimen, comme une cicatrice, impossible de les départager. Pour moi, du moins. D'autres y arrivaient peut-être. Ce Ratentif avait l'air mal en point et essoufflé, mais cela ne voulait pas dire que c'était le même. À en croire son arrivée fracassante, il fuyait quelque chose, comme les castors et les oiseaux de tout à l'heure.

Je ne pus me pencher davantage sur la question. Une seconde créature fendit les buissons. Une espèce de fouine, cette fois. Adorable. Adorablement exténuée, aussi, au vu de ses halètements. Je me sentis fondre en l'apercevant, mais un énième bruit retentit et l'angoisse reprit aussitôt ses droits sur mon corps.

Démarche lourde, craquements de branches et feulement de feuilles écartées sans ménagement. S'agissait-il enfin de notre prédateur ? Non ! C'était un putain de Rongrigou ! Énorme ! Pas au sens génial ou magnifique mais au sens propre, énorme. Obèse. Gargantuesque. Jamais je n'en avais aperçu d'aussi gros. Pourtant, à Galar, de nombreux écureuils de sa trempe tentaient de piquer les baies du jardin de mamie. Alpha et moi en avions vu passer de ces nuisibles ! Mais pas comme celui-ci, qui me semblait digne de fracasser des records.

Son arrivée fut suivie d'une conversation de rongeurs. Des baragouinages que seuls les Pokémon étaient en mesure de comprendre. Je les observai plus ou moins attentivement, puis cherchai le regard de l'enseignante afin de voir si elle était aussi perplexe que moi. Or bien vite, un bourdonnement s'éleva, captant toute mon attention.

Oh merde, un Dardargnan ! Je ne m'y connaissais pas des masses en insectes des autres régions, mais lui ? Tout le monde le connaissait. Ces bestioles étaient hargneuses et territoriales au possible. Attendez. Ne me dites pas que bouboule et ses camarades avaient osé le provoquer ! Par les crocs de Zamazenta ! Qu'avaient-ils bien pu faire pour l'attirer jusqu'ici ? Bonne question. Pour être honnête, je ne tenais pas particulièrement à le savoir, ni à m'en mêler.

Mais c'était sans compter le professeur Greenjaw, qui transmit un ordre à son Jungko. Argh, par Zacian ! Nous étions impliquées, maintenant ! Oui, nous. Je ne pouvais prétendre être une bonne dresseuse si je laissais tomber mes pairs, même s'ils étaient plus expérimentés que moi. Et puis zut, je n'allais tout de même pas me rouler en boule et pleurnicher ! Les demoiselles en détresse, c'était has been.

Étrangement, le combat fut rapidement bouclé. La guêpe était tout bonnement retournée d'où elle venait. Mouais… J'avais un mauvais pressentiment, là. D'ordinaire, les monstres comme lui attaquaient en groupe, non ? C'était du moins ce que faisaient les Apitrini lorsqu'on osait s'en prendre à leur reine. Ils avaient l'air mignons comme ça, mais ils pouvaient être féroces, mine de rien. Comme tous les Pokémon sauvages.

Deuxième session de charabia entre les trois mammifères et… je le savais ! Je le savais ! Trois guêpes nous faisaient face, maintenant !

— Par Zamazenta ! m'exclamai-je, aussi embêtée qu'anxieuse.

Je songeai à envoyer Alpha donner un coup de main au Jungko, mais Elisabeth me devança. De toute évidence, pour l'heure, ses Pokémon avaient la situation sous contrôle. Je me contentai donc d'observer cette lutte phénoménale entre les trois nouveaux venus et les deux compagnons de l'enseignante, qui les maniait à la perfection.

Je passai à un cheveu de me réjouir lorsque le Jungko se redressa, les trois Dardargnan mis hors d'état de nuire. Hélas, il ne s'écoula pas une minute que de nouvelles guêpes surgirent. Cinq. Elles étaient cinq, cette fois. Par les griffes de Zacian ! Le bourdonnement assourdissant de leurs ailes me firent frissonner.

— Tsk c’est pas vrai… Guevara, déplace toi ! Nobunaga, va en attirer quelques uns de ton côté.

La surprise que je ressentis s'afficha momentanément sur mes traits. Quoi ? Mais pourquoi les séparer ? Pourquoi ne pas les laisser s'associer et vaincre sur place, tout simplement ? Je compris en voyant les insectes pourchasser le pauvre Jungko. Puissant ou pas, il était en désavantage face au double type de ces monstres. À un contre cinq, ce serait pire, et ce même s'il attendait des renforts. Nobunaga vint rapidement à sa rescousse, faisant mordre la poussière à l'un des Dardargnan.

Quatre contre deux. Non. Deux contre deux. Le combat se scinda et prit une tournure homérique. Je me redressai instinctivement lorsque les trois insectes prirent le chemin du lac, le cœur battant à tout rompre. Admirative face à l'adresse de la prof et dépassée par la rapidité avec laquelle s'enchaînaient les événements, je tentais de tout voir et de tout comprendre. Mon regard basculait entre quatre scènes bien distinctes : Guevara qui assurait grâce à la capacité Reflet ; les trois bestiaux qui ne faisaient absolument rien pour lui venir en aide ; Alpha, toujours sur ses gardes devant moi ; et Nobunaga, qui menait tout un bal aérien ─ et aquatique ─ contre ses ennemis.

Curieusement, à ce stade, j'étais plus concentrée qu'angoissée. Un bon point, sans doute. Aucune idée. J'avais mené ma part de combats par le passé, mais tous avaient été égaux, même les affronts contre des Pokémon sauvages. Celui-ci était plus intense. Il était accablant. Tant mieux si je me découvrais attentive plutôt qu'effrayée. Je ne contribuais en rien, mais j'étais dans un bon état d'esprit. Au moins.

Au bout d'un moment, Elisabeth rappela sa mante auprès d'elle. L'Insécateur atterrit à ses cotés tandis que les deux guêpes voletaient péniblement vers nous.

L'une d'elles s'écrasa droit devant moi. Des perles d'eau se détachèrent de ses ailes translucides et m'aspergèrent légèrement. J'eus un mouvement de recul en le voyant d'aussi près. Ses yeux rouges ne trahissaient rien d'autre que la violence. La rage de vaincre dévorait ce Pokémon. Avec horreur, je le vis s'approcher davantage, usant de ses dards, pattes et ailes pour se propulser vers l'avant. De petits rochers détrempés roulaient sous son corps jaune et noir.

Je sentis soudain mon chignon lâche se défaire. Mes cheveux claquèrent contre mes épaules et frôlèrent mon visage en se libérant. Chiant, mais ce n'était pas le temps de se préoccuper de l'esthétique. Je carrai les épaules et inspirai un bon coup, prête à manier mon renard chromatique… Mais avant même que je puisse placer un mot, le poireau de Lancelot cloua notre adversaire au sol. Ah ouais, super ! Or dès qu'il ramena son arme végétale vers lui, la guêpe hargneuse se redressa et fondit sur Alpha.

« Abri ! » aurais-je dû crier s'il ne l'avait pas eu recours à cette attaque de lui-même, faisant montre d'une réactivité exceptionnelle. Après s'être buté au bouclier de mon Goupix, le Dardargnan eut droit à un puissant coup de bec de la part de Kapal. Une attaque Picpic bien placée.

— Magnifique ! m'exclamai-je, à la fois fière et soulagée. Merci, vous trois. Vous êtes de vrais guerriers !

Et Alpha qui pensait devoir protéger sa petite boule de plumes ! Voilà qu'elle nous étonnait tous en donnant le coup de grâce au Pokémon sauvage. Loin d'en avoir sa dose, le Furaiglon s'élança ensuite vers l'écureuil, la fouine et le rat pour leur prêter main forte.

Je notai alors la présence du mastodonte aux dards acérés qui harcelait l'Insécateur chromatique. Par Zacian, mais d'où est-ce qu'il sortait, celui-là ? Et Guevara qui se débattait toujours avec acharnement derrière ! S'il se mettait à pleuvoir des Dardargnan encore plus imposants, nous étions morts et enterrés !

— Nobunaga, utilise Hâte et amène-le vers Guevara.

Je repris mon rôle d'observatrice, curieuse et tendue à la fois. Ce satané combat allait-il s'achever un jour ? Naturellement, et avec tout autant d'intensité que le reste de son déroulement. L'Insécateur et son poursuivant fusaient à vitesse grand V vers la mêlée lorsque la prof balança un dernier ordre :

— Tomberoche !

Je retins mon souffle. S'il fallait que l'attaque atteigne la mante… Mais non. Elle pulvérisa toutes les guêpes encore debout sans toucher à une lame de l'Insécateur chromatique. Le silence revint. Était-ce terminé ? Vraiment terminé ? Apparemment. Les neufs Pokémon Guêpoison étaient disséminés de part et d'autre, défaits. Je pouvais respirer.

— Fiou c’était intense… je déteste ces machins...
— Je… Vous avez assuré, c'était magnifique ! complimentai-je.

Peut-être aurais-je dû avoir honte de ne pas avoir contribué, mais ce n'était pas le cas. Enfin… Pas vraiment. Pas trop. Je songeais plutôt à cette ultime attaque, cette façon de jouer le tout pour le tout, et me demandais si j'aurais à mener de tels combats un jour. Aussi intenses, aussi exigeants. Sans doute. Le chemin que j'avais décidé d'emprunter impliquait d'affronter des monstres de plus en plus puissants, jusqu'à ce que je sois digne de réaliser mes rêves.

— Désolée de ne pas avoir été plus réactive, m'excusai-je tout de même.

C'était la moindre des choses. Elle m'avait bien intimé de reculer en percevant la menace, mais ça ne changeait rien. Je n'avais pas eu l'occasion ─ ou n'avait pas saisi l'occasion, ce qui était encore pire ─ de lui venir en aide. Pas que son équipe en eût réellement besoin, au contraire. Tout de même, je ne pus m'empêcher de me trouver légèrement décevante. Seul point positif de cette histoire : j'avais pu observer les bons réflexes de mon Goupix. Je le savais rusé et docile, mais là, franchement, il m'impressionnait.

Les simagrées des rongeurs captèrent mon attention et me ramenèrent au moment présent. D'abord relativement calme, leur conversation prit soudain une tournure agitée. Ils commencèrent alors à… se lancer quelque chose ? Un machin jaunâtre passa des pattes du Rongrigou à celles de la fouine, avant de trouver les menottes du Ratentif, et ainsi de suite. Ils se l'échangèrent pendant quelques secondes, jusqu'à ce qu'il atterrisse de nouveau entre les énormes pattes du Rongrigou… qui le projeta vers moi.

Je compris alors, et sentis les couleurs évacuer mon visage. Un Coconfort. Il venait de me lancer un Coconfort à la tronche. L'espace de quelques secondes, le temps sembla ralentir. Des particules jaunes se détachèrent du cocon et se répandirent dans l'air. Un dard blanc comme neige en émergea. Le reste de la coquille éclata soudain, dévoilant un dixième Dardargnan aux yeux écarlates. Et pas une petite bestiole, non ! Un monstre !

Un monstre bien décidé à me pourfendre des dards qu'il tendait devant lui tels des dagues aiguisées. Par Zacian ! La voilà, ma contribution.

— Alpha, Flammèche ! Vise les ailes !

Une gerbe de feu fusa de la gueule du renard. Elle manqua de peu les ailes transparentes de la guêpe, mais la déstabilisa ; dans un bourdonnement de fureur, elle changea de trajectoire, puis abandonna l'idée de me transpercer pour attaquer mon Goupix. Rapide comme une flèche, elle le chargea.

— Sers-toi de Vive-Attaque pour esquiver et enchaîne avec Flammèche.
— Pix !

Il bondit de coté et tenta à nouveau de happer l'ennemi de ses flammes, sans succès. Nul besoin de lui dire de recommencer : une succession de coups de dards, d'esquives et d'attaques brûlantes s'enclencha. Ce manège répétitif dura un moment, sans qu'aucun des deux monstres ne parvienne à prendre le dessus. La force brute et la vitesse de la guêpe se butaient aux parades vives de mon Goupix, suite de quoi sa propre vélocité la protégeait du feu.

Enfin, l'occasion de gagner du terrain se présenta. Agacée de ne pouvoir embrocher sa proie, la guêpe poussa sur sa vitesse. Elle piqua vers le canidé qui se propulsa hors d'atteinte d'un bond leste. Lancé à toute allure, incapable de ralentir, le Dardargnan le dépassa. Alpha en profita pour viser le dos et cette fois, il fit mouche. Un trait de feu toucha la partie inférieure du corps de l'assaillant.

— Oui ! Bien joué !

Le dard jaune du Pokémon était intact, tout comme ses autres défenses venimeuses, mais il avait été touché. On l'avait eu, c'était l'essentiel. Des marques noires couvraient désormais ses rayures ainsi que l'une de ses pattes inférieures.

Évidemment, l'insecte entra dans une colère sourde. Ses attaques se firent plus rapides et plus rapprochées, laissant à peine le temps à mon Pokémon de respirer avant de revenir à la charge. À ce rythme, Alpha finirait par épuiser sa réserve d'énergie. Ses Vive-Attaque semblaient déjà moins efficaces que les précédentes et ce même s'il ne s'en servait que pour se déplacer.

Oh non. On n'aboutirait à rien comme ça. Il fallait absolument changer de tactique. Je savais quoi faire, comment gagner. C'était évident : pour l'emporter, nous devions clouer l'ennemi au sol. Mais comment ? Il se décalait adroitement dès qu'on le bombardait de flammes. Impossible de lui cramer les ailes. À moins que…

Ah, mais bien sûr ! J'avais la réponse sous les yeux depuis le début !

— Alpha, cesse de bouger et concentre-toi.
— Gou !

Le cœur affolé comme un Némélios en cage, je guettai le moment où, en principe, les dards de la bête s'enfonceraient dans le pelage doré de mon Goupix. Ce serait une question de secondes, comme ça l'avait été face au Ratentif malcommode. Je ne pouvais pas me permettre de rater mon coup.

— Maintenant, Abri !

Un bouclier invisible se matérialisa devant Alpha, qui se tint prêt à enchaîner. Les dards blancs de la guêpe ricochèrent dessus avec fracas. Ses pattes s'écartèrent et son corps percuta la bulle protectrice à son tour. Tout son être fut secoué par cet impact, qui produisit une espèce de vibration sonore très désagréable. Je tressaillis.

— Frappe-le avec Vive-Attaque !

Alpha se ramassa sur lui-même, bondit en avant et asséna un superbe coup de tête au Dardargnan. L'énorme bestiau partit en arrière et dérapa sur le sol. Il était à terre. Il était à terre ! Enfin ! Pas de temps à perdre, il fallait profiter de sa vulnérabilité !

— Flammèche !

Sonnée par la dernière attaque reçue, la guêpe, qui s'était redressée, peinait à prendre son envol. Les poings et la mâchoire serrés, je suivis les flammes des yeux. Dans un éclat de rouge et d'orange, elles heurtèrent les ailes situées du coté gauche de son corps, qui en ressortirent noircies et fumantes. Le Pokémon adverse était brûlé.

En guise de riposte, le Dardargnan se pencha, prit appui sur ses piques et balança son corps en avant. Il orienta son dard jaune vers Alpha, qui eut droit à une colossale attaque Sécrétion. Des fils de soie engluèrent son torse, ses pattes avant et sa gorge. Pas de quoi l'étouffer, mais il était clair que ses mouvements en seraient salement affectés. Avec ça, impossible de décocher un autre coup au Pokémon Guêpoison. Mais tant que sa gueule était dégagée, on pouvait l'abreuver de Flammèche. D'ailleurs…

— Utilise Entrave, ordonnai-je.

Alpha s'exécuta, toisant l'insecte avec intensité pour le dissuader de recommencer. Pendant quelques secondes, le concerné sembla déboussolé, comme s'il avait oublié jusqu'à l'existence de la capacité Sécrétion. Il parvint néanmoins à reprendre contenance et… et ce fut le cauchemar.

Déterminé à ne pas recevoir de nouvelles flammes, le Dardargnan se précipita contre mon renard. Comment avait-il pu le rejoindre aussi vite en dépit de ses blessures et brûlure, ça, je l'ignorais. L'énergie du désespoir, sans doute. Dans tous les cas, il y arriva, le bouscula et planta l'un de ses dards dans son flanc.

— Guh ghh… Pix !
— Non ! Alpha ! m'écriai-je, paniquée.

Je ne vais rien vous cacher. Pendant un moment, la seule chose que j'eus envie de faire, ce fut accourir vers la mêlée et flanquer un bon coup de pied à ce Pokémon qui venait de blesser le mien. Le briser, l'envoyer dans la flotte, n'importe quoi. Et tant pis pour les conséquences. Tant pis pour la morale. La complainte de mon renard m'avait tordu le cœur. Jamais je n'éprouverais la moindre sympathie envers cette guêpe. Jamais.

Mon Goupix en décida autrement. Dans sa gueule entrouverte s'accumulèrent des braises rougeoyantes, jusqu'à ce qu'il devienne difficile de discerner ses traits, estompés par la chaleur et la lumière. Puis il déploya son attaque Calcination comme ça, à bout portant, contre l'insecte. Son corps carbonisé fut projeté sur une courte distance, se heurta à un rocher et termina sa course plus loin. KO. Enfin.

Les pattes de mon starter se dérobèrent brusquement sous lui. Je me dépêchai de le rejoindre et me jetai à genoux à ses cotés, me souciant peu de maculer mon jean de terre. Le dard du Dardargnan était resté coincé dans la peau d'Alpha. Une onde de peur, telle une décharge électrique, me traversa. Je ne pouvais pas le laisser comme ça.

— Je suis là, t'en fais pas. Attends…

Sans trop réfléchir, je me débarrassai de mon sweatshirt, l'enroulai autour de ma main et empoignai le dard. Je tirai d'un coup sec, ramenant ma main enrobée vers moi, puis éjectai l'aiguille en direction du lac. Elle fendit la surface de l'eau dans un « plouf ! » sonore et coula. Mon sweat tomba mollement à mes cotés. C'était sans importance. Plus rien n'avait d'importance, hormis Alpha.

J'angoissais. Il était clairement empoisonné, je n'avais pas d'antidote et pire, je me demandais si j'avais posé le bon geste. Et si j'avais empiré les choses, au contraire ? J'avais la gorge nouée, les mains tremblantes et une espèce de grésillement dans les oreilles. Tout mon être démangeait de me lever et de faire les cent pas, comme si bouger me communiquerait la solution. Du calme, ça ne pouvait être si grave que ça. Mon renard ne saignait même pas. Le dard n'avait pas été enfoncé trop profondément. Qui plus est, j'avais quelques options sous le bras. Je pouvais le reconfiner dans sa ball et l'emmener au Centre Pokémon, comme je pouvais… Comme je pouvais… Je séchais. Ce n'était pas la première fois que je m'inquiétais pour Alpha, mais c'était la première fois que mes craintes prenaient de telles proportions. Incapable de me décider ou d'agir, je me contentai de lancer des regards nerveux aux alentours. Le point d'eau, les guêpes, le poireau, Lancelot et… et Elisabeth. Ah oui, peut-être que… Sans doute que…

— Dites, vous… je dus m'éclaircir la gorge avant de poursuivre : …vous n'auriez pas une baie pêcha, par hasard ?

Je levai la tête pour la regarder, les prunelles envahies de désespoir, de crainte, d'angoisse ─ bref, de quelque chose de cet acabit. Puis je coulai un regard noir aux trois rongeurs. Au Rongrigou, plus précisément. Si l'enseignante n'avait pas de baies pêcha à sa disposition, lui en aurait. À ce moment précis, l'idée de lui tomber dessus comme une tonne de briques pour lui arracher un fruit curatif ne me dérangeait pas le moins du monde, au contraire.

De la tempête de mes émotions surgit une pensée, un écho subtil. Nous avions gagné.

Toutes les victoires n'étaient pas douces, apparemment.

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