Petit insecte, défi titanesque ! [SOLO ❀ Capture ❀ Terminée]

Petit insecte, défi titanesque !

Je passai mon inventaire en revue pour la seconde fois, un poing sous le menton, la mine concentrée. Une gourde remplie d'eau de source, une bouteille de jus de baies (non médicinal mais tout de même apprécié des Pokémon), un sachet de noix mélangées, des croustilles de légumes, un canif, des pansements, de l'onguent pour soigner les petites coupures et les brûlures, des allumettes, une seconde paire de chaussettes, des gants, des croquettes pour mon Goupix, sa Pokéball au cas où, la Filet Ball achetée dernièrement et enfin, les encombrants habituels : mon trousseau de clefs, mon porte-monnaie, mon Pokédex, mon Vokit et quelques produits d'hygiène féminine.

Le compte était bon. Je rangeai soigneusement le tout ─ exception faite des deux balls, de mon Pokédex, de mon Vokit et de mes clefs, destinés à mes poches ─ dans un sac que j'avais sélectionné exprès pour cette balade en forêt. Ce n'était pas un monstre comme on en emportait en camping ou sur les routes, mais ce n'était pas un vulgaire sac à dos non plus. Il était doté d'un nombre respectable de compartiments et conçu pour ne pas peser trop lourd sur les épaules ─ à condition de bien répartir le poids de ses affaires, évidemment.

Mes effets personnels bouclés, j'attachai mon Vokit à mon poignet, chaussai des bottes de randonnée et enfilai mon sweatshirt préféré. Noir avec des bandes rouge et blanche sur les manches, assez confortable et relativement chaud. Je me passai également un coupe-vent muni d'un capuchon avant de glisser Alpha sous mon sweat.

— J'attrape mon sac et on y va ! annonçai-je, un sourire dans la voix.

Douce exclamation de bonheur de la part du Goupix. Mon Pokémon faisait toujours dans la discrétion. Pas un grondement plus haut que l'autre, pas un geste brusque ou disgracieux. Sauf en combat, naturellement.

Je sortis de ma chambre à pas de Lougaroc et verrouillai derrière moi. Tout en descendant les escaliers, je me demandai si certains de mes camarades de classe étaient debout eux aussi. Nous étions samedi et le cadran digital de mon Vokit affichait sept heures vingt-quatre du matin. Il devait bien y avoir quelques lève-tôt dans cette académie, non ?

Dehors, le soleil en pleine ascension baignait les environs de sa lumière. Il colorait d'or ce qu'il touchait, magnifiant les arbres qui se déclinaient dans tous les tons de vert et de brun imaginables. La brise soufflait doucement et l'air était chargé du parfum de la terre encore froide. Un matin de printemps comme je les aimais, d'une fraîcheur annonçant un après-midi confortable.

Je cheminai vers la forêt en emplissant bien mes poumons d'oxygène, un sourire aux lèvres. Cela faisait maintenant une semaine et des poussières que j'étais arrivée à l'académie et je m'intégrais paisiblement. Les cours étaient intéressants, alternant entre pratique et théorie pour rejoindre un maximum d'élèves. J'avais pris pas mal de notes manuscrites ces derniers jours, histoire d'aborder la matière en douceur, mais je comptais bien participer plus activement aux prochaines leçons. J'avais même eu droit à un premier devoir : affronter un Pokémon du même type que le mien et faire un compte-rendu écrit de ce combat pour lundi matin. Le but ? Observer comment d'autres dresseurs ou Pokémon sauvages jouaient des mêmes capacités que les nôtres et en tirer de nouvelles idées. Très inspirant et enrichissant tout ça ! Une fenêtre ouverte sur le plein potentiel de nos Pokémon.

J'avais décidé de faire d'une pierre deux coups et de partir en quête d'un Pokémon que je convoitais depuis longtemps : Pyronille. Je rêvais de sa sublime évolution depuis que je l'avais aperçue dans un documentaire sur Pokétube. Documentaire qui s'était lancé tout seul à la fin d'un tutoriel de beauté, d'ailleurs. Enfin.

Au bout d'une demi-heure de marche, je décidai de quitter le sentier pour m'enfoncer plus loin dans la nature. Le terrain devint tout de suite moins praticable : les arbres poussaient plus près les uns des autres et se chaussaient de plantes et de buissons pour cacher leurs énormes racines. À l'ombre, de petits amas de neige résistaient toujours à la chaleur en éveil. Progresser là-dedans demandait de l'endurance et de la concentration, mais le jeu en valait la chandelle. Les espèces de Pokémon sauvages étaient plus nombreuses et variées ici. J'aperçus plein de monstres qui m'étaient jusqu'alors inconnus : Cerfrousse, Keunotor, Vivaldaim, Papilord, Fouinar, Teddiursa… À ce rythme, mon Pokédex ferait des étincelles avant la fin de la journée !

Plus loin, ce fut au tour d'un Étouraptor d'apparaître. Perché sur un rocher, il se contenta de nous regarder passer sans bouger la moindre plume, ne nous suivant que des yeux. Son attitude était aussi intrigante qu'intimidante ─ j'avais l'impression de faire face à une entité protectrice, chargée de garder la forêt. Je ressentis une curieuse forme de respect pour ce Pokémon qui respirait la force et la sagesse.

Je poursuivis mon chemin, guettant le moindre signe du Pokémon convoité, m'attardant à certains endroits pour souffler ou admirer le décor. Ma montre indiqua bientôt dix heures, et toujours aucune trace de Pyronille. J'avais vu passer presque tous les insectes natifs de Sinnoh et même quelques bêtes de Kanto, Hoenn et Alola, mais rien en provenance d'Unys. Rien de ma région non plus, même si celles-là, je ne les cherchais pas vraiment.

Atteignant une petite clairière, je déposai mon sac aux pieds d'un grand rocher plat. J'en soutirai ma gourde et but longuement avant d'offrir quelques lampées d'eau à mon Pokémon. Alpha n'ayant presque pas bougé, il ne fit que tremper sa petite langue une ou deux fois avant de détourner la tête, satisfait. Le soleil irradiait enfin de son agréable chaleur et je pus me débarrasser de mon coupe-vent, que j'étendis sur la roche avant de me hisser dessus. Mon Goupix se dégagea alors de mes vêtements et se coucha contre ma cuisse, sur laquelle il posa la tête. Je caressai distraitement ses petites oreilles.

Je n'allais pas tarder à redescendre pour grignoter une ou deux arachides, mais avant, je tenais à laisser mes muscles se reposer. Athlétique ou pas, des heures de randonnée dans les bois, c'étaient des heures de randonnée dans les bois : épuisant, en particulier pour les cuisses et les mollets. Je fermai les yeux et me délectai de la brise fraîche un moment.

— Pix ? lâcha soudain Alpha en se redressant, m'extirpant de ma détente.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je, sourcils froncés.

Ce n'était pas dans sa nature d'être interpelé par quoi que ce soit. L'observant attentivement, je notai que son museau remuait. Il flairait quelque chose. Je tentai de l'imiter, consciente que son sens de l'odorat valait cent fois le mien mais curieuse tout de même. Une vague odeur de feu traînait dans l'air. Pas de fumée en vue, par contre. Bizarre. Peut-être des flammèches ou des étincelles ? Quelque chose de mineur, en tout cas.

— Oui, ça sent un peu le brûlé, confirmai-je, intriguée. Tu penses être en mesure de suivre cette piste olfactive jusqu'à sa source ?
— Goupix, pix !

Il bondit gracieusement au sol et attendit que j'en fasse de même avant de s'élancer. Je le suivis sans la moindre hésitation, abandonnant stupidement mon bagage derrière moi. Laisser ses affaires sans surveillance et sans aucun moyen de les retrouver, c'était l'une des pires choses à faire en randonnée. Ne faites surtout pas ça à la maison.

Je talonnai mon renard chromatique sur quelques mètres, galérant bien plus que lui sur le terrain. Mes bottes étaient lourdes, des branches se tendaient sournoisement pour déchirer mon sweatshirt et des racines toutes aussi mesquines menaçaient de me faire tomber. Pendant ce temps, Alpha avançait sans le moindre mal, comme s'il flottait au-dessus de tous ces obstacles naturels. Il s'immobilisa soudain, si brusquement que je faillis trébucher dessus, et s'assit.

Devant lui s'étendaient de drôles de lignes noires ─ des pans d'herbe et de terre calcinés. Des empreintes rondes creusaient le sol autour de ces démarcations. Un Pokémon était vraisemblablement passé par là en traînant une flamme ou un tout autre élément brûlant par terre. Un Salamèche ? Impossible. Leurs pattes étaient beaucoup plus grandes et pourvues de griffes. Ça, c'était tout petit, comme…

— Des pattes d'insecte ? Alpha, il faut absolument qu'on le retrouve ! C'est peut-être notre Pyronille ! m'écriai-je, incapable de refouler mon excitation.

C'était forcément un Pyronille ! Par les crocs de Zacian, faites que ce soit un Pyronille ! Après tant de mois à l'observer derrière mon écran… Tous ces fantasmes, ces rêves de l'intégrer à mon équipe… J'avais déjà le surnom parfait pour un spécimen femelle en tête et quelques idées pour un mâle, aussi…

Malheureusement, nous ne trouvâmes pas de Pyronille en suivant toutes ces traînées noires. Il s'agissait plutôt d'un…

— GRILLEPATTES ? COOL !

Ce n'était pas un Pyronille, certes, mais c'était un excellent Pokémon. Il suffisait de voir le Scolocendre de Kabu en action pour s'en rendre compte ─ et je ne disais pas ça que parce qu'il s'agissait de mon idole, bien au contraire ! Ces insectes devenaient assez forts, rapides et polyvalents quand on savait les entraîner.

Le Pokémon Calorifère pourchassait activement un Statitik, qui peinait de plus en plus à l'éviter. Son espèce de fourrure jaunâtre portait des marques évidentes de brûlure et la petite bête semblait épuisée. Elle posa ses prunelles bleues sur moi. Je pus y lire un mélange d'espoir et d'abandon qui me chamboula toute entière. Enfin, profitant de l'inattention du Grillepattes, surpris par mon arrivée des plus subtiles, elle se carapata.

…Oups ?

— …pattes ? PATTES !

Ouais… la surprise passée, il ne semblait pas très content de nous voir. Après tout, on venait de l'interrompre en plein combat. La tique électrique était-elle destinée à aboutir dans son estomac ? Venais-je de le déranger en pleine séance de chasse ?

L'insecte flamboyant observait mon Pokémon comme s'il hésitait entre lui foncer dessus et l'ignorer royalement. Au final, il ne fit ni l'un, ni l'autre : il lui décocha une gerbe de feu, convaincu de pouvoir l'atteindre sans anicroche. Il ignorait cependant que mon Goupix possédait le talent torche ─ ses flammes alimentèrent donc les siennes. Quelques braises rougeâtres s'échappèrent de la fourrure dorée de mon renard sous l'effet du talent, capturant et relâchant la lumière ambiante. Magnifique.

Le combat était commencé. Une boule de nœuds mêlant angoisse et excitation se forma dans mon ventre. J'allais capturer cette bestiole et en faire un impressionnant Scolocendre, comme celui de Kabu. Ouais. Ouais !

— Alpha, commence avec Mimi-Queue pour le déstabiliser et enchaîne avec Vive-Attaque !

Le concerné poussa un cri déterminé avant d'agiter ses six queues, la tête penchée sur le coté. Les yeux jaunes de l'insecte s'étrécirent pour former deux fentes menaçantes et calculatrices. On ne le bernerait pas si facilement, celui-là.

À ma grande surprise, il encaissa la Vive-Attaque sans broncher et repoussa Alpha en émettant une espèce de… grincement ? Ou s'agissait-il d'une vibration ? Quoiqu'il en soit, mon renard fut forcé de reculer sous la force de l'impact et me parut légèrement déstabilisé.

— Recommence, Vive-Attaque ! ordonnai-je, tenant à vérifier quelque chose.

Le Goupix chromatique fonça à nouveau sur son ennemi, qui riposta avec Morsure et eut de nouveau recours à l'attaque inconnue. Alpha écopa du coup de dents mais bondit de coté pour éviter sa seconde tentative, comme s'il l'avait pressentie.

D'accord. Je commençais à comprendre, à établir une stratégie. Si nous cessions de le percuter, il n'aurait d'autre choix que de lancer Flammèche, ce qui amplifierait encore davantage la puissance des attaques Feu d'Alpha. Ensuite, il ne nous resterait plus qu'à le mettre au tapis et à lancer la ball. Ouais. C'était un peu basique, mais c'était potable.

— Changement de plan. Reste à distance et utilise Flammèche !
— Goupix !

Le renard obéit, mais la bestiole n'avait pas dit son dernier mot. Las d'être la cible de flammes gonflées par le talent de mon Goupix, le Grillepattes sécréta des fils de soie qui se plaquèrent à son torse et entravèrent partiellement ses mouvements. Pire encore : ils semblaient douloureux, arrachant des geignements à mon renard dès qu'il bougeait. Par Zacian !

— Entrave et recommence !
— Pix ! acquiesça l'intéressé, plus déterminé que jamais à mettre cet adversaire coriace au tapis.

Cette fois, l'insecte mit quelques secondes supplémentaires à réagir. Il fatiguait… mais Alpha aussi. Les fils nacrés qui engluaient son pelage le vidaient peu à peu de son énergie. Nous ne pouvions plus nous permettre de tergiverser maintenant, il fallait aller droit au but. Je n'avais qu'une seule Filet Ball : une seule chance de capturer ce Pokémon sauvage.

Dans une tentative désespérée de vaincre mon renard, le mille-pattes eut recours à une attaque Brouillard qui arracha les deux combattants à mon champ de vision. Alors là, non. Non ! J'en avais ma claque, à la fin ! On n'allait tout de même pas s'en laisser montrer par un tout petit insecte à moustache ! Juste comme nous nous apprêtions à lui donner le coup de grâce, voilà qu'il se cachait littéralement derrière un écran de fumée !

— On joue le tout pour le tout, Alpha ! Sers-toi de ta puissance pour lancer Calcination !

C'était un pari risqué. Calcination était la dernière capacité qu'il avait apprise et elle pompait encore une bonne partie de ses forces. Le talent torche l'aiderait peut-être à canaliser ce pouvoir… Ou alors, il achèverait de le fatiguer. Dans tous les cas, il était trop tard pour reculer maintenant.

Un torrent de feu pourfendit le Brouillard et happa le Grillepattes, qui n'avait pas bougé d'un pouce. La pauvre bestiole vola dans les airs et atterrit sur le dos, à deux ou trois mètres en arrière. Ses nombreuses pattes se mirent à gigoter et il poussa un cri désespéré qui me fendit le cœur.

— Désolée, mon grand. Tes souffrances et ta vie sauvage se terminent ici. J'espère que tu sauras me le pardonner, dis-je en prélevant la Filet Ball de ma poche.

Je la lançai de toutes mes forces dans sa direction et retint mon souffle lorsque le Grillepattes y fut confiné. La sphère remua une fois. Deux fois. Trois fois.

Capturé.

Estomaquée, je restai plantée là comme un Magicarpe, la bouche entrouverte, à fixer la ball. Mais non… Je l'avais eu ? Je l'avais vraiment eu ? Alors qu'il s'agissait de ma première capture ? Je l'avais eu comme ça, du premier coup ?

Je l'avais eu.

— Je t'ai eu… murmurai-je avant de monter d'un ton : JE T'AI EU ! JE T'AI EU ! Ma première capture ! Non, notre première capture ! YES ! YESSSS ! WOUUU-HOU-HOU !

Hum… Heureusement que j'étais seule dans les bois. Seule dans cette section de la forêt, du moins. Des oiseaux s'envolèrent et des rongeurs déguerpirent, effrayés par mes hurlements de bonheur. Okay, du calme… Respirant par le nez, je ramassai la Filet Ball et me rendis au chevet d'Alpha. Mon Goupix tremblait, toujours affecté par ces fils ravageurs. Je le soulevai, le pressai contre mon ventre et retraçai progressivement le rocher contre lequel reposait mon sac à dos.

Là, je couchai mon renard chromatique au sol et empoignai mon canif. Et dire que maman avait salement engueulé papi quand il me l'avait offert… à onze ans… Enfin, passons. Je tranchai ce qu'il restait des liens avec précaution, puis rangeai le couteau au profit du jus de baies. Cette fois, mon Goupix en descendit goulument la moitié.

— Pix pix.
— Oui…

Je libérai mon nouveau compagnon pour lui offrir la seconde moitié du breuvage. Il poussa un faible « …pattes ? », s'avança prudemment et l'accepta, son instinct de survie l'emportant sur sa fierté.

Nous nous attardâmes un moment dans la clairière afin de nous restaurer ─ croustilles de légumes et noix pour moi, croquettes adaptées pour eux. Je laissai les deux monstres de poche faire connaissance d'une longue série de « Pix ? » et de « Pattes. » lancés sur un ton neutre. Il nous faudrait un moment pour nous apprivoiser les uns les autres, mais à mon sens, c'était parti du bon pied. L'insecte avait accepté le jus et les croquettes sans rechigner, même s'il s'était un peu écarté par la suite.

Après ces quelques minutes de repos bien mérité, je le rappelai, fis grimper Alpha sous mon sweat et repris le chemin de l'académie, excitée à l'idée de compléter ce premier devoir.