L'emolga mélomane ! [PV: Elincia]

Le printemps qui arrive à sa fin, c’était la parfaite occasion pour se réchauffer la voix ! A force de voir la neige, la pluie, le froid, les cordes vocales d’Oskar avaient commencé à bien rouiller. Bon, on va pas aller jusqu’à dire que quand elles sont comme il faut le résultat est fantastique, mais au moins ça en devient bien plus écoutable. Mais, au cas où, mieux valait s’entrainer dans un endroit un peu isolé. Dans sa chambre ? Par Arceus, vous déconnez ! Y’a moins d’isolation entre chaque mur de l’internat qu’entre deux tranches de brioche ! Ouais je sais, mes comparaisons puent un peu, mais j’ai faim…

Dans tous les cas, l’île était suffisamment grande pour trouver un coin pénard facilement ! Surtout quand tout le monde profitait du retour des beaux jours pour se dorer la pilule à la plage ou faire des longueurs à la piscine du gymnase. Oskar, lui, il était pas comme ça. Oskar, lui, quand il fait chaud il va là où y’a personne, au lac ! Hmm… Comment ça les gens vont aussi se baigner au lac ? Bah évidemment, mais c’est pas moi qui décide hein ! C’est lui le débile dans l’histoire ! Mais bref, toujours est-il qu’il y est allé, à son lac, pour évidemment y trouver toute une ribambelle de camarades et de pokémons qui profitaient de l’eau pour se rafraîchir un brin. Ça lui donnait même envie de les rejoindre, tout d’un coup, à Oskar. Mais il avait trimballé sa gratte jusqu’ici, c’était pas pour s’en servir de planche.

Par chance, le lac était pas petit, et il y avait quand même des endroits un peu moins fréquentés, voire pas du tout. A part par les pokémons, évidemment, mais Oskar s’en fichait un peu de leur jugement, à eux, tant que la réputation de casserole courait pas dans les couloirs de l’académie, les pokés pouvaient bien en penser ce qu’ils veulent ! En parlant de poké, le ptyranidur d’Oskar était bien content de pouvoir s’éloigner de son dresseur le temps qu’il pousse la chansonnette. Il était parti s’amuser dans le sable de la mini-plage qu’on pouvait voir au bord du lac. Ça restait un pokémon roche hein, imaginez pas qu’il irait faire trempette.

Mais passons ! Oskar était prêt, sa guitare devant lui, le cul posé sur le premier caillou pas trop pointu qu’il avait trouvé, et il commença à donner de la voix. Et pas avec la chanson la plus simple, en plus. « La Foule », d’Edith Piaf, voilà ce qu’il chantonnait. C’était une zic qui lui trottait dans la tête depuis un bail, et c’était bien l’occasion de la laisser sortir. Après, étonnement, il se démerdait pas mal. Bon, il exagérait un peu sur les intonations, mais au moins il se gourait pas dans les paroles, pis la mélodie à la gratte rendait pas mal. Oskar était content de lui, et même persuadé que si Bobby était resté avec lui il aurait bien kiffé. M’enfin, moi j’irai pas aussi loin.

Pis, bizarrement, le karma était de son côté aussi. Avec la poisse qu’il avait, on aurait vite pu imaginer qu’à la seconde où il aurait joué les premières notes, un bon gros groupe d’étudiants seraient sortis de la forêt pour se baigner pile à l’endroit qu’il avait choisi pour s’isoler. Rigolez, mais ça lui est déjà arrivé. On comprend la méfiance d’un coup. Mais là, que dalle, même pas trop de pokémons. Y’avait quelques nirondelles qui piaillaient dans un arbre à côté, allez savoir s’ils étaient pas en train de l’engueuler, mais sinon rien de notable.

Oskar continua donc sa petite chansonnette. Il s’arrêta en plein milieu parce que les paroles du second couplet lui revenaient plus, mais il était là pour faire ce genre d’erreurs t’façon. Mieux valait les faire maintenant que devant des gens. Il s’arrêta aussi une deuxième fois pour vérifier que Bobby était pas parti pour boire la tasse dans le lac. Mais nan, il était toujours là, en train de creuser le sable à la recherche de va savoir quoi. C’était une belle journée quand même, voilà ce qu’il se disait l’Oskar en finissant « La Foule », et il avait pas spécialement tort.

À gauche ! À droite ! Redresser… redresser… REDRESSER ! Ouf, juste à temps. L’avion de chasse en devenir frôla de peu la cime d’un noisetier solitaire, emportée par une bourrasque incontrôlée. Pas sûr qu’elle ait eut sa meilleure idée aujourd’hui…

Sa maitresse étant occupée pour une bonne partie de la journée, Elincia, comme à son habitude, profitait de son temps libre pour parfaire ses compétences afin de servir au mieux dès sa "pause" terminée. Il ne fut donc pas étonnant de la voir s’entrainer à utiliser Vent Arrière aussitôt après qu’on la lui ait enseignée. Dans cette optique, l’Emolga avait eu l’idée du siècle : puisqu’elle n’arrivait pas à faire deux mètres sans rentrer dans un mur à cause de cette vitesse inhabituelle, elle avait grimpé aussi haut que possible avant d’activer sa capacité : au sommet de l’académie, là où rien n’empêcherait son envolée. Ainsi perchée sur le toit du monde d’où elle percevait la majorité des environs, elle s’était sentie à la fois grande et minuscule. Minuscule, lorsqu’elle fixait cet infini s’étendant jusqu’à l’horizon. Grande, lorsqu’elle s’élança en s’imaginant y parvenir d’un simple bond.
À peine eut-elle décollé les pieds en déployant ses membranes que le vent l’emporta. Trop préoccupée par l’idée de garder l’équilibre, Elincia en oublia de regarder où elle se rendait et laissa le hasard la guider. Elle esquissa même un début de sourire en franchissant la barre imaginaire des dix secondes et profita du frisson de la vitesse. C’était comme si elle volait pour la première fois… Une deuxième fois.
C’est en croisant brièvement un banc de Goélises soufflé sur son passage qu’Elincia réalisa la distance parcourue en quelques minutes. Le vent faiblissait à peine, et maintenant qu’elle y pensait, tous ses muscles la picotaient tant elle était restée tendue par l’inquiétude. Elle risqua un coup d’œil en arrière : l’académie n’était plus qu’une modeste baraque visible au loin. Oh… Comment allait-elle revenir ? Habituellement, ça lui prenait une bonne heure de franchir une telle distance, et en s’activant ! Entre les arbres à éviter, l’épuisement et le vent plus ou moins coopératif… intérieurement, elle espérait qu’aucun imprévu ne nécessiterait sa présence aux côtés de sa maitresse.
Bref, c’était bien beau d’envisager un retour, mais encore fallait-il qu’elle parvienne à s’arrêter ! Le vent soufflait toujours, bien que moins puissant, et tourner était déjà une épreuve en soi. L’Emolga repéra un lac en contrebas : l’occasion de planer en douceur avec une destination moelleuse en cas de panique. Néanmoins, si elle pouvait éviter le bain, ce serait mieux ! Il faisait plein soleil, mais ce n’était pas une raison.
Elle dévia son vol plané sur le côté afin de perdre de l’altitude petit à petit tout en se dirigeant vers sa destination, plus confiante qu’au début. Tiens ? À ce niveau d’énergie, Vent arrière devenait plus gérable. Peut-être avait-elle un moyen de lancer une attaque initialement moins puissante pour s’entrainer ?
Enfin, suite aux dernières manœuvres d’une planeuse habituée, ses pattes touchèrent terre… un peu trop vite à son goût. Déséquilibrée par cette erreur de calcul, l’Emolga rabaissa ses membranes d’un mouvement brusque, les mains en avant et trébucha aussitôt en un roulé-boulé maladroit. Elle se redressa aux abords du lac, les doigts dans l’eau tandis que le reste de son corps en réchappait de justesse. Eh bah, quelle aventure ! Pouvait-on qualifier cette tentative de réussite ? Cette question s’imprégna dans son esprit tandis qu’elle détachait la sacoche de son dos pour la porter en bandoulière et réajustait son collier métallique. L’idée du retour la faisait soupirer d’avance, à croire que son enthousiasme s’était noyé à l’atterrissage. Elle avait besoin d’une pause…

Son regard balaya les alentours à la recherche d’un coin reposant. Les abords du lac attiraient quelques envieux en cette période revigorante. Des humains qui jouaient, au loin. Des Pokémon qui s’abreuvaient, un peu plus proches. D’instinct, elle chercha à s’éloigner de ces foules afin de trouver le repos, elle avança donc dans la direction opposée. Mais à sa grande surprise, d’autres humains semblaient avoir eu la même idée qu’elle. Elle en entendait un crier, pas loin ! En revanche, c’était assez étrange : personne ne lui répondait. Un peu comme s’il se disputait avec lui-même !
Cet homme bruyant n’étant pas propice au repos, Elincia voulut le contourner en longeant le lac. Malheureusement, elle repéra un Pokémon qui s’amusait dans le sable sur sa route. Et à le voir broyer du sable de sa mâchoire puissante, elle n’avait aucune idée de devenir son prochain partenaire de jeu. Qu’est-ce qu’il pouvait bien faire autour d’un lac, lui, d’ailleurs ? Souhaitant éviter la brute, Elincia préféra donc contourner le dresseur fou en passant dans son dos.

Toutefois, plus elle se rapprochait des cris, plus elle discernait une certaine forme de mélodie dans ce qu’il racontait. C’était étrange… Quel genre d’humain se disputait à grand coup de vocalises ? D’ailleurs, d’étranges pincements de cordes rythmés l’accompagnaient, eux aussi plutôt mélodieux. Un peu comme les notes jouées par sa maitresse sur son violon, mais en moins aigues et moins… liés ? Difficile d’expliquer pour une néophyte comme elle, elle découvrait seulement cet univers qu’était la musique. Il portait devant lui une boite en bois avec un grand manche. Une version géante du violon de sa maitresse, reconnut-elle une fois assez proche. Mais au lieu d’en jouer avec une branche dans la main, il s’attaquait directement aux cordes de ses doigts !
C’était bien de la musique que faisait ce jeune homme. Elincia se surprit à s’arrêter dans son dos pour l’écouter, perplexe devant un tel spectacle. Elle ne le reconnaissait pas, mais peut-être faisait-il partie des élèves de sa maitresse ? La vieille Mme Greil, l’une des professeurs de musique de l’académie, enseignait depuis plusieurs années à Gakuen, ce ne serait pas étonnant.

Oh ? Il s’arrêtait. Étrange, la fin de sa musique paraissait bien abrupte. D’habitude, lorsque Mme Greil finissait ses musiques, tout le monde le comprenait et applaudissait. Même elle, elle parvenait à sentir qu’une musique s’achevait. Il y avait ce côté douceur, ou soudain, ou… en fait, plein de choses différentes. Comment expliquer un simple ressenti ? C’était presque magique, à ses oreilles.
Ah, il reprenait ! La même chose ? Ce n’était donc pas fini. Oh, et voilà qu’il s’arrêtait à nouveau pour jeter un coup d’œil en direction du sable. Décidemment, c’était une bien étrange musique qu’il jouait là !

Alors que le silence s’installait sur une énième interruption, bien plus naturelle et finale cette fois-ci, une drôle d’idée lui vint en tête : est-ce qu’elle pouvait le faire, elle aussi ? Sa maitresse lui avait, certes, donné une flûte, mais tout comme Mme Greil ne se limitait pas au violon, Elincia devait s’ouvrir à d’autres possibilités !

— Emo… Moooo ! Ga.

Oups, malgré son engouement généreux, ses cris ne ressemblaient pas du tout à ceux de l’humain. Pourtant, elle avait essayé de répéter les sonorités entendues précédemment ! Mais que voulez-vous… on ne s’improvise pas chanteuse du jour au lendemain. Les mains sur sa bouche, elle rougissait, honteuse. Elle espérait presque que l’humain, qui lui tournait toujours le dos, ne l’avait pas entendue. Pourtant, poussée par la curiosité, elle retenta, plus discrète et la bouche toujours camouflée par ses mains :

— Moooo…

Non, décidément, elle ne l’avait pas. Plus grave ! Hélas, elle était déjà bien trop grave pour son timbre de voix. Peut-être devrait-elle attendre que l’humain reprenne pour essayer en même temps que lui ?